Dans l’émission « C Politique », André Comte-Sponville a prétendu pouvoir considérer qu’il va de soi que la France est une « démocratie ». Pourquoi ? Parce que… Parce que, c’est « écrit dessus » : les affirmations des autorités sont paroles d’Evangile. Evidemment, nous ne connaissons pas beaucoup de système/pouvoir politique dans le monde qui s’auto-définisse en tant que « dictature », « tyrannie ». Les tenants de ces pouvoirs ont les yeux de Chimène pour eux-mêmes. Ils ont beau martelé que la France est une démocratie, la répétition de la répétition, ne produit aucune vérité, parce que ce qui n’est pas vrai dès le commencement ne peut pas l’être au bout de tant de répétitions. Mais alors, pourquoi est-ce que, avec la France, il y a un blême, quelque chose qui coince ? Hélas, le problème ne se limite pas à un fait problématique, la liste est très longue.
- le « démos » est une entité territoriale de petite taille, au sein duquel les habitants se connaissent, vivent ensemble, et décident ensemble. C’est ce qui se passe dans la plupart des pays du monde, grâce à des structures locales : communes, ou quartiers de communes, quartiers, organisations locales. Même si ces entités ont peu de moyens, à gérer, donc, pour lesquelles il faut décider, ensemble, des règles, des orientations, l’existence de ces moyens justifie ces soucis communs, par et pour lesquelles il y a des assemblées, des décisions.
- en France, le « démos » existe via les communes. La « démocratie », qui nécessite que les démos aient des relations entre eux, relèverait donc, logiquement, de l’intercommunalité
- dès lors, eu égard à ces bases, à ces « démos » qui font la démocratie française, l’Etat français tel qu’il existe, fonctionne, pense, agit, est anti-démocratique, puisqu’il le fait sans s’appuyer sur ces démos, sans les consulter, et qu’il leur donne des ordres, qu’il leur impose la reproduction du système constitutionnel au sein même des communes, avec le maire, la mairesse, président, présidente.
- la Constitution est responsable d’un système électoral, « représentatif », censitaire : non pas qu’il faille avoir des revenus pour voter (mais, concrètement, une partie de l’abstention peut s’expliquer par une très grande pauvreté), mais il en faut pour être élu. Si des organisations de gauche ont pu financer des élections, par la promesse, constitutionnelle, du remboursement des moyens engagés dans une élection, les partis « libéraux », ont des moyens supérieurs, par des dons supérieurs, provenant d’individus, familles, aisés. Le plafonnement des dépenses de campagne limite le pouvoir d’influence de ces financements, mais les citoyens ne sont pas sur un pied d’égalité. Il n’est pas possible, à un « simple » citoyen, de devenir président de la République. En principe, il en a le droit, mais en fait, c’est une fiction.
- La « représentation nationale » est, telle que définie par la Constitution, grossière : il n’y a pas trop d’élus, mais pas assez; les élus représentent trop de citoyens par circonscription, et donc, ils les représentent mal; et l’absence de prise en compte des réalités sociologiques dans le système permet à des catégories professionnelles, sociales, d’être sur-représentées, et d’autres, sous-représentées.
- les moyens nationaux scolaires, pour les populations des quartiers habités par des familles aisées sont supérieurs à ceux pour les populations des quartiers habités par des familles pauvres.
- les médias, moyens par lesquels les citoyens peuvent avoir conscience de tel ou tel fait, de tel ou tel problème, etc, sont entre les mains de milliardaires, de grands groupes, et favorisent les logiques et les personnes, des spéculations. Les citoyens, les partis et les mouvements qui sont opposés à ces logiques et ces personnes, sont désavantagés. Les finances publiques octroient donc plus à celles et ceux qui ont plus et inversement, alors que l’EGALITE exige(rait) l’inverse.
- Tout étant soumis aux législations, aux lois, le système judiciaire se situe au sommet du système politique. Le droit français est intrinsèquement bourgeois, favorise les plus fortunés, les personnes influences, est défavorable aux plus pauvres. Pour des délits, voire des crimes, contre les intérêts collectifs, 99% des décisions judiciaires les sanctionnent, mais, sauf exception, ne condamnent pas à la prison ferme les condamnés. Pour un vol de nourriture, les plus pauvres prennent des mois fermes. C’est ce que nous avons démontré ici. Les affaires les plus graves, par exemple, de corruption, ou ne sont pas jugées, ou sont jugées tardivement et partiellement, avec une systématique mansuétude. Comme il n’est porté aucun coup réel à la corruption réelle, celle-ci est donc croissante. Une législation anti-pauvres est actuellement en cours d’étude et de votes, à l’Assemblée Nationale, contre les locataires, pour bétonner le droit des propriétaires.
- Par des manifestations, des grèves, des combats civiques, etc, la majorité civique a fait connaître depuis 30 ans des soutiens ou des oppositions, à des législations, à une politique économique, comme en ce moment, contre la « loi retraites ». La plupart du temps, l’Etat a maintenu ses volontés, sauf exception, ou alors il a différé leurs réalisations, parfois en les découpant, pour les faire passer partie par partie, petit à petit. Le référendum de 2005 sur la Constitution UE a reçu une réponse négative, mais, par le traité de Lisbonne, le pouvoir politique français en a fait passer l’essentiel, contre la volonté de la majorité.
- la circulation sans risque, dans les rues, DANS CERTAINS QUARTIERS, n’est plus garantie, par l’octroi d’un « droit de tuer », pour un « délit de fuite ». Et ce, au nom d’une « sécurité » supérieure.
- les pouvoirs/droits policiers et judiciaires sont devenus très supérieurs à ceux des citoyens.
- des biens communs sont privatisés, n’appartiennent plus à la population dans son ensemble
- l’appartenance à l’OTAN place des soldats sous une autorité militaire étrangère, en échappant ainsi au contrôle national. La possibilité que la France n’ait plus des armées de professionnels n’a jamais été discutée. C’est ainsi que fonctionne la Suisse, laquelle n’a ainsi pas d’armées permanentes pour aller attaquer, des pays, des personnes. C’est ce que Jean Jaurès proposait.
- la gestion des finances publiques, en raison des cadeaux fiscaux donnés aux plus fortunés et aux grandes entreprises, est intimement liée à l’endettement, auprès de financiers privés, et la situation des finances publiques est instrumentalisée pour justifier un endettement augmenté, par l’affaiblissement constant de ces finances, et ce en raison des avantages explicitement octroyés par les gestionnaires de ces finances à la population la plus riche, alors qu’elle est structurellement avantagée, et inversement.
Ce qu’un André Comte-Sponville omet donc, ou de dire, s’il le sait mais préfère biaiser, ou de prendre en compte, ce qui, de sa part, puisque « baptisé » par tant et trop, « philosophe », est grave, c’est qu’une démocratie n’est pas un régime principalement déterminé par des libertés, parce qu’il l’est par un principe transcendantal d’EGALITE, principe qui domine, conditionne, les fameuses « libertés ». Or, dans un système politique qui ENONCE ce principe dans sa devise, mais, en pratique comme en théorie, doctrine, discours, NIE cette égalité REELLE entre les citoyens (puisque, quand elle est seulement abstraite, elle n’est pas réelle), par tant de faits/méfaits omniprésents, il faut donc conclure que la France, oui, n’EST PAS une démocratie, mais un système politique volontairement anti-démocratique. Ce dont nous avons une avalanche de preuves, dans le passé comme dans le présent. Les seules réalités démocratiques en France existent PAR et POUR le DEMOS, partout où il se trouve, s’exprime, agit. La France est donc une DEMOCRATIE par sa population, et une anti-démocratie (à caractériser), par son ETAT. Comme André Comte-Sponville n’a eu aucun mot sur les BASES, mais s’est contenté de se fixer sur la « représentation nationale », il a donc affirmé l’existence d’une DEMOCRATIE là où elle est explicitement niée.
» Aux États-Unis, où toute la régulation de la démocratie a été balayée par idéologie, le personnel politique ne répond plus qu’aux préférences des plus favorisés. En France, l’État a mis en place un système de réductions fiscales permettant aux plus riches de se voir rembourser la plus grande partie de leurs dons aux partis politiques, alors que les plus pauvres, eux, paient plein pot.
Ces dérives ne viennent pas d’un complot savamment orchestré mais de notre manque collectif d’implication. La question du financement de la démocratie n’a jamais véritablement été posée ; celle de la représentation des classes populaires doit l’être sur un mode plus radical » https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-prix-de-la-democratie-9782213704616
[…] Ce qui se passe en France ces dernières semaines fait connaître un commentaire social, politique, intellectuel, sur la Constitution. La mise en cause, sociale, radicale, de l’article 49.3, par le gouvernement, dans la procédure d’examen et de vote sur la loi concernant les retraites, concerne, au premier chef, son usage/invocation, hic et nunc, puis l’existence même de cet article qui, mal conçu, mal défini, a pu être « légalement » utilisé par le gouvernement, y compris contre « l’esprit des institutions » selon des experts de – sauf que « l’esprit » n’étant pas expréssément dans la lettre, le gouvernement peut balayer d’un revers de main ces interprétations pour se justifier par la lettre, toute-puissante. Et c’est aussi pour cela que cette Constitution a été, ainsi, écrite, si « mal » écrite, avec des généralités, l’absence de définitions, précisions, arguments, ce flou pas fou, afin de permettre à un gouvernement d’avoir le maximum de latitude, face à une assemblée nationale, rétive, résistante. Ce commentaire social, critique, est un acquis de cette période, alors que, ces dernières années, tant de citoyens se sont opposés à la politique gouvernementale, aux pratiques législatives, sans remonter jusqu’aux conditions de possibilité de ces mauvaises, orientations, décisions. Mais cet acquis est, comme tous les autres, fragile. Il peut, à nouveau, s’évanouir dans l’air de la vie sociale, qui connaît, qui est fondé sur, des changements climatiques. Texte, constitutionnel, sur texte législatif, cette loi et les autres lois, la majorité civique est assommée de diktats socio-économiques, puisque ces lois sont prises par et pour des groupes sociaux, intéressés par ce système et ces contre-réformes. Derrière ces lois et derrière cette Constitution, il y a une violence politique radicale, dans la mesure où ce sont nos existences qui sont contestées, « balayées » comme si elles étaient de la poussière sur un sol. Cette Constitution, ces législations, sont liées à une politique capitaliste constante depuis des décennies, qui a travaillé à briser les liens sociaux, communautaires, culturels, à faire des citoyens des auto-entrepris, pris dans les filets des réseaux capitalistes. Depuis 1958, les soutiens de cette Constitution ont voulu dépolitiser cette Constitution, comme si elle était un texte « neutre », respectueux de chacune, chacune, intégratif, au motif que l’appartenance à la communauté nationale est affirmée, supposée, reconnue. Or, si ce texte est si, superficiel, partiel, problématique, avec tant d’oublis, d’angles morts, de contradictions, ce n’est pas un hasard. Ses rédacteurs ont adopté un style sec, aride, avec des phrases courtes, avec des séries d’affirmations, sans la moindre argumentation. Ils en ont imposé un système politique, électoral, grossier, destiné à favoriser une aristocratie élective, comme l’explique parfaitement Dimitri Courant dans la seconde vidéo de cette note. […]