C’est par le 8ème chapitre que Patrick Tort traite du cas d’un « nazi français passé par l’Amérique », sommité de son temps, Alexis Carrel, et ce pendant une période où, écrit-il pour commencer cette partie du livre, « Les Etats-Unis ont ainsi précédé, inspiré et financé le nazisme avant de le combattre », et, dans la précédente note, il a fallu rappeler les conditions exceptionnelles qui ont présidé à cette orientation dans une guerre contre l’Allemagne nazie, alors que tant ont travaillé à une autre orientation, l’alliance avec l’Allemagne nazie. Si l’Internationale eugéniste/raciste est dominée avant tout par des Américains et, en second, par des Allemands, les Français ne sont pas en reste, d’autant qu’ils ont contribué à l’élaboration de doctrines racistes (Gobineau, Vacher de Lapouge), à la mise en cause publique des Juifs à la fin du 19ème siècle, avec la faction de Drumond, via l’affaire (1) Dreyfus, à un discours anti-étrangers (de racisme social et racisme) porté par l’Action Française, et ce en lien avec leur politique coloniale (statut de l’Indigénat mis en place dans les colonies françaises entre 1834 et 1881, exploitations capitalistes forcenées, exécution des résistant(e)s). Autrement dit : si les eugénistes racistes américains sont les meilleurs publicitaires (et pour cause) de ces théories-pratiques, si les eugénistes racistes allemands sont, en parole puis en action, les plus violents, les Français sont, comme à leur habitude, les aristocrates de, pour dire des horreurs tout aussi stupides et lamentables que leurs amis américains et allemands, mais avec « style », « élégance », « vêtus chic » (comme à l’Assemblée Nationale actuelle…), des doctrinaires, qui endoctrinent tant (comme nous l’avons encore vu en France ces dernières années).
Alexis Carrel est un médecin chirurgien (et nous avons vu à quel point l’eugénisme a été porté par des, mauvais, « savants », « scientifiques », narcissiques, adeptes d’un scientisme qui a confondu savoirs scientifiques et vérités révélées). Exilé, en raison de ses échecs en France, aux Etats-Unis depuis 1904 , il fut invité au congrès de l’Association des médecins de langue française en Amérique du Nord, où il fit sensation. Un poste lui fut immédiatement proposé à l’Université de Chicago. Moins de deux ans plus tard, il est recruté par l’Institut Rockfeller pour la recherche médicale, avec un emploi qui dure jusqu’à la fin de sa carrière. Il y bénéficie de fonds importants, comme de moyens matériels, dont il décide de la composition et de l’usage. En 1912, à 39 ans, il est lauréat du prix Nobel de médecine pour « ses travaux sur la suture des vaisseaux et les transplantations d’organes. » (2). Il devient alors une célébrité, célébrée. « A partir de 1930 commence sa collaboration étroite d’environ 5 ans avec l’aviateur Charles Lindbergh (…) », lequel finit par recevoir, le 18 octobre 1938 « des mains de Göering la croix de l’ordre de l’Aigle allemand », distinction créée par Hitler pour « honorer d’éminents sympathisants étrangers », comme Henry Ford, lui-même récipiendaire de la même « croix », quelques semaines plus tôt. L’inimitable page Wikipédia évoque, et on sent l’émotion, le fait que « ces deux hommes partageaient outre l’amitié, de nombreux domaines intellectuels, tant scientifiques que spirituels », sans parler clairement de leur admiration et soutien pour le nazisme. Entre temps, Carrel a été élu membre de l’ «Académie supérieure allemande des naturalistes ».
Agent de l’Action Littéraire néfaste, cette écriture des principes-catastrophiques, Carrel est l’auteur de « L’homme, cet Inconnu », dont la diffusion est sponsorisée par des maisons d’édition dont « l’éthique » est seulement le capitalisme (!), Plon en France et Harper aux Etats-Unis. La thèse de ce torchon fait entendre ce qui est « son combat » : lutter contre la « dégénérescence couru par les nations civilisées de l’Occident du fait de « l’extinction des meilleurs éléments de la race » ». Aujourd’hui, il passerait sur une chaîne de télévision pour bavasser en tête à tête avec un éditocrate gollumesque, en dissertant sur eux-mêmes, ces corps et âmes bien nés. Il s’entendrait comme larrons en foire, contre la « psychanalyse », mais aussi contre « l’homosexualité », ce qui ravirait son ami éditocrate. S’il constate l’association entre « maladies mentales » et « races blanches » (pour nous, les Blancs), il en attribue la faute à une « sélection naturelle qui ne joue plus » – et, évidemment, pas aux politiques violentes menées dans les pays européens et aux Etats-Unis. Aujourd’hui, porté par ce que d’aucun appellent « le courage de la dissidence », Carrel poserait la question, « sans tabou », pas « politiquement correct », comme il le fit dans son opus, à savoir pourquoi « augmenter la durée de vie des gens qui sont malheureux, égoïstes, stupides et inutiles », sans jamais se poser la question sur le fait que cette description pouvait parfaitement lui correspondre, à lui et à ses amis, à la seule exception du « malheur », puisqu’il était très heureux, avec eux, de préparer les futurs malheurs de tant. Pour Carrel, il faut pouponner une nouvelle élite, conditionnée par une sélection génétique rigoureuse, et par un « dispositif socio-éducatif propre ». Ses diatribes contre « l’égalité » (juridique, des sexes), semblent avoir inspiré celles d’un éditocrate aventurier contemporain, féru de picrocholines « reconquêtes ». En complément de cette genèse d’individus supérieurs « il convient, à défaut, de pouvoir détruire les inférieurs, d’exagérer les inégalités, et non de les réduire ».
Carrel paraphrase le nazisme dans le texte, lequel paraphrase des auteurs américains, et tout ce petit monde se copie et se répète, puisque le corps doctrinaire est extrêmement mince : « La constitution par l’eugénisme » de ce que Carrel appelle une « aristocratie biologique héréditaire » est l’objectif, absolu. Dans la foulée, Carrel préconise ni plus ni moins l’usage de « gaz appropriés », sous la gérance d’un « établissement euthanasique », afin de traiter les cas de ceux « qui ont tué, qui ont volé à main armée, qui ont enlevé des enfants, qui ont dépouillé les pauvres » (il faut bien paraître avoir le souci des pauvres, alors que toute la pensée de Carrel est tournée vers leur écrasement ou leur esclavage), « qui ont gravement trompé la confiance du public ». Et pour l’édition allemande de ce livre-poison, publié en 1936, Carrel salue les dispositions imposées par le gouvernement allemand. Il n’hésite pas à confirmer ses rêves homicides : « La solution idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éliminé quand il s’est montré dangereux ». Des Français dictent le racisme social et le racisme, ces Allemands s’en font les exécuteurs. Début 1938, il adhère, avec d’autres intellectuels, à ce qui leur semble être le NSDAP français, le « parti populaire français » (de Doriot). (3) Inspirés par le « philanthropisme » de Carrel, Hitler signe, le 1er septembre 1939, alors qu’il engage la guerre en Pologne, un décret « à l’effet d’accorder la délivrance par la mort aux personnes qui, dans les limites du jugement humain et à la suite d’un examen médical approfondi, auront été déclarées incurables » (et on voit à quel point aujourd’hui, la défense, en France, de l’euthanasie, est un sujet également porté par des eugénistes/racistes sociaux, dont il faut mesurer que les apparentes bonnes inventions paveraient un nouvel enfer, si…). Sur la base de ce principe, et c’est nous qui résumons, « nous vous tuons pour votre bien » ET pour notre bien, ce qui va suivre dans la guerre, avec, «la Shoah par balles » puis par l’extermination dans les camps mis en place à cet effet, a donc été « sponsorisé » par le militantisme de Carrel. En France, les enfermés d’office dans les asiles subiront une autre forme d’élimination, sans une seule action : en les affamant. En 1941, revenu en France, l’américanophile qu’il est ne rencontre aucun problème avec les autorités pétainistes, lesquelles, au contraire, le soutiennent, pour qu’il crée et dirige, à Paris et en région parisienne, une « Fondation française pour l’étude des problèmes humains ». Et il se met à « l’oeuvre ».
S’il n’a pas participé à la conférence de Wannsee, s’il n’y a pas contribué, à distance, par des recommandations, en l’état de nos connaissances actuelles, le programme de la « solution finale » conclut qu’il faut utiliser une méthode industrielle pour mettre à mort de manière massive les Juifs d’Europe encore vivants, ce qui correspond à la suggestion de Carrel avant même le début de la guerre. Avec sa « fondation », il entend traquer et faire expulser du « corps français », les « éléments tarés », distinguer entre les bons et les mauvais immigrés, par leurs caractéristiques raciales, les premiers étant assimilables, les seconds devant être tenus à distance. Mais Carrel n’est pas en le domaine initiateur, mais copieur zélé, de l’américain Laughlin qui, presque 20 ans plus tôt, formulait ce programme « dans la plus grande démocratie du monde ». Quand, dans ses écrits, il en vient à exprimer des intentions criminelles, voilà qu’il use de mots « appropriés » pour dire, sans pour autant parfaitement et clairement dire : des étrangers non assimilables, il recommande qu’ils soient placés « dans des conditions appropriés à leur génie ethnique ». La fin de la guerre est aussi celle de la vie de Carrel, qui meurt le 5 novembre 1944. Or, bien qu’il fut un de ces intellectuels tragiques qui ont jalonné l’Histoire de l’Europe depuis le début du Moyen-âge, bien que son influence, en France et hors de France, fut, majeure, qu’il travailla par et pour des eugénistes-racistes, qu’il eut des amitiés incontestables, proactives, avec des nazis allemands, américains, Carrel a tellement disparu de la mémoire et des représentations, françaises, qu’un simple test de connaissances le concernant auprès de Français jeunes ou moins jeunes aboutirait à des résultats presque nuls. Et l’historiographie dominante n’y aide pas, puisqu’elle lénifie, euphémise, prétend exonèrer par le contexte. Patrick Tort termine ce chapitre édifiant (un de plus), en rappelant l’affaire de la controverse de la référence du FN à Carrel en tant que « père de l’écologie ». Aidé par Lucien Bonnafé, Patrick Tort avait déjà proposé une synthèse sur le parcours, les « idées », de Carrel, dans un petit livre, « L’Homme, cet Inconnu, Alexis Carrel, Jean-Marie Le Pen et les chambres à gaz », dont la diffusion a permis de faire débaptiser des rues, une Faculté, attribuée à Carrel. Le cas Carrel illustre parfaitement une « dégénérescence » : sa réflexion, ses propositions, politiques, copient la logique platonicienne, énoncée dans « Politeia », SAUF QUE, pour Platon, les « meilleurs » ne le sont pas à priori, par une sélection raciale, mais le sont parce qu’ils le démontrent, confrontés à des faits fondamentaux, comme l’attraction des richesses, auxquelles ils sont insensibles (alors que pour les nazis comme pour leurs séides, l’argent d’une économie capitaliste est un enchantement). Apathiques, ils ont pensé qu’ils allaient devenir les meilleurs, par la séparation/disparition de celles et ceux qu’ils affirmaient ne pas l’être, ou même selon un étrange paradoxe, qui les menaçaient, eux, ces Surhommes à talons d’Achille. Les accusations d’un Popper, par ailleurs théoricien et activiste pour le néo-libéralisme, contre Platon sont connues et sont ridicules, puisqu’il a confondu le projet platonicien, visant une cité idéale sans exclusions identitaires (seuls les artistes-copieurs sont un grave danger pour Platon, et c’est donc un comportement et des conséquences de ce comportement qu’il rejette) et sans esclavages, avec le nazisme qui fut tout le contraire. Par voie de conséquence, le nazisme est devenu le « meilleur » argument contre les projets/intentions/rêves d’une « cité idéale », réduite à ce totalitarisme. Mais seuls confondent les confus.
- mal nommée, puisque, si, à l’époque, elle fut ainsi nommée par référence au primo-accusé, ce fut avant tout l’affaire de l’armée française ou l’affaire Esterhazy
- en 1913, le prix Nobel de médecine a été décerné à Charles Richet pour ses travaux, synthétisés 6 ans plus tard dans son ouvrage eugéniste « La sélection humaine ». Il faudrait examiner ce que furent les prix Nobel de ces années d’avant guerres.
- On est jamais déçu par les pages Wikipédia. Après celle consacrée à la « controverse de Valladolid », celle de D.S. Jordan, celle consacrée à Carrel le présente en introduction de cette manière : « Pionnier de la chirurgie lauréat du prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1912 (…) S’étant fait mondialement connaître par la publication de L’Homme, cet inconnu en 1935, il sonna le déclin de la civilisation, et dans l’optique de résoudre cette difficulté, proposa l’eugénisme volontaire. » En outre, la page Wikipédia ajoute qu’il «fut renommé pour son expérience du coeur de poulet battant in vitro » (dans un milieu artificiel pendant une trentaine d’années), alors qu’aujourd’hui, écrit P. Tort, «l’on ne sait pas exactement si les « résultats » de Carrel, qui furent annoncés par la presse à l’époque, sont dus à un subterfuge ou à une erreur sincère ». Toute la page est un panégyrique. « À cette époque-là, de nombreux chercheurs tentaient de l’imiter, toujours en vain. »