Ci-dessous, des extraits de l’article de Médiapart :
« Le discours introductif donnait le ton de la journée. « Nous sommes gangrénés et la situation est grave, lançait Fabien Vanhemelryck, le secrétaire général d’Alliance Police nationale. Vous savez que notre territoire est ensauvagé. Plus personne n’entre en prison et nos collègues et concitoyens paient l’addition. » C’est dans cette atmosphère que le syndicat policier a ouvert, mercredi 2 février, le « grand oral » auquel il avait convié la quasi-totalité des candidat·es à l’élection présidentielle (seul Jean-Luc Mélenchon a été boycotté), devant un auditoire chauffé à blanc par la projection préalable du film BAC nord. Celles et ceux qui ont répondu favorablement à l’invitation – Valérie Pécresse (Les Républicains), Marine Le Pen (Rassemblement national), Éric Zemmour (Reconquête !) et Gérald Darmanin, chargé de représenter Emmanuel Macron – ont servi à leur auditoire ce qu’il voulait entendre, multipliant les promesses. C’était le but de ce raout organisé au cinéclub de l’Étoile, dans le XVIIe arrondissement de Paris. « C’est pour mettre la pression, confiait la veille à Mediapart Frédéric Lagache, délégué général d’Alliance. On veut des engagements clairs et précis. » (…) De Pécresse à Le Pen, en passant par Darmanin et Zemmour, tous ont cédé aux principales revendications des policiers dans une surenchère de propositions sécuritaires entremêlées de déclarations de soutien indéfectible et de refus catégorique de parler de « violences policières ». Ainsi, à la première revendication du syndicat, celle de limiter le droit fondamental de manifester en facilitant et en élargissant les interdictions administratives, tous ont répondu positivement, faisant fi de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Seul le ministre de l’intérieur a rappelé qu’il s’était heurté au Conseil constitutionnel qui a, en avril 2019, retoqué l’article 3 de la loi dite « anti-casseurs » qui permettait aux préfets d’interdire de manifester « à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Mais que les policiers soient rassurés, le gouvernement « y retravaille », a promis leur ministre de tutelle, afin que ce ne soit plus seulement un juge mais « l’autorité civile qui puisse prendre de telles décisions ». Valérie Pécresse s’est quant à elle embarrassée de beaucoup moins de considération constitutionnelle. « Il faut aller vers une action administrative pour empêcher les ultra-violents de manifester », a déclaré Valérie Pécresse en rajoutant pour cela « une obligation de pointage pour tous ces voyous interdits de manifester, une heure ou deux avant la manifestation ». Marine Le Pen, elle, a proposé, outre l’énigmatique « dissolution des black blocs », l’élargissement des « mesures individuelles de contrôles administratifs aux fichés S qui appartiennent à des mouvances violentes ». Pour protéger les policiers, tous sont d’accord pour rendre le floutage des visages obligatoire et anonymiser les procédures – deux demandes récurrentes des syndicats de policiers. Attaqué sur son bilan par les autres intervenants, Gérald Darmanin a tenu à préciser que cette dernière mesure est déjà en vigueur. « On vous a dit que c’était possible uniquement dans le cas des enquêtes terroristes, a-t-il déploré. C’est faux. C’est un peu compliqué dans le cadre de la procédure pénale numérique mais je suis en train de le faire régler. » Le syndicat Alliance réclamait également le retour des « peines plancher » pour les personnes coupables d’agressions contre les forces de l’ordre. Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour ont approuvé le retour à ce dispositif instauré en 2008 par Nicolas Sarkozy, puis abrogé en 2014 par la gauche. « Il y aura une mise sous écrou immédiate, puis un an ferme de prison », a détaillé la candidate LR, élargissant la mesure aux agressions visant « tous ceux qui exercent une mission de service public », comme les enseignants ou les soignants. (…) Enfin, les syndicalistes ont porté face aux candidat·es deux problématiques plus sociales, liées à leur pouvoir d’achat et à leurs retraites. Sur ce dernier sujet, les policiers ont bien noté l’engagement de Gérald Darmanin à préserver leur régime dérogatoire. Déjà concédée fin 2019, avant que le gouvernement n’abandonne la réforme, cette exception devrait bien figurer dans la prochaine mouture d’une loi qu’Emmanuel Macron devrait intégrer à son programme présidentiel. « À métier particulier, retraite particulière, a justifié le ministre. Vous risquez votre vie donc vous aurez le droit de partir plus tôt. On demandera à d’autres personnes de travailler plus longtemps. » Plus tard dans l’après-midi, Marine Le Pen lui a emboîté le pas : « Vous aurez un traitement particulier car votre métier est particulier. » (…) L’ancien journaliste n’était de toute façon pas venu pour prendre des engagements concrets – il a balayé, de la même manière, l’éventualité d’augmenter les effectifs. Au milieu des discours programmatiques de ses concurrents, Éric Zemmour a détonné. Pendant plus d’une demi-heure, le candidat a préparé son auditoire à la guerre civile dans laquelle il comptait l’embarquer. « Vous êtes aux premières loges d’un combat de civilisation », leur a-t-il lancé en préambule. Devant des policiers qui ont fini par l’applaudir, le représentant du parti Reconquête ! n’a pas fait de détour pour désigner l’ennemi à combattre. « Vous ne faites pas face qu’à des délinquants, vous faites face à une autre civilisation avec laquelle on ne peut pas coexister pacifiquement », a-t-il expliqué, en estimant que, pour lui, « les délinquants du quotidien » et « les djihadistes » sont les « mêmes personnes », avec « les mêmes parcours, les mêmes origines, les mêmes quartiers ». Dans son viseur, les quartiers populaires, ces « enclaves étrangères » selon lui, où régnerait « un mélange d’islam du quotidien et de violence des caïds de la drogue ». Une rhétorique guerrière qui s’est conclue par cette formule aux policiers : « Je veux que vous redeveniez les chasseurs et non plus les gibiers. » (…) Dans une intervention technique et visiblement travaillée, la présidente du Rassemblement national a promis aux policiers une « grande politique sociale » : inscription gratuite dans les salles de sport et les piscines, mise en place d’une mutuelle, généralisation du tutorat pour les jeunes agents, réservation de logements sociaux dédiés, développement des moments de convivialité et de fraternité… « Ne baissez pas les bras, vous faites un des plus beaux métiers du monde », a-t-elle martelé, affichant son souhait de leur redonner « du plaisir » dans l’exercice de leur mission. (…) Souvent renvoyée à sa modération supposée par son électorat le plus radical, Valérie Pécresse a tenté de donner des gages à un auditoire qu’elle sait sensible aux idées de l’extrême droite. Pas question, par exemple, de dénoncer les propos du secrétaire général d’Alliance qui jugeait, en ouvrant la journée, que « le problème de la police » était « la justice ». « Je dirais plutôt que c’est la sanction », a mollement répondu l’ancienne magistrate. Sur le fond, aussi, elle a défendu l’extension de la légitime défense ou la possibilité pour certains policiers de devenir magistrats. »