Au regard des populations qui les ont vus apparaître, se développer, qui, pour certains, les ont subis, pour d’autres, ont été leurs « collaborateurs », un nom permanent de, que penser de ces Etats-nationalistes européens, constitués entre le 17ème siècle et aujourd’hui, par exemple pour la France, de Louis XIV à aujourd’hui ? Pour paraphraser et contredire un mauvais politicien du début du 20ème siècle, ce qui est sans visage, afin de laisser penser qu’il n’a pas de visages, qu’il existe en soi, c’est l’Etat : cette prétention d’une existence « neutre », indéterminée. Pour en venir à l’analyse de notre présent, Houria Bouteldja fait un retour, typiquement marxiste, mais aussi, anarchiste, libertaire, « libéral », sur la genèse et la structuration des Etats-Europe, bien avant que l’Union européenne n’existe officiellement, et ce alors que leurs similitudes étaient bien plus importantes que leurs différences. Ces courants politiques et intellectuels, le marxisme, l’anarchisme, etc, ont perçu l’Etat, en tant que la force anti sociale par excellence, la puissance des puissances, la menace des menaces, le danger absolu. Mais depuis quelques années, la pensée de l’Etat a fortement diminué. Dès le commencement de sa réflexion, Houria Bouteldja lie genèse de l’Etat avec l’appropriation et l’exploitation des personnes comme des terres, des biens terrestres perçues comme des valeurs marchandes, l’accumulation des revenus de, autrement dit la financiarisation de la « politique » : le « trésor public » devient le centre névralgique de la politique, dès lors qu’une économie marchande s’impose partout. Il faut rapidement tout payer, et payer sur ces paiements, par des taxes sans rapport avec les échanges en tant que tel. Aussi, il est légitime de se demander si « l’ensemble des théoriciens décoloniaux » ont raison de s’accorder « à considérer 1492 comme le moment historique du basculement dans la modernité« , si 1492 n’est pas, avant tout, une conséquence, plutôt qu’un point de départ, et s’il faut qualifier ce moment, en tant que « basculement dans la modernité« , un terme tout aussi neutre que l’Etat, dans la mesure où il serait légitime de parler de « basculement dans les ténèbres », étant donné tout ce que nous savons sur l’Histoire postérieure. Qu’est-ce qui a préparé 1492, la dissémination d’armées de conquête ?
Or, pour parler de ce qu’elle sait être un tel basculement, Houria Bouteldja ne se focalise pas sur un Etat européen naissant, par exemple, français, mais sur la fameuse « controverse de Valladolid » (1), controverse qui se situe au sommet d’un Etat spécial, l’Etat-Eglise catholique. Mais qu’est-ce que cet Etat, « très chrétien », et comment comprendre son rôle dans ces évènements historiques ? Il est premier Etat européen, constitué plusieurs siècles avant les autres – et, à notre époque, il est le modèle absolu du néo-libéralisme, puisqu’il est un Etat qui règne sur un milliard de soumis, avec, pour lui-même, moins de 1000 agents. Par Etat, il ne s’agit pas de viser seulement ce qui s’est officiellement constitué comme tel entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, notamment par la contribution fasciste, mais ce qui s’est originairement constitué comme tel, dès lors que l’Eglise romaine a pris la succession des dirigeants impériaux romains (Empire d’Occident). Et ce qui caractérise cet Etat, immédiatement, c’est une « privatisation » du sol et de biens, sous la tutelle unifiée de l’Etat-Eglise. Le « souverain pontife » devient un Roi, avant le retour des Rois, un Roi tout-puissant, puisque le Pape concentre en lui-même tous les pouvoirs, que la science politique distingue habituellement (exécutif, législatif, judiciaire). Après la disparition de l’unité impériale romaine, « l’Empire », la tutelle de l’Eglise sur les royaumes épars en Europe s’est mise en place et a duré les siècles, des siècles, avant que des rois, des noblesses, des bourgeoisies, ne veuillent avoir leur propre Etat, souvent à l’imitation de. Et ce n’est pas un hasard si c’est l’Eglise qui fait tenir cette « controverse » entre deux de ses représentants. Elle sait que les « nations chrétiennes » de l’Europe obéiront à ce qu’elle aura décidé, mais aussi qu’elle leur offrira une couverture idéale, un « état de-du droit », auquel ils pourront toujours se référer, jusqu’à une page Wikipédia contemporaine (2), pour pouvoir se retrancher derrière des « valeurs », de « belles intentions », quoiqu’il en soit de ce qui advient dans la réalité – et, de ce point de vue, le « Code noir » adopté sous Louis XIV ne fera que répéter la geste catholique, comme plus tard, l’adoption de la « Déclaration des Droits de l’Homme » pourra toujours étouffer les cris des millions de victimes, exploitées, assassinées. C’est que le racisme est donné aux Européens, par l’Eglise, par deux sources conjuguées : l’affirmation d’un groupe humain, de nature, de valeur, supérieures, la « noblesse », et, en parallèle, la même affirmation d’un tel groupe par l’appartenance à la foi chrétienne. Du coup, la noblesse, chrétienne, se voyait être doublement valorisée, avec une « pureté du sang » mimétique d’une « pureté de l’âme ». Si « L’État précède la race. Il l’accouche. Il l’accouche d’autant plus précipitamment qu’il se forme dans une culture dominante ayant fait ses dents sur les Juifs et les musulmans d’Espagne, dans un environnement mental déjà acquis à des formes préraciales d’altérisation« , cet Etat est celui de l’Eglise.
Or, citoyenne française, de confession musulmane, Houria Bouteldja ne développe pas explicitement, dans le chapitre « l’Etat racial », sur les liens de cette genèse et de ce développement, des premiers Etats européens à partir d’un proto-Etat, l’Eglise, LA spécialiste des genèses et des croissances, l’Union Européenne en elle-même, avant même qu’une telle expression ne prenne corps, et ce alors que l’auteure n’hésite pas à parler de manière objective et critique sur l’actuelle « Union Européenne ». Pourquoi ne pas faire le lien entre ces Etats et l’Eglise ? C’est que les dirigeants de l’Eglise sont habiles pour suggérer, par leurs vêtements, leurs bijoux, qu’ils sont « trans-cendants » aux genres, comme des Anges sans sexe, mais aussi par leurs propos : le Souverain Pontife vise toujours les positivités maximales, « la paix », « l’amour », « la fraternité ». Ainsi, ils suggèrent que pour une telle Histoire, tragique, ils furent plutôt des accompagnateurs que des instructeurs. L’Eglise aurait suivi le mouvement de développement du capitalisme. Nous posons cette question : est-ce que l’Eglise n’a pas créée le capitalisme européen ? Parler explicitement de l’Eglise et du Christianisme en Europe, de la part d’une femme, franco-algérienne, musulmane, serait, pour l’extrême-droite, champ politique qui représente le plus la « conscience chrétienne » historique, de ces siècles lointains à notre présent le plus vif, un casus belli, et ainsi seul un homme, blanc, français, peut le dire, faire, sans attirer sur lui les mêmes expressions haineuses. L’existence politique en France d’un RN, et plus encore, d’un Reconquête, atteste de ces continuités, terribles. Ce qu’elle nomme sans nommer, est-ce un choix conscient ou inconscient de la part d’Houria ? Il faut reconnaître qu’elle a déjà subi des attaques violentes, y compris, au moins, une, physique. Elle « rend malade » les plus activistes de cette extrême-droite, parce qu’elle touche juste. Mais la vérité, cet autre nom de l’Etre, impose que nous parlions de l’Eglise, de son rôle dans la genèse du racisme comme de l’antisémitisme, dans la genèse de ces Etats, autrement dit de ces superstructures prétendument séparées des populations, avec des Ministres-cardinaux, des Intellectuels-théologiens, des moines-soldats, comme des soldats-moines. Ainsi, à notre époque, des Etats très chrétiens ont osé faire des guerres, qualifiées de « croisades » par certains de leurs dirigeants, contre des Etats arabes ou arabo-musulmans. Finalement, on peut estimer que la colère dans ces pays contre les responsables et coupables de ces guerres a été très modérée. S les populations européennes avaient subi de telles guerres pour les « redresser » politiquement, de la part d’Etats arabes ou arabo-musulmans, comment auraient-elles été perçues par ces populations ? Quelles « réponses », auraient-elles donné à ? Pour une guerre à la périphérie du territoire européen, on voit l’ampleur des réactions. Alors si la guerre était venue sur leur sol, de la part d’Etats considérés comme radicalement étrangers à l’Europe… Enfin, pour conclure provisoirement, la conséquence, pour la France, est que, par l’existence même de l’Etat, d’un tel Etat, construit sur ce modèle, l’Eglise, il n’y a jamais eu de séparation de l’Eglise et de l’Etat, puisque, pour qu’il y ait une telle séparation, il faudrait alors que l’Etat… disparaisse. (3) Le refus dogmatique du « séparatisme » se traduit objectivement par un rapprochement des dirigeants de l’Etat avec l’Eglise, y compris par la mise en avant de leur « foi chrétienne ». Et ce qui serait reproché à des citoyens musulmans est tout à fait autorisé à des « chrétiens » ou prétendus chrétiens, d’autant qu’ils prétendent aussi justifier cette mise en avant par leur foi elle-même, dans un cercle infernal…
(1) dès la première édition de « Du racisme social en France…« , devenue dans la seconde édition, « Du racisme social en Europe…« , le propos exprimé dans cet ouvrage a fait de la controverse une émanation et l’expression la plus claire, de la constitution du racisme. Cette affirmation, quant à l’importance de cette controverse, a été exprimée depuis plusieurs années sur ce blog. Houria Bouteldja confirme cette analyse en en faisant un moment décisif de la terrible Histoire européenne.
(2) une note récente publiée sur ce blog met en cause la page Wikipédia consacrée à cette controverse, en proposant le début d’une « contre-note ». Celle-ci sera poursuivi prochainement.
(3) sur ce blog, des notes sont souvent accompagnées par une vidéo, instructive. Et sur un tel sujet, il n’y a rien ! Autrement dit : sur une des principales forces politiques européennes, qui a tant contribué à cette Histoire, il n’y a rien ! Il y a des vidéos : ou elles sont là pour faire l’éloge de, ou une critique dogmatique, ou un récit partiel et partial. Ce silence traduit une absence objective de travail sur l’Histoire de l’Eglise catholique en Europe, son rôle stratégique permanent, l’étendue de ses influences…