Ci-dessous, nous publions un extrait de l’article/entretien entre Médiapart et Robert Lüdecke :
Comment voyez-vous l’attaque de Hanau ?
Robert Lüdecke : C’est d’abord l’une des attaques racistes parmi les plus meurtrières et terribles depuis 1945. Au-delà du caractère tragique de l’attentat, son caractère spontané et imprévisible frappe les consciences. Nous sommes en présence d’un tueur d’un type nouveau qui se nourrit des idées d’extrême droite et des milieux complotistes, sans forcément être en contact avec eux. Il se fabrique son mélange idéologique tout seul, via Internet, et il agit selon son propre calendrier. Comme chez Anders Breivik et Brenton Tarrant [les terroristes d’Utøya et de Christchurch – ndlr], on retrouve le désir plus ou moins marqué de devenir un héros exemplaire qui ne fait qu’accomplir ce qu’il pense être la volonté du peuple. Il publie ainsi une vidéo et un manifeste avec le souhait de faire des émules.
Votre fondation a été créée à la suite des premiers meurtres racistes qui ont suivi la réunification. Des pogroms de Rostock en 1992 à l’attaque de Hanau en 2020, comment s’est développée l’extrême droite en Allemagne ?
Après la réunification, il y a l’émergence d’une nouvelle identité est-allemande qui se construit un peu contre tout le reste et notamment les étrangers. À Rostock, nous avons ainsi des gens « normaux », pas forcément d’extrême droite, qui vont manifester contre des travailleurs immigrés vietnamiens qui habitent dans leur cité. Quand la police préfère évacuer l’immeuble, leur départ est applaudi par les habitants du quartier. Un des parallèles avec ce qui se passe maintenant, c’est le fait que l’Allemagne connaît alors un fort afflux de réfugiés en provenance des Balkans. Déjà à l’époque, c’est la solution de la droite qui l’emporte : le pays durcit et restreint son droit d’asile. Cette réaction conduit à conforter l’extrême droite dans ses positions. Elle connaît un net regain à la fin des années 1990 avec le NPD qui tente d’unifier les différents micropartis existants. Les politiciens conservateurs, qui détiennent souvent le maroquin de l’intérieur dans les Länder, ont par ailleurs une vision assez simpliste des jeunes d’extrême droite, que l’on considère un peu comme des jeunes frustrés faisant une crise d’adolescence certes un peu extrême, mais qui passera. À cette époque, beaucoup d’argent est dépensé pour créer des structures associatives qui peuvent les accueillir et les occuper. Or, c’est exactement dans ce milieu que le trio terroriste de la NSU se forme. De même, les services de renseignement intérieurs pensent dur comme fer qu’en infiltrant ces milieux avec des indics, ils pourront les contrôler. Or, on sait depuis que ceux-ci ont souvent joué double jeu et que l’argent débloqué pour les payer a surtout servi à financer une partie des réseaux d’extrême droite.
Cette inconscience est-elle toujours de mise ?
En partie, oui. Il y a un refus de voir. Prenez le procès récent du groupuscule terroriste de la NSU, coupable de neuf assassinats entre 2000 et 2007. On y a constaté que tout était fait pour ne pas éclairer les nombreuses bévues policières, voire les complicités. Prenez aussi l’exemple du réseau international Combat 18, qui agit en support, notamment dans le cas de l’assassinat du préfet Walter Lübcke en juin 2019. Nous demandons depuis longtemps son interdiction. Mais il faut plus de six mois au ministre conservateur de l’intérieur Horst Seehofer, qui a préalablement annoncé l’interdiction à venir, pour neutraliser et interdire le réseau. Ce qui veut dire qu’ils ont eu tout le temps de changer leurs planques, de cacher les armes et l’argent, voire même de créer une nouvelle structure…