Vous trouvez ci-dessous un extrait de l’article de Médiapart : « Indiens d’Amérique: deux livres et une rage«
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Deux Amérindiens de notre temps : deux romans en vis-à-vis, l’un sur ses semelles de feutre et de vent qui capte la beauté des montagnes, le flanc d’une biche, le remous d’une rivière, l’autre dans le désordre, la picole, le fracas des cerveaux en feu navigant au tumulte d’une ville. Deux miroirs, l’un de la solitude et du rapport à la nature, l’autre du foisonnement et de la violence. Deux récits, la poésie à fleur de ligne. Indiens des champs, Indiens des villes avec deux territoires à l’opposé, la ferme dans la vallée de la Nechako et les rues d’Oakland, Californie, mais une forte conviction partagée, celle de la survie et de la reconquête d’identité envers et contre tout : « Nous sommes l’ensemble des souvenirs que nous avons oubliés, qui vivent en nous, que nous sentons, qui nous font chanter et danser et prier comme nous le faisons, des sentiments qui éclosent sans crier gare dans nos vies, comme une tache de sang », dit Tommy Orange en prologue, tandis que, pour le héros de Richard Wagamese, « il n’y a toujours eu que la nature, [s]on chez moi. Cette nature est [s]on souhait le plus cher, le plus fou, la seule prière et le seul temple dont [il] ai[t] jamais eu besoin ». L’intérêt pour les Autochtones connaît actuellement un regain de vitalité grâce au cinéma, notamment avec Warrior Women, grâce à une nouvelle série sur APTN-Canada, Native Princess, et à diverses études savantes sur la survie après les génocides. On les appelle, dans un lexique révélateur par ses tâtonnements, les Indigènes américains, des Indiens natifs d’Amérique, des Indiens-Américains, des Indiens des Premières Nations, des Indiens des réserves. Pour mémoire, Tommy Orange rappelle dans son prologue que dès 1621, Massasoit, chef des Wampanoags, est invité à un banquet réunissant Indiens et Pèlerins où se mêlent d’emblée poison et cessation de terres. Qu’en 1637, les quelques centaines de Péquots rassemblés pour la danse du Maïs Vert sont encerclés puis brûlés. L’histoire nous apprend aussi que dès 1776, le chef cherokee Dragging Canoe fait le lien entre la contraction des terres indiennes et les plans d’extermination de son peuple, un peuple victime aussi bien des Puritains que de la guerre de Sept ans ou des présidents Washington et Jefferson pressés de les chasser des terres de l’Est.
Richard Wagamese.Des violents massacres de la fin du XVIIIe siècle aux épidémies, aux campagnes génocidaires et déportations de masse de 1830 à 1850 jusqu’à la dernière guerre des Sioux, toute la colonisation puis l’expansion américaines les ont repoussés, dispersés et mis en pièces. Les Amérindiens comptaient en 1842 une population de 5 à 7 millions de NativeAmericans, ils sont aujourd’hui environ 3 millions. Orange et Wagamese parlent du présent, d’une population fragile et toujours traumatisée, à fort taux de suicide.Les deux romans paraissent en 2018, soit l’année qui suit, d’une part, la proclamation solennelle du président Trump de faire du 25 novembre 2017 le « Native American Heritage Day », et d’autre part, sa mainmise sur leurs terres. En effet, après ses guerres contre les casinos indiens, ses moqueries sur le massacre de Wounded Knee et le génocide, après l’épisode du pipe-line du Dakota et des atteintes aux ressources des Navajos, tombe la décision de réduire drastiquement la surface des réserves indiennes en Utah, en particulier les sites de Bears Ear, créé en 2016 par Barack Obama, et de Grand Staircase, créé par Bill Clinton en 1996, deux sites connus pour leurs trésors archéologiques et classés monuments nationaux. Il s’agit là de la plus grande atteinte à des sites protégés et d’une menace sans précédent pour l’avenir, si bien que l’hymne à la terre et à la vie prend ici tout son sens. Appartenant à la nation des Ojibwés, originaires du nord-ouest de l’Ontario, Richard Wagamese (1955-2017) a consacré son œuvre d’abord à son monde personnel avec Jeu blanc (2017), récit initiatique d’un jeune Amérindien confronté au racisme ordinaire dans un internat blanc, puis sur les glaces du hockey, sport national du Canada. Face à une telle volonté d’effacement des traces d’indianité, il lui faut trouver remède dans la performance physique, l’enracinement des sensations et des légendes. Avec Starlight, la figure est inversée, c’est le fermier indien Franklin Starlight qui, avec délicatesse et patience, initie une Blanche aux arts de la vie en forêt, lors de campements au cœur de la Colombie-Britannique. Ainsi Starlight est-il le héros adolescent du premier roman Les étoiles s’éteignent à l’aube (2016) devenu adulte, cet autochtone solitaire et silencieux qui entreprend par pure humanité l’éducation essentielle d’une fugitive démunie, en proie à la violence sordide des hommes blancs.