L’enseignement de l’Histoire en France dans les écoles de la République, depuis l’instauration de « l’école gratuite, laïque et obligatoire », aura été, comme les autres enseignements, placé sous le contrôle de l’Etat – et il en est ainsi aujourd’hui. Etant donné que cet enseignement a pour principal objet ce que fut le passé français, et celui des autres peuples, le contrôle de l’Etat français sur cet enseignement a été aussi radical que sur les autres, mais plus encore, puisqu’il s’agissait d’imposer un « récit national » unique, permanent. Après la seconde guerre mondiale, l’implication des soutiens français envers l’occupant nazi, la défaite finale de celui-ci, ont imposé à cet enseignement de l’Histoire, à ses rédacteurs, la prise en compte, à minima, de la responsabilité et de la culpabilité des dirigeants et des serviteurs du régime pétainiste, ce qui a, évidemment, déplu à celles et ceux qui n’ont pas été définitivement condamnés (par la mort) lors de la Libération, aux enfants de ceux-ci, aux activistes de la collaboration et de l’extrême-droite. Hélas : l’Histoire française n’a pas laissé de répit à son écho, discursif et cognitif, son « enseignement », puisque, à peine la Libération obtenue, les dirigeants français choisissaient de ne pas accorder leur indépendance, à l’Indochine/Vietnam, puis à l’Algérie, ainsi qu’à d’autres pays africains. Il fallait donc évoquer ces guerres, quand elles étaient en cours, puis quand elles furent terminées, par l’inévitable défaite française, départ/retour de nationaux. Pendant ces années, quel fut l’enseignement de l’Histoire en France ? Pour celles et ceux qui ont passé leur enfance/jeunesse dans les années 70 et 80, quel fut cet enseignement, dans le primaire et dans le secondaire ? Si les manuels scolaires ont été ou perdus ou rangés dans des placards avant d’être retrouvés un jour par des arrières petits-enfants dans quelques années, il reste des souvenirs de ces cours, surtout quand les professeur(e)s furent compétents, sympathiques, pédagogues, ce qui est souvent le cas, puisqu’il y a bien plus de bons enseignants que de moins bons enseignants, contrairement à ce que racontent sur le sujet quelques médias réactionnaires engagés à la fois contre les professeurs et contre ce qu’ils enseignent. Qu’est-ce qui était enseigné, à propos de la France, des autres pays, des périodes les plus tendues et difficiles de l’Histoire des dernières décennies ?
Même si les années ont passé, les souvenirs de ces instants de cet enseignement de l’Histoire restent clairs. Il est nécessaire d’y opérer, comme tout enseignement de l’Histoire le fait lui-même, une sélection, puisque l’Histoire humaine comprend désormais plusieurs millénaires, et le propos de ce texte n’est pas d’égaler le volume d’un livre. Mais si tout enseignement sélectionne les faits, ceux dont il faut parler, ceux que l’on peut se contenter d’évoquer, ceux que l’on peut laisser de côté, il faut le dire clairement : un honnête enseignement de l’Histoire, de telle ou telle période, de telle ou telle figure, doit être synthétique, c’est-à-dire qu’il doit proposer un résumé par lequel les aspects saillants et problématiques doivent nécessairement être évoqués, discutés. Ce n’est pas ce qui se passait dans les écoles en France dans les années 70 et 80.
Exemples : l’enseignement de l’Histoire sur la royauté en France, antérieure à 1789. LA grande figure de cette royauté française est, bien entendu, Louis XIV. Que disait en résumé cet enseignement sur celui qui était si souvent désigné par « le Roi Soleil » ? Il était évalué par comparaison, avec les autres rois français et les autres rois étrangers, en tant que « grand roi » : par l’usage de cette expression qu’il a lui-même suscité et fait utiliser; par l’évocation de SES constructions (l’Etat, Versailles). Etaient évoquées, ses décisions en matière d’imposition fiscale, ses guerres – évoquées, en quelques mots, et on passe à autre chose. Pour la Révolution Française, cet enseignement commençait à marcher sur des oeufs : il fallait évoquer le fait que des Français affrontaient d’autres Français. Le refuge tout trouvé était évident : la déclaration des Droits de l’Homme. Et comment en parlait-on ? C’était le don de la France aux autres pays du monde. En somme, implicitement, le discours signifiait : avant que la France n’offrit aux autres pays du monde cette « Lumière » sur le monde, la Déclaration, les autres peuples vivaient sans et ils étaient malheureux. Mais les révolutionnaires français élaborent cette Déclaration, et hop, la « Lumière » fut. Fallait-il ajouter autre chose ? On pouvait évoquer la nuit du 4 août 1789 : vous vous rendez compte, les gentils nobles ont accepté de perdre tous leurs privilèges ! Ah oui, en effet, et donc depuis, nous sommes tous et toutes, citoyens, égaux. Mais oui, c’est cela. Sueur froide sur cet enseignement : comment évoquer la condamnation à mort de Louix XVI, et son exécution, par une guillotine ? Alors qu’il était retenu à Paris, il avait décidé de fuir et avait été arrêté. Et on passait directement à la condamnation. Et ce fut tout cela la Révolution ? Non : hélas, cela finit mal. Il y eut la Terreur, et les têtes tombaient, les unes après les autres. Heureusement, la dernière qui tomba fut celle de celui qui avait fait tomber les autres, Robespierre-le-dictateur, et enfin, on revint à la raison. Des années qui suivaient, c’était le brouillard. Mais une fois de plus, un grand homme sortit de ce chaos, et tout à nouveau sourit : un jeune général, corse, Bonaparte, allait prendre la tête de la République, pour la convertir dans un Empire, terme justifié par les conquêtes militaires françaises. Mais pourquoi la France envahissait-elle ces pays ? Parce que. Il fallait bien libérer ces pays en les soumettant à nos volontés. Parce que des volontés françaises sont, forcément, comme disent les adeptes du « Printemps Républicain », universelles, à contrario des étrangers qui eux ne sont pas capables de cette « universalité ». Devenu Napoléon 1er, l’impétrant devient intouchable : il est la perfection rayonnant sur terre. A l’instar du discours concernant Louis XIV, l’enseignement insiste sur les constructions napoléoniennes : les grandes écoles, le code civil, la Légion d’honneur, tout le préchi-précha du parti bonapartiste. Mais sur 15 années de pouvoir impérial de Napoléon 1er, tout ce qu’il a fait et tout ce qui l’a fait étaient passés sous silence : le corps expéditionnaire esclavagiste envoyé à Saint-Domingue/Haïtié, en lien avec le rétablissement de l’esclavage, le pillage des pays européens, les défaites des armées françaises en Espagne et au Portugal, les pertes militaires (expression/euphémisme court pour désigner les Français morts pendant ces campagnes militaires, comme celles des pays occupés), un hyper Etat policier, la vente des terres françaises en Amérique du Nord. Silence sur les conséquences de la définitive défaite et de la déconstruction de l’Etat napoléonien : le retour à l’Ancien Régime, avec Louis XVIII et surtout Charles X (un roi à propos duquel les cours d’Histoire en France se taisaient !). Le régime de Louis Philippe ? A la source d’un style de mobiliers. La 2ème République ? Une mise en jambe pour l’arrivée au pouvoir de Napoléon III. Le régime de celui-ci ? L’enseignement parlait du développement de la France (pas un mot sur celui des colonies, à commencer par l’Algérie), de la « stabilité » du régime, d’une petite loi progressiste, pour finir dans la « dépêche d’Elms ». Pauvre petit Napoléon III, trompé par le rusé Bismarck. Mais sur la répression de ce régime contre les pauvres et les ouvriers, rien; sur l’expédition délirante et criminelle au Mexique, rien. Sur l’enrichissement exceptionnel d’une minorité, rien; sur la nullité personnelle de cet homme politique, qui passait une grande partie de sa vie quotidienne à ses affaires amoureuses, rien. La chute vint. Les dirigeants, notamment militaires, étaient si nuls que les actions militaires prussiennes en France furent une partie de campagne, avec, côté français, des trahisons, une boucherie, et le clown en chef, fait prisonnier par les Prussiens. Lesquels profitent de cette victoire pour imposer une unité allemande sous une unité, impériale – avec la prise de l’Alsace-Moselle. Et, dans la foulée de cette déliquescence française, nous avons les « viva » pour acter la naissance d’une nouvelle République, la troisième. Sauf que quelques mois après cette défaite, il y a une nouvelle guerre civile, sous protectorat allemand, et les Versaillais qui écrasent la « Commune de Paris », en une terrible semaine de mai. La Commune de Paris évoquée par l’enseignement de l’Histoire en primaire ? Rien. La Commune de Paris évoquée par l’enseignement de l’Histoire en secondaire ? Rien. Des Français massacrent, à grande échelle, d’autres Français, mais pas un mot. Evidemment, on sait pourquoi. Mais que valait, que vaut, un enseignement de l’Histoire qui occultait un tel fait historique ? De la 3ème République, il y a le souvenir fort d’un enseignement de l’Histoire qui mettait en avant une période, appelée « la Belle Epoque ». La Belle Epoque ? Vous voulez dire que pour tout le monde, tout allait mieux ? Que… ? Que nenni. Des colonies, dont de nouveaux territoires venaient s’ajouter à de nouveaux territoires, le pouvoir « républicain », depuis quelques années, converti à un colonialisme-racisme officiel, organisait le rapatriement des matières et des valeurs, et, à Paris, les rentiers, capitalistes et politiques, faisaient bombance, en se rendant joyeusement dans des « maisons closes » où des esclaves sexuelles étaient à leur disposition. Des souffrances de ce que cette République esclavagiste imposaient partout et à tant, silence. De son « code de l’Indigénat » ? Pas un mot. De son exploitation à outrance des « indigènes » ? Pas un mot. De la misère en France, qui a motivé les anarchistes insurgés ? Pas un mot. De la complicité de l’armée avec le véritable traître de l’affaire Dreyfus ? Pas un mot. De l’antisémitisme catholique, avant et après la naissance de « l’Action Française », avant et après l’apparition du torchon « La libre parole » de Drumond ? Pas un mot. Et plus on se rapprochait de notre présent, plus les silences devenaient lourds. Sur les fusillés pour l’exemple de la première guerre mondiale ? Pas un mot. Sur le soutien de Français puissants envers l’Allemagne d’avant 1933 ET d’après 1933 ? Pas un mot (ce que Daniel Schneidermann a démontré dans un ouvrage terrible sur la presse française, vendue aux nazis – sauf exception). Sur l’ampleur des crimes de la collaboration ? Pas un mot. Sur l’ampleur des crimes nazis : tout étant focalisé sur les camps d’extermination, il était fait silence sur, la Shoah par balles, sur l’asservissement de peuples écrasés, comme en Grèce. Sur le fait que, à la Libération de l’Europe, en Grèce, les Alliés préfèrent soutenir les anciens collabos, face aux communistes grecs – décision qui, depuis, a provoqué une cascade de conséquences terribles pour les Grecs. Autrement dit : l’Histoire de la France, l’Histoire de l’Europe qui étaient racontées étaient des contes, à dormir debout.
Enfin : enfant, jeune, dans les années 70 et 80, il y avait l’évocation dans cet enseignement de l’Histoire, de ce qui se passait dans les pays communistes, ou pays de l’Est, qui faisaient partie du bloc soviétique. L’heure était encore à « la guerre froide ». Qu’est-ce que cet enseignement nous disait de la naissance du régime soviétique, à partir de 1917 ? de son pouvoir politique, décennie après décennie ? De ses caractéristiques et de ses effets ? Le discours était simple : nous vivions du bon côté, du monde, de l’Europe, de l’Histoire, et les gens qui vivaient dans ces pays-Etats étaient des citoyens sous un pouvoir dictatorial. Par contre, en France, nous étions « libres ». Au début des années 70, un second discours (après le premier, énoncé par H. Arendt), sur le « totalitarisme » prit corps, et opposait les démocraties aux régimes totalitaires. De ces pays et Etats, on nous disait, avec ou sans images : les gens sont malheureux; ils manquent de tout (il y a des files d’attente devant les magasins); toute leur vie est contrôlée (chez nous, non, bien sûr). Aucun souvenir, que ce soit dans l’enseignement comme dans les programmes télévisuels des rares chaînes de cette époque, qu’ait été évoqué, par exemple, le logement gratuit pour tous. En France, pour avoir un logement, il fallait, et c’est toujours ainsi aujourd’hui, ou en être propriétaire ou louer (location qui, des années 70 à aujourd’hui, est devenue une part toujours plus élevée pour les familles modestes). Dans ces pays, le logement était gratuit, ou quand il était payant, la somme à payer par mois était infime. Ces pays étaient-ils des paradis sur terre ? Nullement. Ils connaissaient bien des problèmes, qu’ils soient involontaires ou volontaires. Mais qu’en était-il de la France ? Il en allait de même. La France n’était pas un paradis sur terre. Et il en va toujours ainsi. Ni paradis, ni enfer. C’est ce qu’un « discours vrai », d’enseignement, de l’Histoire, peut et doit, dire, raconter. Or, aujourd’hui, la droite et l’extrême-droite, soutenus par une part non négligeable du PS, ne supportent pas que dans l’enseignement de l’Histoire, en France, des connaissances sur des faits historiques aient été intégrées; que Louis XIV n’y soit plus « le Roi Soleil », mais seulement Louis XIV; que des parties de l’enseignement, secondaire, puis universitaire, traitent explicitement des fautes et des crimes commis par, l’Etat français, des dirigeants, des représentants de l’Etat français. Bref : ils ne supportent pas la vérité. Il faudrait en revenir à leurs idéologies, à leurs récits de « bisounours » (pour reprendre une expression qu’ils affectionnent) pour parler des « gens bien » (dont ils sont, dont leurs aïeuls étaient), face aux autres (affreux, vilains, méchants, pauvres, racisés, musulmans, anciens esclaves, etc). C’est ce que le Figaro a mis en scène cette semaine, par une couverture qui met en cause, dans la foulée de ce que vocifèrent les « Républicains » aux Etats-Unis, le fait que serait enseigné aux jeunes, « l’anti-racisme » (il faudrait donc leur enseigner et leur faire aimer le racisme ?!), « l’isla-mo-gauchisme », le « wokisme », le « féminisme », « le décolonialisme ». Autrement dit : l’ensemble de ces sources par lesquelles nous avons des connaissances nouvelles sur ce que fut la terrible histoire humaine et européenne de ces derniers siècles. Mais ce discours de la droite/extrême droite est un discours de défaite : ils savent que le « vrai » est de plus en plus, établi, partagé, connu, et c’est ce qui les rend fous. Il faut s’en réjouir. Mais ils doivent le savoir : nous sommes encore loin d’avoir tout dit, tout mis sur la table. C’est en cours.
Dans cette note, vous trouvez des vidéos. Dans celles-ci, vous pouvez entendre des affirmations. Le partage de ces vidéos ne signifie pas que toutes ces affirmations, pour le responsable de ce blog, disent vraies. Il appartient à chacune, chacun, de faire son travail, de lecture, de vérification. Leur intérêt (et bien d’autres pourraient figurer dans cette note) réside dans le fait qu’elles évoquent des périodes, des champs, historiques, sur lesquelles il y a eu, en France, ou des silences, ou des discours, incomplets, ou des mensonges.