Antoine Perraud diagnostique, avec Zemmour, une nouvelle voix au zombie de France, l’extrême-droite anti-dreyfusarde, Drumont

Voici des extraits de cet article :  
« Nous pourrions nous contenter d’en rire : c’est chétivement pompeux et pompeusement chétif, comme du sous-Malraux surdéclamé : « Le conquérant d’hier est le conquis d’aujourd’hui et sera le conquérant de demain dans l’incessant flux et reflux de deux civilisations irréductiblement antagonistes. » Nous pourrions, à chaque page, jouer à une devinette calquée sur celles que proposaient les journaux du temps jadis : un musulman se cache dans ce paysage français, saurez-vous le retrouver ? Nous pourrions égrener sans fin les perles qu’enfile l’auteur : « Bossuet connaît ses classiques. »L’auteur va mal, tout fout le camp : « On ne comprend plus Napoléon. On ne peut plus le comprendre. » C’est presque aussi poignant que la constatation d’Alphonse Allais : « On a beau dire, plus ça ira, et moins on rencontrera de gens ayant connu Napoléon. » Zemmour devrait se méfier, mais il ne se méfie pas. Il écrit comme conduisait son papa « installé dans la DS » « D’une main nerveuse, voire brutale. » Notre essayiste se débat dans un spleen baudelairien. « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel », se désolait le Poëte. Ce qui donne, sous la plume de l’auteur de Destin français « Je ne reconnais pas, moi non plus, les quartiers où j’ai passé mon enfance et ma jeunesse. » Le voici qui enfonce le clou : « À Montreuil, on a l’impression que la ville vit sous permanente transfusion malienne. » (…) Destin français s’avère réquisitoire itératif, avec l’islam en ligne de mire. Du temps de La Chanson de Roland(« L’Europe médiévale comprend qu’elle est avant tout chrétienne parce qu’elle refuse de devenir musulmane »), comme en ce terrible aujourd’hui : « Ce n’est pas un hasard si Israël est haï depuis des décennies par une gauche française postchrétienne et postnationale qui, après avoir vénéré l’Union soviétique de Staline et la Chine de Mao (certains de leurs aînés n’avaient pas hésité à collaborer avec l’Allemagne de Hitler), s’est soumise à l’Islam comme ultime bannière impériale pour abattre les nations. C’est la France qu’ils vomissent en Israël. La France d’antan et la France éternelle. » Ce n’est plus le chagrin et la pitié ; c’est le délire et le tocsin ! Tous les amalgames sont permis au nom d’une prétendue concordance des temps qui sent son placage infécond. Ainsi, au sujet du pape Urbain II, qui lança la première croisade à la fin du XIe siècle, Éric Zemmour écrit : « Il en va de la survie de l’héritage de l’Empire romain et de l’intelligence grecque, rassemblés et sublimés dans leur synthèse chrétienne. Il en va du destin de l’Europe. Urbain II l’a compris. Le temps presse. La vague islamique déferle. » (…) Ce faisant surtout, M. Zemmour rejoint l’idée fixe et la rhétorique jadis affichées par Édouard Drumont dans La France juive (1886). Destin français aurait pu et dû s’appeler La France musulmane. Même ramassis de fantasmes surchauffés en guise d’appréhension conspirationniste d’un monde menacé dans ses fondements. Même réalité pervertie par des hantises tenant lieu de lucidité. Même culte d’un âge d’or monarchiste. Même crainte d’une déchirure irrémédiable de la nation sous les coups de butoir d’un ennemi intérieur, inassimilable – conquérant impénitent et incorrigible étranger : il faut l’éliminer ou périr. Même façon, enfin, de prétendre écrire l’histoire alors qu’il ne s’agit que d’historiettes, d’exempla alignés pour y accrocher angoisses et fureurs, mythes et prêches faux ou approximatifs, qui se présentent comme la libre parole non encore étouffée par l’esprit de soumission. Il y a passation de cauchemar entre Drumont et Zemmour, avec un transfert des juifs aux musulmans. Et c’est vertigineux… Pour devenir un Drumont juif antimusulman, Éric Zemmour a dû faire allégeance à une France forte et coercitive qu’il porte aux nues, comme il l’explique dans Destin français « Un jour, mon grand-père paternel me montra un des timbres qu’il collectionnait. Un combattant à la mine farouche, la tête surmontée d’un turban, brandissait un fusil. Un seul nom barrait l’image : Zemmour. C’était une tribu berbère célèbre, m’expliqua le vieil homme. Une des dernières à se soumettre à la France, bien après la prise de la smala d’Abd-el-Kader, que j’avais étudiée à l’école. Mon sort se compliquait : j’avais été colonisé par la France, et j’avais même farouchement résisté à l’envahisseur. » (…) Il est pousse-au-crime. Il frétille à l’idée que soit enfin tranché le nœud gordien de l’islam, par une force avisée qui s’aviserait, tout compte fait. Jacques Soustelle (1912-1990), l’ultra de l’Algérie française, est hissé sur le pavois au dernier chapitre, qui revient sur la hantise des « prénoms coraniques ». L’ouvrage engage à mater tout ce qui bouge, dépasse, trouble l’ordre de fer appelé de ses vœux par un auteur frénétique, prêt à devenir sans foi ni loi – au nom de sa foi en la République et des lois de la nation. Destin français ameute. Il sent la vengeance. Il est gros de crimes absous d’avance. Il livre des listes : « Deux catégories de mâles échappent pourtant à cette criminalisation du désir : les gays et les immigrés venus des pays musulmans. La vieille alliance entre les féministes et les homosexuels masculins s’est étendue aux mouvements anti racistes. »Ces lignes ne produisent-elles pas, déjà, l’effet d’une rafle symbolique ?

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