La parole machiavélienne est, depuis son apparition dans l’Italie de la période baptisée avec pompe, « la Renaissance », un choc, réduit à l’individualité (Machiavel, conseiller d’un « Prince »), comme pour Sade, réduit à sa même individualité, « pornographe ». Dans le « concert des idées », Machiavel aurait fait entendre sa petite musique, cynique, comme Sade aurait fait entendre son autre petite musique, monstrueuse, cacaphonique. Mais cette « lecture » de l’individu-auteur et du propos laisse dans l’ombre le fait que, comme avec le Dante de « La divine comédie » et sa représentation manichéenne du monde vivant, par l’imposition à tous qu’il fit de « l’enfer », désormais « présent » sur terre, Machiavel n’est pas « un » chemin, intellectuel, politique, mais le nom même d’une fin de la Philosophie politique telle que initiée par Platon – et que, en l’espèce, en lieu et place d’une « renaissance des Antiques », nous assistons, dans quelques pages, à un enterrement, par l’assassinat, à savoir la coupure définitive entre les hommes, les puissants des hommes « et le Bien », puisque, avec Machiavel, cette Puissance déterminante disparaît physiquement. Machiavel est la parole du banquier des crédits et des débits, pour lequel seul compte, à tous les sens du terme, l’intérêt, qu’il soit bon ou non. Le propos est à la fois d’un simplisme confondant, et terrifiant, et d’une « clarté capitale », puisque le propos machiavélien est l’énoncé de la conscience de la classe capitaliste qui partout en Europe prend le pouvoir et s’en donne à coeur joie dans l’exploitation de la terre et des hommes. Evidemment, là où les choses se compliquent, c’est que, pour « le prince », ce sujet de pouvoir européen, « l’intérêt » doit être impérativement le « bien compris », mais que, hélas, l’intellect princier se trompe souvent, et ce qu’il prend pour son intérêt s’avère négatif, jusqu’à parfois, le drame, la cause même de la perte de pouvoir. Machiavel expose que, pour de tels sujets politiques, un bon conseiller comme lui, est une nécessité, puisque, distant et des intérêts matériels si chers au « Prince » et du pouvoir politique lui-même, le conseiller a la lucidité dont tant de « Princes » sont en défaut. Mais si Machiavel incarne la mise à mort de la Philosophie-politique, de la Philosophie en tant que Politique, archi déterminée par l’existence et le sens du Bien, il faut constater que la supposée « sagesse » de ce type de conseillers pour son mécène est souvent prise en défaut, parce que la défense des intérêts de celui-ci constituant la ligne directrice pour ceux-ci, ils en viennent eux aussi à défendre auprès de ces puissants des actions ou des comportements qui s’avèrent être contraires à leurs intérêts, qui s’avèrent être contre-productifs, qui s’avèrent néfastes. La promotion systématique du « droit des vices » sans souci de vertu favorise un pouvoir qui peut durer, mais qui finit néanmoins par s’affaiblir voire s’effondrer, quand les violences accumulées suscitent l’overdose. Du point de vue platonicien, Machiavel est un publicitaire de la tyrannie, même s’il conseille qu’elle soit mesurée, habile, manipulatrice, masquée, sauf si des mesures exceptionnelles sont requises pour la faire durer encore plus, c’est-à-dire, toujours à partir de l’analyse platonicienne, sauf si elle doit devenir toujours plus tyrannique. La modernité aura été une régression – et, évidemment, pas de manière univoque. Mais, de 1492 à aujourd’hui, elle a été constituée par la promotion d’hommes violents et destructeurs, partout – l’extension du domaine des violences, par les protections, politiques, juridiques, accordées à celles-ci et à leurs responsables. C’est ce à quoi nous avons assisté pendant la période spéciale des deux années écoulées, de l’apparition de la déclaration de « pandémie », par les premières mesures politiques en Europe, jusqu’à aujourd’hui, avec une montée en puissance des contradictions. Mais pour en assurer la publicité par la justification, l’invocation du Bien commun a été nécessaire. Nous avons eu à faire à des Machiavéliens-véliques qui ont continué à défendre les intérêts financiers par la continue et aggravée exploitation de tout et de tous, et qui ont invoqué « le Bien ». Le cynisme est devenu roi et évident avec la défense de la vaccination la plus large, voire « pour tous », au nom du Bien, des personnes ET de la collectivité, quand il s’agissait, fondamentalement, d’assurer à des entreprises tout aussi cyniques des profits jamais vus, gigantesques. Quand des personnes peuvent souffrir d’une maladie potentiellement mortelle, il est essentiel pour les populations de savoir qui est atteint par et qui ne l’est pas. Confrontés à un virus dont la transmission s’assurait par une co-présence dans un petit périmètre, il était important de séparer les souffrants des personnes, au moins, momentanément, « saines ». Il fallait donc tester massivement, intégralement. Pour un pays de 67 millions d’habitants, une telle démarche était possible, mais exiger un investissement humain et matériel jamais vu. La solution adoptée a été celle du moindre coût – pour laquelle, aujourd’hui, les défenseurs du pouvoir politique qui a fait ce choix osent parler de « dépenses jamais vues » : en obligeant le maximum de personnes à rester chez elles, pendant que les essentiels étaient réquisitionnés pour travailler néanmoins. Le port du masque fut déclaré « inutile » : le racisme classique en France se moquait de ces Asiatiques masqués, puisqu’il ne servait à rien (mais les soignants devaient, eux, le porter). Puis il fut déclaré nécessaire : des mois avaient été perdus. Et pendant ces mois, tester l’ensemble de la population ne fut jamais fait. Face à la, faible, mais réelle, létalité de ce virus, se posait la question de traitements médicaux, pour l’affaiblir ou pour l’annihiler. La France connut sa folie « Raoult » : imposée par des médias qui en firent une divinité avant de le descendre en flamme quand il s’orienta vers une confrontation avec le gouvernement et tant de ses pairs. Certains se firent spécialistes de ses erreurs, de ses supposés mensonges (on leur laisse le plaisir de passer leur temps). Les mêmes ne passaient pas avec la même rigueur et au même tamis les affirmations gouvernementales. Lequel affirma que la vaccination ne deviendrait jamais obligatoire. Lequel affirma qu’aucun pass sanitaire ne serait jamais instauré. Lequel affirma que, jamais, plus de deux doses ne seraient exigées. A peine donnée, la parole était reprise, et démentie. Mais pourquoi ? Parce que la seule stratégie devint vaccinale. Pour le reste : rien. Logiquement, le pouvoir en vint à opposer les vaccinés aux non-vaccinés. Avec un caillou dans la chaussure : vaccinés, certains étaient encore contaminés et contaminants, voire même malades. Où se trouvait le gisement de non-vaccinés à facilement faire vacciner ? Les enfants. Enfants dont les scientifiques constataient que, dans leur immense majorité, ils pouvaient être contaminés sans jamais être malades – et que, une fois qu’ils seraient vaccinés, ils continueraient à être contaminants, et comme certains adultes, malades. Les médias attendaient ardemment « les vagues » : une fois la précédente terminée, ils annonçaient que, nécessairement, une prochaine allait advenir. Et comme elle advenait, ils étaient très satisfaits d’avoir eu raison, d’avoir dit la vérité, et ils firent pression : il faut limiter les contacts puisque le virus se transmet par le contact. Ce sont les médias qui ont fait la publicité du confinement, des interdictions, des limitations, et, contre les non vaccinés, des sanctions. Evidemment, pour faire entendre cette parole fascisante, ils ont toujours trouvé un idiot utile. Ils se bousculaient. Ce fut le concours du pire. Et, en France, dans ce domaine, il y a des bêtes de concours. Dans un premier texte, accessible ici accessible ici, à propos de la tribune publiée par QG, dont les auteurs sont Toby Green (professeur d’histoire au Kings College London, auteur de The Covid Consensus: The New Politics of Global Inequality) et Thomas Fazi (écrivain, journaliste and traducteur, auteur de Reclaiming the State), sous le titre «Le naufrage de la gauche politique face au Covid», il s’agissait de penser, avec eux, pourquoi « la gauche », avec ses partis, ses intellectuels, ses mouvements, furent des suivistes de ces politiques, machiavéliques, déterminées pour servir prioritairement et même parfois seulement, des intérêts privés, jusqu’à, UNE FOIS DE PLUS, s’opposer au Bien public, de chacun ET de tous. Parce qu’il faut le rappeler : dans ces pays, la France, les Etats-Unis, le Brésil, la proportion de malades, graves, et de morts, fut, est, importante, plus importante qu’ailleurs. Il n’y a guère qu’au Brésil que le fasciste Bolsonaro ose dire clairement : je m’en fous, des morts et du Covid. Dans des pays « policés », à tous les sens du terme, il faut mettre les formes, il faut donner dans la bonhomie bourgeoise : ce qui fut fait. Quelques mots pour affirmer une « empathie » pour les morts, et on passe à autre chose. Mais on ne change rien : ni à l’état catatonique des hôpitaux (soignants et médecins font ce qu’ils peuvent et comme ils peuvent, avec ce qu’ils sont autorisés à faire et ce qu’ils n’ont pas le droit de faire), ni à l’état de la pseudo « politique sanitaire » qui rend possible des passoires pour, une fois les cas advenus, mettre en cause les rares espaces et temps libres d’une population nassée. Dans les partis politiques constitués, la seule force politique qui a eu un tant soi peu de, cohérence, d’activités et de propos, critiques, contre la politique gouvernementale (et encore, avec beaucoup de diplomatie), ce fut la France Insoumise (1). L’opposition sociale, réelle, fut, elle, muselée. Polluées par la présence de l’extrême-droite qui, partout à travers le monde, joua sur tous les tableaux (soutenir la défense des libertés et se réjouir des mesures liberticides qui frappaient plus sévèrement les quartiers pauvres et immigrés), les manifestations de la fin de l’été et du début de l’automne 2022 s’étiolèrent, comme des manifestantes à Bordeaux en témoignèrent, peuvent en témoigner. L’association de critiques sensées ou potentiellement sensées à des symboles nazis ou fascistes contribua à les couler. A la grande satisfaction des pouvoirs contestés. Le « bon sens » ne fut pas la chose la plus partagée : une fois de plus, ce furent les humbles, les modestes, les travailleurs qui en firent preuve. Mais ils furent isolés, puisque tant affirmèrent croire dans les gages « donnés » (lol) par le pouvoir. C’est que le machiavélisme est le fait d’individus si « propres » sur eux. Les naïfs croient sur parole. Les sceptiques, ou les négateurs, sont accusés d’être complotistes. Et nous avons assisté pendant ces deux années à la mise en place d’une nouvelle Inquisition. Une commission constituée à cet effet est censée rendre dans quelques jours en France ces conclusions. Mais sans attendre celles-ci, ces derniers mois, les chantres de cette néo-Inquisition ont fait connaître leurs idées directrices par lesquels ils entendent faire juger les « hérétiques » qui osent remettre en cause, à travers celle de la parole du pouvoir officiel, ses intentions et ses productions. Ne prenons pas Machiavel pour nous, mal, conseiller, mais Platon, et sa « République ». Tout est là de notre tragédie.
(1) : après la publication de ce texte, j’ai été interpellé sur le fait que le PRCF a également exprimé une constante opposition au pouvoir en place. Je le précise par honnêteté, mais le PRCF n’est pas un parti, selon ce que nous pouvons en savoir sur le site de leur journal, « Initiative Communiste », et que, en tant que tel, c’est-à-dire pas un parti, ils ne sont pas connus de l’ensemble des Français, à la différence de la FI. Or, dans la Constitution de la 5ème République, seuls les partis « concourent à… »
[…] prendre la peine de citer et analyser Renaud Camus ? Dans un précédent texte dans lequel il a fallu prendre acte de la “révolution machiavélienne/machiavélique” […]