« Une enquête confirme que le chômage abîme les corps et les têtes » (Médiapart, Dan Israel)

Julia a 55 ans, une fille à charge, et cherche du travail depuis plus de trois ans. Elle qui a occupé «des postes de cadre, de directrice régionale dans le commerce » a perdu son emploi dix-sept ans après avoir été embauchée. « Un couperet vous tombe dessus, pour aucune raison », dit-elle. Et son état de santé s’en est presque immédiatement trouvé affecté : « J’ai toujours eu une très bonne santé, mais au chômage, j’ai déclenché une tension artérielle très forte, en raison du stress. » Elle décrit aussi l’apparition soudaine de zona, un blocage du dos, « et aussi une prise de poids assez conséquente, plus de 15 kilos, ce qui n’arrange rien à la confiance en soi ». La santé psychique de Julia n’a pas non plus été épargnée. « Angoisses, perte de confiance en soi, le fait de se sentir isolée, plus du tout connectée avec la réalité », énumère-t-elle. Joël a, lui, 54 ans. Il a travaillé toute sa vie dans la restauration et a quitté son emploi « après seize ans dans un restaurant de chaîne, où [s]a mutuelle était payée ». Il n’a jamais retrouvé de poste. Et il s’est surtout découvert perdu face à des démarches qui, jusque-là, allaient de soi. « Avec la mutuelle, quand tu avais besoin de lunettes ou mal aux dents, tu prenais rendez-vous, tu allais voir le médecin, et les sous suivaient. Après, je suis resté des mois et des mois sans mutuelle, avec des démarches à faire seul. » Sans réussir à les effectuer, même pour « un mal de dents fou ». Ce n’est finalement que le bouche-à-oreille, et un peu de chance, qui a orienté Joël vers une association d’aide, qui l’a informé qu’il avait droit à la complémentaire santé solidaire, un dispositif public méconnu mais accessible à tous, et gratuit sous conditions de ressources. « Pourquoi personne ne nous dit qu’on a le droit à cette aide, pourquoi je n’en ai pas été informé avant ? », interroge-t-il. En quelques mots, les témoignages de Julia et de Joël résument les difficultés, bien peu racontées, que peuvent rencontrer les demandeurs d’emploi pour se maintenir en bonne santé. Car le chômage abîme les corps et les têtes, et complique l’accès aux soins. Julia et Joël ont livré leurs témoignages mardi 14 décembre dans les locaux de l’association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC), qui mobilise 2 300 bénévoles pour accompagner chaque année des milliers de « chercheurs d’emploi ». SNC vient de publier les résultats d’une enquête sur le chômage et la santé, réalisée de mars à juin en collaboration avec trois autres associations : Territoires zéro chômeur de longue durée, qui lance des « entreprises à but d’emploi » accueillant des demandeurs d’emploi de longue durée, Force Femmes, qui accompagne des femmes de plus de 45 ans au chômage, et La Cravate solidaire, qui coache notamment des demandeurs d’emploi pour passer des entretiens d’embauche (une association que Mediapart avait épinglée en 2018 à propos d’un partenariat avec Pôle emploi).

Plus le chômage se prolonge, plus la santé se dégrade

« Il est nécessaire d’affirmer que la santé est un droit indispensable pour bénéficier des autres droits », résume Vincent Godebout, délégué général de SNC. Une certitude à la lecture de l’enquête, dans laquelle près de quatre personnes interrogées sur dix déclarent avoir observé une dégradation de leur état de santé depuis qu’elles sont au chômage. Et 60 % de ces personnes attribuent cette dégradation directement au chômage (l’enquête a eu lieu en pleine pandémie). Les quatre associations ont rassemblé 977 réponses, venues à 80 % de femmes, de plus de 40 ans pour les trois quarts. La répartition est plutôt homogène quant au lieu d’habitation (grande ou petite ville, banlieue ou milieu rural), au secteur professionnel, au niveau de formation et à la durée de chômage, s’étalant de moins de six mois à plus de trois ans. Avant d’être au chômage, 18 % des répondants se sentaient déprimés, occasionnellement ou régulièrement. Depuis qu’ils ont perdu leur emploi, ils sont 42 %. Parmi les personnes dont l’état de santé s’est dégradé, un quart fait état, comme Julia, de l’arrivée de nouvelles maladies. Et 43 % des personnes reconnues handicapées déclarent que leur état de santé s’est dégradé. « Le chômage semble avoir des conséquences particulièrement importantes sur la santé psychique des personnes qui y sont confrontées », souligne sans surprise le rapport : avant d’être au chômage, 18 % des répondants se sentaient déprimés, occasionnellement ou régulièrement. Depuis qu’ils ont perdu leur emploi, ils sont 42 %. Par ailleurs, plus le chômage se prolonge, plus les personnes sont nombreuses à déclarer que leur santé s’est dégradée : 24 % des personnes au chômage depuis moins de six mois, contre 48 % pour celles dans cette situation depuis plus de trois ans.« En plus d’être fragilisées socialement et financièrement, les personnes qui subissent le chômage voient leur état de santé se dégrader à mesure que le chômage se prolonge, ce qui accentue leurs difficultés globales et constitue un facteur défavorable à leur retour à l’emploi », soulignent les associations.

Le chômage est responsable de 14 000 morts par an en France

https://www.mediapart.fr/journal/economie/161221/une-enquete-confirme-que-le-chomage-abime-les-corps-et-les-tetes

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