Ci-dessous, des extraits de cet article
« Limoges (Haute-Vienne).– Quand Monsieur Charles a entendu parler la première fois d’Aurélien Chapeau, terroriste néonazi arrêté à son domicile à quelques pâtés de maisons, par les policiers du RAID, il a d’abord cru à un canular. C’était en mai 2020. « J’ai pensé à une fake news », se rappelle ce chirurgien-dentiste à la retraite qui dirige la communauté juive de Limoges depuis des décennies. À l’époque, personne n’avait jugé utile de tenir le responsable religieux au courant qu’un ancien militaire doté d’un bagage antisémite carabiné et d’un pistolet-mitrailleur avait réalisé plusieurs repérages sur Internet, notamment de la synagogue de Limoges. Monsieur Charles ne recevra aucun coup de fil non plus après l’arrestation, ni à la veille du procès, qui s’est déroulé du 26 au 28 janvier à Paris, sans témoin ni partie civile. Condamné pour entreprise terroriste individuelle, Aurélien Chapeau a écopé de 9 ans de prison ferme. Et Charles, comme les autres, l’a appris à la télé. À Limoges, on sait pourtant trop bien ce que l’idéologie d’un Chapeau a produit par le passé. Charles vivait à Constantine en Algérie quand Vichy l’a déchu de sa nationalité française. À peine quatre ans et déjà apatride. Georges, lui, vivait à Casablanca où l’état-major allemand paradait en uniforme dans les hôtels cossus de la ville. Au nom des idées antisémites, la France lui a enlevé ses papiers, a ruiné son père et l’a banni des écoles publiques. À 87 ans aujourd’hui, il veille sur les âmes des défunts, il est chargé des toilettes rituelles et de la lecture du kaddish, la prière aux morts. Georges sait bien que la communauté de Limoges est mourante depuis qu’il tient les offices. Trois décennies déjà.
(…) Aurélien Chapeau ne savait sans doute rien de tout cela et n’a certainement jamais cherché à savoir avant de sombrer de manière définitive dans l’antisémitisme le plus crasse. Pas plus qu’il n’avait dû entendre parler, en 2015, de cet appel à rejoindre Limoges lancé par le consistoire, à l’intention des familles juives effrayées par l’antisémitisme galopant des grandes villes. Une « alya des campagnes ». Le projet avait échoué. C’était après les attentats de l’Hyper Cacher à Paris. À l’époque, dans l’un des quartiers voisins de la synagogue, Aurélien Chapeau, 32 ans, tourne déjà furieusement en rond dans son bocal. Il aime les armes, conduit une Audi bleu nuit, pousse de la fonte et prend des « prot’ » (protéines) commandées sur Internet. Il a quitté cinq ans plus tôt son poste de marmiton à l’armée et ses rêves de grandeur pour finalement s’échouer dans le métier de vigile. Aurélien trouve qu’on parle beaucoup trop de ces juifs assassinés à l’Hyper Cacher. Comme si la mort d’un juif valait plus que celle d’un « Français » (sic). Il pense aussi qu’il y aurait, caché aux yeux du monde, « un projet juif » soutenu par les élites républicaines, visant à remplacer « la race blanche ». Rien de neuf. Aurélien a sous le crâne quelques idées qui fermentent depuis plusieurs années. Le genre qui tourne au venin et qui vous donne des envies criminelles. Il les décharge toutes nerveusement dans son petit carnet orange :
— « L’islam grandit en France par le ventre de nos femmes, crevont-leurs le ventre. »
— « La décadence et la perte des valeurs de notre société est orchestré par nos élites judéo-pédophile. Nos homme sont des fiotes, nos femmes sont des putes. C’est ça le progrès ? En France ??? », peut-on lire sur une autre page.
Au Leclerc de la zone nord, où le jeune homme fait le planton en uniforme de vigile, on se souvient de quelques incidents. Comme ce jour où il lève le bras sur une cliente en la traitant de « sale Arabe ». Il y a aussi cette croix gammée dessinée retrouvée par ses collègues. On pense un temps à signaler le racisme d’Aurélien mais le racisme comme l’antisémitisme « d’atmosphère » sont monnaie courante, personne ne s’en effraie. Personne ne sait alors qu’Aurélien a plein de morts dans la tête. Tous ceux des photos et des vidéos de massacres qu’il consigne sur son ordinateur avec la minutie d’un petit épicier. Il y a un sous-dossier pour les meurtres de masse, un pour les vidéos du Troisième Reich, un pour les gars de son ancien régiment de hussards de Sourdun, en Seine-et-Marne. Entre les clichés à caractère pédopornographique, ceux des dernières vacances et des photos de chiens, il y a aussi le dossier « doudou », son ex-copine. Son amour de jeunesse. Le seul qu’on lui connaisse, du reste. Doudou est belle, elle a le sourire généreux sur les photos, et son enthousiasme reflète sa débrouillardise. C’est elle qui s’occupe des formalités quand il s’agit de préparer leurs vacances, c’est elle qui le conseille sur sa réorientation professionnelle, qui le pousse à se renouveler, en vain. Aurélien est comme le personnage de la chanson de U2 qu’ils écoutaient au tout début de leur histoire d’amour, « Stuck in a moment you can’t get out of » (« Coincé dans une mauvaise passe dont tu n’arrives pas à t’extraire »). Il est bien le seul à ne pas s’en rendre compte. Dans le pavillon familial, ça fait bien longtemps qu’on s’interdit d’écouter les actualités en dînant de peur qu’Aurélien ne déverse encore son fiel sur les juifs et les francs-maçons. Pourtant, on est plutôt de droite chez les Chapeau. Le père est un fana de commémorations militaires, il collectionne les petites figurines de soldats et d’engins de guerre. Il prie aussi la Vierge Marie tous les jours. Du moins jusqu’en 2018, année où la Sainte Vierge abandonne la famille, selon le paternel. Aurélien sombre alors un peu plus dans les ténèbres néonazies. C’est à cette période que la route du jeune homme croise celle (…)
L’article complet se trouve sur Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/070222/limoges-mon-voisin-l-antisemite