Des extraits. Le texte complet est ici : https://lundi.am/Sur-la-catastrophe-en-cours-et-comment-en-sortir
Si l’épidémie de Covid a pu temporairement dérouter les gouvernements du monde entier, elle n’en a pas moins désorienté les forces subversives. Qu’elle serve désormais ouvertement de cheval de Troie aux pires poussées réactionnaires autant qu’à l’instauration de dispositifs de contrôle inédits n’est pas surprenant, ce qui l’est davantage c’est l’hébétude dont nous ne parvenons pas à sortir nous-mêmes. Dans ce texte, Serge Quadruppani, Jérôme Floch et quelques autres proposent de recenser ce qui jusqu’à présent fait diversion, les faux amis comme les mauvaises oppositions. Une tentative humble mais salutaire d’y voir clair.
La création par Macron, pour des raisons purement électoralistes, d’un nouvel ennemi intérieur sous la figure du « non-vacciné » est l’ultime étape d’une manipulation où nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, tombés.
Rappelons que c’est ce même Macron qui, au moment d’annoncer le premier confinement, le 12 mars 2020, preuve s’il en est du désarroi qui serpentait alors parmi les dirigeants du monde, en était arrivé à déclarer : « Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. »
Ce bref accès de lucidité ayant été rapidement surmonté, le gouvernement s’est orienté ensuite sur l’essentiel de sa tâche, à savoir relancer la machine économique. Rien d’étonnant à cela, les gouvernants font ce pour quoi ils ont été placés au gouvernail. On est davantage impressionné par le nombre de gens qui, plutôt que de se battre non contre ce qui a produit le virus – le productivisme et ses zoonoses, et ce qui a empêché de le contenir – l’absence de stratégie de prévention et la destruction de l’hôpital, embrayent sur la propagande gouvernementale en faisant porter désormais toute la responsabilité de la prolongation de la « crise sanitaire » sur les non-vaccinés, ces pelés ces galeux d’où viendrait tout le mal. C’est une réalité indéniable : celles et ceux qui aujourd’hui, majoritairement, remplissent les urgences, ne sont pas vaccinés [1]
[1] On estime qu’il y a 9% de personnes ne sont pas…. Sous forme de tribunes et de déclarations à triples négations, on entend dire que non, on ne va pas s’abstenir de les réanimer, mais qu’enfin, la question devrait être posée. On en est donc à évoquer l’abolition du principe même pour lequel, dans le monde tel qu’il est, on aura toujours envie de défendre l’hôpital : le soin pour tous, que les malades se soient ou non conformés, avant la maladie, aux consignes des autorités médicales. Et comme à chaque fois qu’une exception s’imposerait au nom de l’urgence, son champ d’extension pourrait ensuite s’étendre à l’infini. Car sur cette pente, rien n’interdirait de poser un jour la question du niveau de soins à apporter à quiconque ne se serait pas montrés assez vertueux dans la gestion de son capital biologique : alcoolique, drogué, fumeur, conducteur ivre… Cette menace brandie d’apartheid hospitalier, si elle a peu de chance, dans l’immédiat, de se réaliser, aura au moins pour fonction, aux yeux de la grande majorité des citoyens, de stigmatiser une minorité qui, de son côté, va se sentir renforcée à ses propres yeux dans le rôle de l’unique rebelle radical au système. Le piège est grossier, il est énorme, il risque de marcher. Raison de plus pour le combattre.
Comme la harde poussée par les chasseurs-cueilleurs jusqu’au bord de la falaise, nous voilà à nous entre-regarder, pleins de peur et de hargne, et nous nous trouvons de bien mauvaises mines. Très loin de la splendeur que les bêtes sauvages savent conserver jusqu’à la fin, nous avons des siècles de domestication, d’exploitation et de passions mauvaises imprimés sur nos corps, nous voyons bien que l’ennemi est là, qui a dès longtemps troqué les lances et les arcs pour le flash ball et la propagande numérique. L’ennemi nous pousse vers le gouffre où nous attendent les décombres d’une civilisation déjà morte et qui ne le sait pas. La tentation est grande, pour ne pas y sombrer, d’y pousser les autres, de nous battre, de nous entredévorer. Mais un autre possible peut s’emparer de la harde : tourner le dos à l’abîme et foncer ensemble dans le tas.
C’est à ce changement d’orientation de nos affects que le présent texte voudrait contribuer.
(…)
Il y a donc d’excellents motifs pour qu’aujourd’hui soit si largement répandue la conviction qu’il existe des complots visant à capter l’autorité de la science médicale, pour la mettre au service d’intérêts étrangers au bien-être et à la liberté du plus grand nombre.
Conviction qui est une excellente raison pour trouver parfaitement légitime la méfiance à l’égard des annonces scientifiques autour de la Covid-19, et en particulier du vaccin, de sa nature et de son efficacité. A plus forte raison si on mesure ce qui été accompli, à l’échelle planétaire, au nom de l’autorité scientifique. On se permettra de rappeler encore une fois ce qu’on écrivait ici-même, dès le 10 février 2020, soit plus d’un mois avant l’annonce du premier confinement en France, à savoir que, le plus inquiétant, c’était de découvrir la « capacité de soumission massive » que le renfort de la légitimité scientifique permettait aux gouvernants de réveiller. On n’en finira pas de s’étonner de la promptitude et de la facilité avec laquelle, en quelques semaines, au printemps 2020, la moitié de la population du monde s’auto-enferma. Pour évaluer aujourd’hui le rapport que tout un chacun peut entretenir avec la connaissance scientifique, on ne peut perdre de vue le rôle qu’elle aura joué, bon gré mal gré, pour justifier une politique de la peur à l’échelle planétaire. [4]
[4] Un ami souligne, à juste titre, qu’en France, l’avis du… Ce mode de gouvernance reprend des techniques de contrôle déjà éprouvée dans l’antiterrorisme [5]
[5] cf. S. Q., La politique de la peur, Le Seuil/Coll. Non…, les perfectionne, les fusionne, les étend spatialement et moléculairement.
Contrairement à ce qu’on avait pu espérer fin mars 2020,on n’a même pas commencé à tirer les leçons de ce que signifiait ce « franchissement jamais vu jusque-là du seuil d’acceptabilité des populations à l’égard des contraintes liberticides ». C’est qu’il conviendrait d’abord de le replacer dans la continuité de la séquence temporelle qui s’est ouverte à la fin du XXe siècle, avec le triomphe planétaire de l’ultralibéralisme, séquence qu’on peut caractériser comme l’ère des franchissements. Tandis que le réchauffement climatique franchissait un seuil dans la course à l’irréversible, la déforestation et l’élevage industriel entraînaient à une échelle jamais vue le franchissement des barrières inter-espèces avec le résultat qu’on sait en termes de pandémies. Dans le même temps, le caractère toujours plus invasif des techniques de contrôle est venu apporter au gouvernement des humains l’équivalent de leur rapport à la nature. Prolongeant un rapport au non-humain construit depuis des siècles sur le modèle de l’invasion, les politiques de la peur et les paniques morales, alliées à la conquête numérique de l’attention et de l’émotion, ont permis le franchissement des anciennes garanties imposées par quelques révolutions au despotisme étatique. De même que les franchissements opérés dans la guerre à la nature étaient toujours présentés aux noms de raisons acceptées comme excellentes (nourrir ceux qui ont faim, créer des emplois, répondre aux « besoins d’énergie », aller plus vite…) la création de fichiers ADN, au nom du traçage des criminels sexuels, l’état d’urgence pour combattre les terroristes, en attendant l’abolition de la prescription pour punir les pédocriminels : chacun de ces franchissements-là aura été effectué en désignant un ennemi absolument et effectivement indéfendable. Mais c’était à chaque fois un nouveau champ des possibles qui s’ouvrait, pour la « justice infinie » et les exactions sécuritaires. Le plus inquiétant dans ces franchissements, c’est qu’au nom des raisons sur le moment avancées, l’immense majorité des humains, les ont massivement acceptés.
(…)
Parce que le pouvoir n’a jamais été aussi technocratique, livide et inhumain, certains tendent une oreille bienveillante aux premiers charlatans venus leur chanter « le vivant ». Mais l’engrenage est vicieux et une fois qu’on a adhéré à une supercherie du simple fait qu’elle prétende s’opposer au gouvernement, on a plus d’autre choix que de s’y enferrer et d’y croire. Lors d’une discussion un lundisoir, une personne du public avait commis quelques blagues peu finaudes à propos d’antivax qui lécheraient des pierres pour se soigner du cancer, et cela a apparemment provoqué quelques susceptibilités. Le problème en l’occurrence, c’est que cette plaisanterie n’était caricaturale que dans sa généralisation certainement abusive. Il n’en est pas moins vrai qu’Olivier Soulier, cofondateur de Réinfocovid assure soigner l’autisme et la sclérose en plaque par des stages de méditation et de l’homéopathie, que ce même réseau promulguait des remèdes à base de charbon aux malheureux vaccinés repentis pour se « dévacciner ». Autre nom, autre star, Jean-Dominique Michel, présenté comme l’un des plus grands experts mondiaux de la santé, il se propulse dès avril 2020 sur les devants de la scène grâce à deux vidéos sur youtube dans lesquelles il relativise l’importance et la gravité de l’épidémie, soutient Raoult et son élixir, et dénonce la dictature sanitaire à venir. Neurocoach vendant des séances de neurowisdom 101, il est membre d’honneur de la revue Inexploré qui assure soigner le cancer en buvant l’eau pure de l’une des 2000 sources miraculeuses où l’esprit des morts se pointe régulièrement pour repousser la maladie. Depuis, on a appris qu’il ne détenait aucun des diplômes allégués et qu’il s’était jusque-là fait remarquer à la télévision suisse pour son expertise en football et en cartes à collectionner Panini. Ses « expertises » ont été partagées par des millions de personnes, y compris des amis et il officie désormais dans le Conseil Scientifique Indépendant, épine dorsale de Réinfocovid, première source d’information du mouvement antivax. Ces exemples pourraient paraître amusants et kitchs s’ils étaient isolés mais ils ne le sont pas.
L’enjeu ici n’est pas de distribuer les mauvais points mais d’assumer que les affects ne sont pas neutres. La peur n’est pas communiste, elle suscite la défiance de tous envers tous et prépare la réaction. C’est d’ailleurs qu’il nous faut partir, de ce qui nous lie plutôt que de ce qui nous glace.
Historiquement, ce qui a fait la rigueur, la justesse et la sincérité politique de notre parti, – et ce qui fait qu’il perdure-, c’est d’avoir toujours refusé de se compromettre avec les menteurs et les manipulateurs de quelque bord qu’ils soient, de s’être accrochés à une certaine idée de la vérité, envers et contre tous les mensonges déconcertants. Que le chaos de l’époque nous désoriente est une chose, que cela justifie que nous perdions tout repère et foncions tête baissée dans des alliances de circonstances en est une autre. Il n’y a aucune raison d’être plus intransigeant vis-à-vis du pouvoir que de ses fausses critiques.
(…)
L’ennemi, tout au bout du compte, ce ne sont jamais des humains et leurs manigances, parce que tous, gouvernants et gouvernés, sont pris dans des rapports sociaux dont, suivant leur place dans la hiérarchie des dominations, ils se servent, mais qu’au bout du compte, tous servent. L’ennemi ultime, c’est un rapport social, l’exploitation : exploitation de l’homme par l’homme – ou plutôt des humains, et tout particulièrement des humaines, par d’autres humains, et l’exploitation du non-humain (la « nature ») par les humains.
Depuis au moins 40 ans, on l’a souvent constaté, les différentes formes de « crises » auxquelles nous devons faire face sont autant d’opportunités de reconfigurations et de sophistications pour les gouvernements. Le capitalisme, dans sa plasticité, sait parfaitement s’adapter et digérer les différentes anomalies systémiques, qu’il en soit à l’origine ou qu’il les subisse dans un premier temps. Ce n’est pas un hasard si ses formes actuelles les plus avancées et raffinées sont le management et la cybernétique (qui n’excluent pas, il va sans dire, ses formes antérieures d’accaparement brutal, de destructions coloniales et ses 50 nuances d’exploitation). Ce qu’il y a pourtant eu d’inédit dans cette « crise du covid », ne tient pas seulement à son échelle planétaire, à sa rapidité de propagation et à l’ampleur du risque qui s’est tout à coup abattu sur des milliards d’êtres humains. Ce à quoi nous avons assisté, les bras ballants il faut bien le reconnaître, c’est au vacillement de tout l’appareillage gouvernemental mondial, au même moment. Non pas du fait ses difficultés momentanées à gérer la situation mais par la profondeur de la vérité que contenait le sras-cov2 : toute l’organisation du capitalisme, de l’économie et de la gouvernementalité sur laquelle reposent nos existences et notre survie sont à l’échelle de l’espèce, un suicide. Tout le monde se souvient de la première allocution d’Emmanuel Macron et de ses multiples déclarations de guerre à l’encontre d’un ennemi invisible. Si l’on ne s’en est pas tant moqué, c’est parce que nous comprenions tous que cette guerre, elle ne pouvait se livrer que contre nous-mêmes. Dans cette même déclaration, cela on l’a par contre oublié, le chef de l’État lui-même se devait de le reconnaître : ce que ce minuscule virus venait remettre en cause, c’était la totalité de notre mode de vie et de production occidental et capitaliste.
C’est donc précisément là que se situe le véritable événement de cette syndémie. Pas dans les dispositifs de contrôles qui se sont amplifiés et perfectionnés, pas dans la mise sous tutelle sanitaire et disciplinaire de milliards d’êtres humains, tout cela se sont des continuités et des refondations, mais bien dans cette vérité bouleversante, destituante et première : le monde, c’est-à-dire ce monde, doit être démantelé.
Si le monde de l’économie tient et domine c’est parce que son organisation et son appareillage complexes se doublent d’une foi quasi-métaphysique en sa positivité. Ce ne sont pas juste les infrastructures qui ont vacillé c’est aussi la croyance qui s’est effrité.
C’est à cet endroit précis que nous avons commencé à perdre la partie. Alors que le virus venait révéler la faillite évidente de notre civilisation depuis ses fondements mêmes, nous nous sommes laissés traîner sur le plan de la gestion, bonne ou mauvaise, moins pire ou catastrophique. Au moment où l’idée même que l’on se faisait de la vie se trouvait acculée à être repensée et réinventé, on a critiqué les politiciens. Quand le gouvernement masquait si difficilement sa panique et son incapacité à exercer sa fonction fondamentale et spirituelle, prévoir, on a entendu certains gauchistes même anarchistes caqueter : si tout cela arrive, c’est qu’ils l’ont bien voulu ou décidé. Ironie cruelle, même lorsque l’État se retrouve dans les choux avec le plus grand mal à gouverner, il peut compter sur ses fidèles contempteurs pour y déceler sa toute puissance et s’en sentir finauds.