“Histony” versus Guillemin : le cas “1789, silence aux pauvres”, note 3

Histony commence son analyse critique du texte de la manière suivante : « Dans ce premier chapitre, Henri Guillemin veut prouver que 1789 fut avant tout un basculement désiré par les possédants pour leur propre avantage, que tout fut organisé par eux et que les démonstrations de force qui s’en suivirent (création de la garde nationale, fête de la Fédération, fusillade du Champ de Mars) avaient pour fonction avant tout de rappeler à la population quelle était sa place. La conclusion du chapitre est ainsi claire : « Que les passifs se le tiennent pour dit, de façon bien claire et définitive : les affaires de l’État ne les concernent pas. » » Par « possédants », Guillemin cible une grande bourgeoisie dont l’existence et le rôle ont été si souvent ignorés, minorés, et dont le racisme social est explicite : nous, gens d’affaires, nous, “actifs” (déjà cette négation que les travailleurs soient la source des biens et des valeurs), les affaires nous concernent, parce que nous en sommes les acteurs et les « experts », et vous, « gens de rien », pour parler comme un président de la République au 21ème siècle, vous n’avez pas à vous en mêler. Du premier jour de la « Révolution », à sa fin, en 1794-1795, cette mentalité, ce discours, auront été, constants, déterminants. Pour Histony, il est possible de dire que, oui, « Il est indéniable que la bourgeoisie d’affaires eut son importance dans le cours de la Révolution » : « indéniable » est, en diable, un qualificatif bien timide, quand il s’agit de parler de ceux qui gèrent les grands fonds financiers. Si, en effet, « Une centaine des quelques 500 députés du Tiers-état aux États généraux étaient de cette bourgeoisie d’affaires, enrichie notamment par le négoce et la banque. Ceci étant dit, les historiens soulignent généralement à juste titre que cette bourgeoisie-là n’était pas la plus représentée durant la Révolution : 300 des députés étaient ainsi enrichis avant tout par des fonctions d’avocats et juristes, à l’instar de Robespierre, d’ailleurs. », c’est que ces ploutocrates n’avaient ni le goût ni la volonté de se mettre en avant, puisqu’ils pouvaient compter sur des « fondés de pouvoir », précisément, des avocats, des juristes, au fait de leurs affaires et de leurs intérêts et plus capables dans l’expression publique. S’ils avaient été plus nombreux, trop nombreux, c’eut été trop voyant et très problématique. On voit que, jusqu’à aujourd’hui, cette organisation entre les possédants et leurs serviteurs les mieux payés a continué et continue, avec efficacité (cf la sociologie de la majorité Rnaissance).

A l’opposé, il y a les plus prolétaires des prolétaires parisiens, les sans-rien, « armée d’émeutiers », mais Histony juge que Guillemin simplifie en oubliant la petite bourgeoisie parisienne, paupérisée. Or Guillemin n’a pas produit un ouvrage-somme, une « thèse » sur l’Histoire de la Révolution Française. Il connaît ces différences sociales, économiques, et il n’oublie pas, mais il entend établir un contraste entre des possédants déjà richissimes, et des pauvres qui n’ont, vraiment, rien, que l’économie générale a encore appauvri dans les années qui ont précédé 1789. L’extension de la paupérisation menace en effet cette petite bourgeoisie, et, logiquement, elle se mobilisera également. Et, là encore, le langage d’Histony est, comparé à celui de Guillemin, affaibli, affadi : « Ici, Guillemin présente une réalité : effectivement, une part de la population vit dans de graves difficultés, encore accrues par les mauvaises récoltes de 1788. ». De « graves difficultés » : quand l’existence même est quotidiennement en jeu, on se situe au-delà de « graves difficultés ». Guillemin donne des chiffres (et donc il ne se contente pas de citations littéraires), exacts, qui établissent une constante inflation, comme si un historien d’ici deux siècles faisait de même pour notre situation actuelle. Sauf que, à cette époque, la faim est une réalité pour des millions de travailleurs pauvres, urbains, alors que les plus fortunés vivent dans une opulence indécente.

Dans l’établissement des causes des processus historiques révolutionnaires post-1789, Guillemin fait référence à une intelligentsia francophone, avec la célèbre dichotomie entre Voltaire et Rousseau, et il rappelle à quel point Voltaire a une réputation personnelle en décalage avec la réalité de ses pensées et de ses jugements politiques, puisque, en le citant, il peut établir que Voltaire est favorable à une organisation politique où il y a les servis et les servants, les puissants et les exploités. Et concernant le sujet de la « foi », il a raison de constater que « l’athéisme » concerne une minorité sociale, sise au sein de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, alors que les paysans et les prolétaires sont encore des « croyants » sans doute, pratiquants. Et ce n’est pas un mince sujet, puisqu’il va peser sur les évènements, comme il le fera au 20ème siècle, pour le communisme soviétique, qui va relayer le dogmatisme, la doctrine, de l’athéisme, envers des prolétaires qui, comme tant de leurs prédécesseurs, resteront rétifs à cette acculturation religieuse. Est-ce que Guillemin réduit les lectures de Robespierre à Rousseau ? S’il rappelle la place particulière occupée par le penseur des « Confessions », il sait que Robespierre avait d’autres lectures. Un historien contemporain cite Locke. Nous savons donc que Robespierre a lu Rousseau et Locke, et pas seulement eux. Mais, des encyclopédistes, la confrontation entre Rousseau et Voltaire est très connue, parce qu’elle a eu des influences durables et justifiées : difficile d’être voltairien pour les adeptes de Rousseau et inversement. « Ici, donc, Guillemin schématise beaucoup trop ces modes de pensée, liant notamment de façon trop solide l’attachement au contrôle du pouvoir par une minorité dominante et le mépris de la religion catholique. De là à dire que les déchristianisateurs sont des ennemis du peuple, il n’y a qu’un pas, que Guillemin a souvent franchi, en dépeignant la question religieuse comme une éternelle diversion bourgeoise. » Le « mépris de la religion catholique » est un phénomène social, culturel, spécifique, restreint, qui associe les « libertins » aux « athées » dogmatiques, qui veulent faire disparaître, en libéraux qu’ils sont, les limites fixées par la religion, et par « Dieu », à tant de leurs prétentions, à commencer par une prétention pratique évidente, faire main basse sur les « biens de l’Eglise », si quantitativement et qualitativement importants. Et la « société du spectacle » de la déchristianisation joue bien un rôle de diversion qui, en 1793/1794, aura un rôle fatal dans les fratricides entre les groupes des Enragés, Dantonistes et Robespierristes. Autant dire que ce n’est pas un sujet secondaire, qu’il faudrait sous-estimer.

A plusieurs reprises, Histony reproche à Guillemin de ne pas parler de, ceci, cela, d’untel, mais «1789 : silence aux Gueux » n’est pas une thèse universitaire, mais un discours avec une thèse principale, et il ne développe pas, principalement, pas par ignorance, mais parce que trop de précisions ouvrent des tiroirs dans lesquels se trouvent d’autres tiroirs, et le lecteur finit par être perdu dans le labyrinthe de connaissances foisonnantes, dont l’unité disparait. Ne pas se laisser distraire de l’essentiel – mais l’essentiel, quel est-il ? Guillemin entend démontrer que, avec 1789, va commencer la montée en puissance de la Finance sur le pouvoir politique français, et, aujourd’hui, comment cette affirmation pourrait être contredite, alors qu’un locataire de l’Elysée, formé un temps dans la grande banque, a bénéficié de réseaux financiers puissants, mécènes, pour l’aider à être porté à cette situation, dans laquelle son action générale en faveur de ces réseaux et intérêts financiers est bien connue ?! Guillemin consacre quelques lignes, sévères, à Necker, ce Suisse (et Guillemin vit en Suisse) prévaricateur. Pour « sauver la France », sa méthode est constante : l’emprunt, autrement dit, des prêts effectués par ses amis, au trésor royal. LA ENCORE, on voit à quel point ce banquier inaugurait une ère qui n’est pas terminée, pendant laquelle des fortunes se sont constituées sur le pillage de toutes les économies. Or voilà que face à de telles prétentions ploutocratiques, des « petites gens » vont oser se dresser, et avoir des rêves fous, TOUJOURS AUSSI CONTESTES, des rêves que Madame de Staël, fille de Necker, évoquera avec effroi quelques années plus tard : « Les gens de la classe ouvrière s’imaginèrent que le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux ». Avec 1789 et ce qui s’ensuivit, le même effroi saisit tous les fortunés d’Europe, par exemple, en Angleterre. On imagine ce que, aujourd’hui encore, alors que nous assistons peut-être à une nouvelle année 1789, leurs descendants ressentent… 

Un récit est un CHOIX des MOTS, et il n’est pas possible de tout dire. Histony fait l’éloge du récit scientifique, un condensé de connaissances vraies, élaborées par des chercheurs. Guillemin incarne la parole passionnée, irriguée de connaissances de domaines divers, mais unifiée par des lignes directrices dont il ne se défait pas, parce qu’il a saisi, dans ces évènements, dans les témoignages des uns et des autres, la révolte populaire contre des conditions d’existence, terribles, horribles, où des parents ne pouvaient pas s’occuper dignement de leurs enfants, pendant que l’aristocratie et la grande bourgeoisie y consacraient des fortunes, puisqu’il s’agissait, et il s’agit toujours, d’en faire des héritiers, des successeurs. Sans héritage ou avec si peu, les pauvres ont désiré que, au moins, leurs enfants vivent le plus éloigné des privations et des souffrances, et puissent acquérir des positions sociales durables, éloignées de leurs propres privations. Or, aujourd’hui, chacun le voit, nous assistons au retour de la prolétarisation-précarisation généralisée, comme si les « conquis » des décennies précédentes n’avaient été qu’un rêve très provisoire. Une véritable « contradiction » du propos de Guillemin consisterait à ce que Histony ne produise pas une « analyse critique du texte », mais son propre texte, en une centaine de pages, sur la période 1789-1794. QUELS MOTS choisirait-il pour la conter ? 

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