(…) Il y a d’abord les grèves. Si celles-ci n’avaient évidemment pas entièrement disparu aux États-Unis, ce qui se passe depuis cet été est entièrement différent. C’est une véritable vague d’arrêts de travail massifs qui se produit dans tout le pays. Le phénomène a touché des entreprises privées comme des institutions publiques. La liste est longue et touche aussi bien les 2 000 soignants de l’hôpital catholique de New York que les 3 000 étudiants-salariés de l’université Columbia ou encore les 1 400 salariés de quatre usines Kellogg’s. La grève la plus symbolique du moment, celle de la société de machines agricoles Deere & Co, a duré cinq semaines jusqu’au 16 novembre dernier. Souvent, les syndicats sont à la manœuvre, mais ils se sont parfois débordés par la base. Ainsi, la grève la plus caractéristique du moment, celle de la société de machines agricoles Deere & Co, a duré cinq semaines jusqu’au 16 novembre dernier. Le syndicat UAW a dû négocier trois accords avec la direction avant d’obtenir l’approbation des 10 000 salariés en grève. Le dernier, adopté avec seulement 57 % des voix, prévoyait, outre une hausse de salaire de 10 % pour 2021 et de 5 % pour 2023 et 2025, une prime de 3 % du salaire par la suite, mais aussi, en plus, un programme de retraite incluant l’assurance-maladie. L’addition est corsée pour la direction, mais les salariés étaient déterminés. Et ils ne sont pas les seuls. Chez Kellogg’s, la base a rejeté, le 7 décembre, après deux mois de grève, un accord négocié par le syndicat. Ce dernier prévoyait de modifier le schéma d’ancienneté qui permet à la direction de payer jusqu’à 30 % moins cher les employés les plus récents. Le passage dans la catégorie « élevée » était accéléré et les salaires étaient revalorisés de 3 % pour les plus anciens. Mais les salariés ont jugé ces propositions inacceptables et la grève continue. Ce mouvement est intéressant parce qu’il montre un élément de solidarité interne où les « gagnants » d’un système fait pour diviser la main-d’œuvre luttent pour les « perdants ». Et cela, au-delà même des exigences syndicales. Ce mouvement de grève prend d’ailleurs localement, depuis le confinement, la forme de « grèves sauvages » (« wildcat strikes ») prises à l’initiative directe des travailleurs. Cela a été notamment le cas dans le prolongement du mouvement Black Lives Matter de l’été dernier, où on a pu identifier jusqu’à six cents mouvements de ce type, mais aussi lors de la première vague du coronavirus, où les salariés d’une usine Fiat-Chrysler de Sterling Heights, dans le Michigan, se sont mis spontanément en grève pour obtenir la fermeture de l’usine. Mais des mouvements de grève sauvage pour des revendications salariales existent aussi, comme par exemple dans le secteur des chauffeurs de bus scolaires en plusieurs points des États-Unis.
Cette vague de grèves ne peut que marquer par son ampleur inédite depuis des années – chez Deere & Co, la dernière remontait à 1986 – comme par la détermination des salariés. Mais celle-ci se reflète également dans un mouvement nouveau de syndicalisation. En septembre, une enquête estimait que la popularité des syndicats était au plus haut aux États-Unis depuis 1965. Comme celle du combat pour disposer d’un mouvement organisé dans des entreprises qui les refusent en leur sein.
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Mais le mouvement est encore plus profond. Depuis le début de la pandémie, un phénomène intrigue les économistes. C’est ce que l’on appelle la « grande démission ». De nombreux salariés ont décidé, avec la pandémie, de quitter leur poste et de mettre en scène, notamment sur les réseaux sociaux, ce départ. Les conditions de travail et les salaires sont dénoncés. C’est une décision de ne plus « accepter l’inacceptable », comme a dû le reconnaître dans une tribune Phillip Kane, directeur général de la société de conseil Grace Ocean. Le mouvement n’est pas anecdotique. Il est massif et il dure. En septembre 2021, le nombre de démissions a atteint son point haut avec plus de 4,4 millions enregistrées sur le mois. En octobre, ce nombre était redescendu à 4,15 millions, ce qui représentait cependant encore 800 000 de plus qu’un an auparavant. Les démissions supplémentaires se comptent donc par centaines de milliers et, fait notable, si beaucoup quittent leur job pour en prendre un nouveau, ce n’est pas le cas de tout le monde.
L’article complet est disponible ici https://www.mediapart.fr/journal/international/161221/aux-etats-unis-la-lutte-des-classes-est-de-retour