Entretien avec « Chronik », commentaires aux questions/réponses

Les responsables de la revue « Chronik », pour laquelle ils ont un site (actuellement en travaux) et une page chez Médiapart, ici, ont publié un entretien, à partir de l’ouvrage paru cet été, « Racisme social… » (cf. les présentations déjà publiées sur ce blog, en attendant de nouvelles). Evidemment, à chaque question, chaque réponse est une synthèse, qui fait référence au livre (et à des livres écrits par d’autres), à des connaissances, à des discussions, académiques ou non, qui ne peut contenir une démonstration de chacune des affirmations. C’est pourquoi cette première note est publiée, pour apporter des commentaires, des compléments, afin que ces affirmations soient pleinement justifiées, expliquées. L’étendue de ces commentaires, compléments, conduit à une publication en plusieurs notes.

Des Etats, nous connaissons tant de faits, et nous connaissons également diverses publicités, ou dénonciations. L’une d’elles est connue avec le terme de « totalitarisme », dont l’exploitation a été assurée par le célèbre ouvrage d’Hannah Arendt, pour cibler de manière spécifique deux Etats, l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique. L’ouvrage de Patrick Tort, « Du totalitarisme en Amérique », contredit l’ouvrage d’Arendt, en propose une critique radicale, argumentée. L’autre est connue avec la formule, largement diffusée sur les réseaux sociaux, de « contrôle social », et beaucoup en attribuent la conception et la pratique à la Chine populaire, avec les moyens de surveillance et le « crédit social ». Or, il apparaît que cette mise en perspective est partielle. En effet, dès lors que, dans l’Histoire européenne, un processus, politique, financier, a abouti à la constitution d’un Etat (et, selon notre propre travail en Histoire, le proto-Etat européen, matrice des autres, fut l’Etat catholique, le Vatican, à partir du 6ème siècle ap-J.C), tout Etat implique un projet et sa réalisation, d’un contrôle social total, de visée, totale, qu’il s’agisse d’une intention, sans capacité de réaliser celle-ci, ou que ce projet ait été partiellement réalisé. Aussi, l’étude de l’Histoire des Etats européens oblige à constater qu’ils ont eu ce projet, ce sens, le contrôle social total, et qu’ils l’ont mis en oeuvre, avec des « réussites » diverses. La Police, dont le nom est un synonyme même de l’Etat, avec ses services divers, officiels ET réels (par exemple, toute une partie de la « presse » peut légitimement être considéré en tant que tel, service de renseignement, service d’action/neutralisation contre des individualités, etc), accomplit une part de cette intention, et, pour une autre part, les « sciences » (humaines) ont également donné des informations et des moyens sur les populations dominées, les sciences physiques ont donné des techniques de coercition. Là où tant de vies humaines échappaient aux Etats, les Etats se sont constitués dans l’interdiction d’une telle possibilité et d’une telle prétention, en annexant toutes les vies, et ce pour une « mobilisation générale », sur le modèle des armées, en alerte ou en marche. Et les maîtres des Etats ont conçu les populations dominées sur le modèles des animaux domestiques, en tant que moyens, mais aussi sur le plan de leur « être », des êtres inférieurs, qu’ils l’expriment en basse intensité ou qu’ils le disent à haute intensité. Dans de telles structurations, il n’y a pas de place pour la « liberté », puisque chacun est assigné à une « place », une fonction, qu’il/elle soit explicitement un(e) fonctionnaire, ou autre chose que. Mais le problème pour de tels dirigeants, c’est que celles et ceux qu’ils conçoivent ainsi comme des animaux à mener par le bout du nez, n’aiment pas s’entendre qualifier comme tels. En outre, les qualifier ET les traiter ainsi, a pour conséquence pénible que les « animaux » se rebellent.

La « pacification » des sentiments est donc un sujet central, dans la « politique » de ces Etats. Pour cela, il faut donner le sentiment d’un respect, et les Européens ont trouvé une arme fatale, donner l’impression à ces « animaux » (1), qu’ils n’étaient pas considérés comme tels, qu’ils étaient respectés, en leur attribuant une indétermination ontologique, la « liberté », indétermination revendiquée par les dirigeants européens pour justifier leur orientation vers la puissance économique privatisée. Ce drapeau ploutocrate, la « liberté », les ploutophiles en ont assuré la transposition, « transsubstantiation », en faisant de chaque, un, un « sujet » (alors que, à l’époque, le seul qui « avait des sujets », était le Roi), en favorisant ainsi un narcissisme étendu, en le faisant passer des gens « importants » (autoproclamés comme tels) aux « autres », et la pensée « philosophique » a joué un rôle important dans ce travail d’influence idéologique, en parallèle de la constitution du « droit libéral ». Pour pouvoir juger chacun à chaque instant, encore fallait-il lui attribuer une « liberté », totale, condition de sa responsabilité. Mais dès lors que les nouvelles instances judiciaires qui ont été créées à cet effet ont eu à juger des accusés, les procès ont permis de constater que les mis en cause étaient massivement des pauvres, des réprouvés, des « sans totem d’immunité », et que, à l’inverse, les personnes avec noms, titres, liens sociaux avec des personnes tout aussi importantes, n’étaient pas si souvent jugées, et c’est un euphémisme, et quand elles l’étaient, l’étaient différemment, avec une mansuétude, structurelle. Et du 17ème à aujourd’hui, les procès proposent une continuité de racisme social, comme nous le voyons chaque jour, dans la France « républicaine ». 

Les Etats qui se sont constitués après l’an mil, et plus encore à partir du 17ème siècle, ont continué de concevoir les humains en fonction de la différenciation maîtres/esclaves, même lorsqu’ils ont dû mettre la pédale douce sur cette désignation des travailleurs-producteurs, en tant que tels, « esclaves », MEME lorsqu’ils ont dû déclarer une officielle « fin de l’esclavage », comme nous en avons vu la reproduction avec les fausses « fins des colonisations ». Là où Rois et noblesses incarnaient, avec leur morgue « naturelle », le mépris envers ces serviteurs, « serfs », les successeurs bourgeois ont navigué entre le principe de ménager les formes et l’expression de la force brute, sur le modèle aristocratique, mais pour les uns et les autres, il y avait, il y a et il doit y avoir des… « serviteurs ». Point. Il s’agit-là d’un dogme politique, du dogme politique, de la ploutocratie. Celui que, en quelques mots d’une pénible clarté, Aristote a explicité : il y a les maîtres et il y a les esclaves. Mais les conditions et les effets de l’esclavagisme occidental ont été tels qu’ils ont fini par le rendre universellement, profondément, détestable et détesté – parce que l’esclavage « intelligent », habile, rusé, obtient aisément une obéissance sans remise en cause de, parce que les esclaves ont tellement de bonté qu’ils envisagent rarement, avec de grandes difficultés, de s’en prendre à leurs maîtres. Contestations, révoltes, sont l’ordinaire de ces Etats ploutocratiques, et c’est pourquoi leurs forces armées sont si nombreuses, réparties, reliées, actives. Les maîtres ont fini par comprendre qu’un risque réel de subversion, totale, les menaçait, et, en Europe, au 19ème siècle, le nom des plus radicaux, motivés, était connu en tant que « communistes ». Ceux-ci osaient concevoir des nouvelles communautés, dans lesquelles l’égalité serait au principe de tout et notamment de la légalité. Les VIP se voyaient promettre une disparition : comme un certain empereur chinois, ils pouvaient, du jour au lendemain, se voir contraint de devenir des jardiniers, de travailler au champ, etc. Il fallait donc agir et réagir.

Et entre le 19ème et le 20ème, c’est ce qu’ils ont fait, et leur plus importante colonie, les Etats-Unis, a joué un rôle décisif, et continue de le faire, dans cette défense de l’ordre européen, ploutocrate et chrétien. Le marxisme a-t-il été un adversaire/ennemi résolu de cet ordre ? De son vivant, Marx a été absorbé par son travail théorique. S’il a suivi les évènements de ce monde, a eu des échanges épistolaires, a contribué à la naissance de la première Internationale, il n’a pas vu naître les premiers grands vents de l’Histoire qui allaient faire le 20ème siècle. Et « le » marxisme n’existe pas, puisqu’il y a des lectures, interprétations, usages, divers, des oeuvres de Marx. Pour une part, son propos a reproduit, répété, transposé celui de Platon, dans un sens original, puisqu’il a considéré, avec Engels et leurs amis, que les gardiens de la cité-communauté devaient être les prolétaires, des prolétaires nouveaux, instruits, formés, communistes. Il a donc supposer que l’expérience communiste, dès lors qu’elle parviendrait à imposer une dictature du prolétariat, serait le fait de travailleurs qui, entre le début de cette Histoire et la fin, ne seraient plus les mêmes : ils passeraient nécessairement de prolétaires, avec leur expérience de l’exploitation capitaliste, à celui de maîtres d’eux-mêmes. De ces présupposés, nous savons qu’il ne les a pas explicités, travaillés, pour la bonne et simple raison qu’il ne pouvait pas faire un tel travail à lui seul, qu’il a tellement travaillé, intellectuellement, donc physiquement, qu’il a fini sa vie, épuisé – un travail qu’il a pu faire grâce au soutien de sa femme, de ses filles, de ses amis. Mais son oeuvre n’a pas donné un prêt-à-faire, avec une FAQ, et des réponses à chaque question. Il y a tant de questions, de sujets, qu’il n’a pas travaillé. Les marxistes ont donc dû faire avec, une oeuvre énorme ET partielle, en créant leur interprétation, théorique et pratique, de celle-ci. Il est connu que les communistes, dans le monde, ont fait des choix différents, ont agi différemment, ont connu des résultats différents, et qu’il y eut même au sein de leurs groupes, des faussaires, et ce tant en raison d’un principe humain universel, que par l’influence étendue des ploutocraties occidentales, jouant de divers moyens pour obtenir que tel ou tel les serve, en échange de faveurs spéciales. De la mort de Marx jusqu’à aujourd’hui, la performance communiste a été, globalement, brève, sauf exception, et les exceptions sont connues, rassemblées pour l’essentiel en Asie du Sud-Est. Brève, puisque l’URSS, pour ne prendre que cette fédération, a duré 69 ans seulement, ce qui, quand nous rapportons cette durée à l’Histoire humaine, est infime. Une personne née en Russie en 1917, année de la fameuse « révolution d’octobre » a ainsi pu connaître la création et la fin de l’URSS. Si le marxisme a bien été la référence, matrice, de l’expérience soviétique, il faut donc constater que l’oeuvre comporte nécessairement des manques et des problèmes. Il ne faut pas oublier que l’URSS a été une entité vivante, dans un cadre humain universel, dans lequel des ploutocraties étaient vent debout contre cette expérience. La fin de l’URSS a nécessairement eu des causes internes et des causes externes, et les ploutocraties occidentales se sont fait gloire, avant 1991 et après 1991, d’avoir conduit une guerre spéciale, totale, contre l’URSS, avec, notamment, la « guerre froide », qui n’est qu’une partie de cette guerre. Et ce parce que les dirigeants de ces ploutocraties n’ont jamais accepté l’existence même de cette variation politique, de cette « contradiction », et, en bonne logique sectaire, il fallait choisir entre « eux » ou « nous ». Au sein de ces ploutocraties, les forces, les partis, « communistes » étaient cernés, pesaient peu, faisaient l’objet d’un contrôle politique sévère. Il fallait empêcher partout, l’expansion. Il faut constater la réussite de ces « contre-mesures ». Un travail spécifique doit être consacrée à leur identification, liste, analyse. Elles ne réduisent pas à des actions d’agents secrets. Une part essentielle s’est jouée dans les pratiques sociales et économiques, la « culture ». Il fallait fasciner, faire intégrer les principes, les représentations, les perspectives, ploutocratiques : faire aimer l’enrichissement financier, quelle que soit sa source, son étendue, quelles que soient ses conditions.

(1) Evidemment, l’auteur de ce texte ne considère pas que ces personnes humaines étaient des animaux, méritaient d’être, mal, traitées, comme le sont les « animaux », dans ces cultures… « domestiques », de domestication. Utiliser cette expression telle quelle, a pour objet de rappeler l’existence de cette façon de penser, sa brutalité, son caractère injustifiable, puisque les personnes qui ont ainsi pensé, pensent ainsi, refusaient, refusent, ELLES, d’être traitées comme telles. Après, fondamentalement, philosophiquement, NOUS SOMMES des animaux, les animaux sont nos frères de VITALITE, et en soi, il n’y a aucune honte d’être associés aux animaux. Mais quand le racisme social sévit et veut considérer AINSI des êtres humains, nous savons ce que cela implique en déshumanisation/moindre humanité de…

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