Le texte ci-dessous rassemble trois textes, publiés sur Twitter, pour traiter le problème suivant : en France, et au-delà, le nom de Robespierre est régulièrement cité, pour diffamer le fameux « Montagnard », en l’accusant d’être le responsable de la politique dite de la « Terreur », entre la fin 1793 et l’été 1794. Récemment, le petit-fils de Jean Jardin, Alexandre Jardin, a, sur son compte Twitter, répété de tels termes. Bien que les travaux des historiens, y compris d’historiens connus pour ne pas être favorables à « l’Incorruptible », aient démontré que ces accusations étaient infondées, fallacieuses, avaient commencé dès sa mort, par ses assassins, lesquels, eux, s’étaient, avant sa mort, et eurent, après sa mort, rendus responsables de graves crimes civiques, le stigmate continue, notamment parce que la propagande royaliste, girondine, continue, puisque les actuels dirigeants politiques en France sont eux-mêmes membres, activistes, ou sympathisants, des groupes sociaux auxquels cette propagande est liée. Il a paru curieux que le petit-fils de Jean Jardin, qui, par ailleurs, a déjà reconnu que son grand-père avait été un des serviteurs de la haute administration pétainiste, ait pu ainsi se livrer à ce sempiternel anathème, alors que la connaissance des actions de Jean Jardin aurait pu inciter à la retenue. C’est que, en France, aujourd’hui, si nous posons des questions sur Robespierre et Jean Jardin à des citoyens rencontrés au hasard d’une rue, celles-ci obtiendront des réponses sur le premier et sans doute un silence gêné sur le second : Jean Jardin ? Qui ça ? Pourtant, il fut l’un des hommes les plus importants de la haute administration pétainiste pendant une période de la Seconde guerre mondiale. C’est pourquoi il a paru important, nécessaire, de le présenter. En amont de ces parutions, les textes publiés concernant Robespierre feront partie de la nouvelle édition de « Racisme Social », qui interviendra en août 2023.
Jean Jardin est né dans l’Eure, fin 1904, dans une famille bourgeoise, de « notables », catholique, monarchiste. A 23 ans, il est diplômé à Sciences-Po, Paris. Il travaille dans le secteur bancaire. En 1933, il devient une plume du cabinet d’un administrateur, Raoul Dautry, directeur, depuis 1928, de l’Administration des chemins de fer de l’État. Celui-ci est un proche d’Adrien Marquet, futur maire de Bordeaux, le sosie français d’Adolf Hitler. Il devient le secrétaire particulier de Dautry. Mondain, ses fréquentations, ses amis, sont à droite, et pour certains, à la droite extrême, si ce n’est à l’extrême droite, membres ou proches du fascisme français, constitué à la fois par la synarchie (la tête pensante de la future Cagoule) et par l’Action Française. Membre éminent du mouvement « Ordre nouveau » (« ordre… », « nouveau », une des formulations du fascisme), la meilleure preuve de ce sens fasciste se révèle dans la définition donnée à ce mouvement par des personnes « autorisées », un mouvement qui vise à la « rénovation de la politique AU DELA DES CLIVAGES GAUCHE DROITE » (et voyez ce que cela signifie à notre époque…). Parmi ses amis, il y a ces « technocrates », dont nombre sont issus des grandes écoles comme lui, Polytechnique en tête, des « libéraux anti-libéraux » (comme Mussolini), anticommunistes (comme Mussolini), lesquels dirigent, banques, administrations. A-t-il joué un rôle dans la préparation du putsch de la Cagoule ? Le livre de Pierre Assouline passe sur cette période, comme une fleur, ou plutôt, en coup de vent, pour nous retrouver en 1938, avec un Jean Jardin, « munichois, comme la grande majorité des Français » – la grande majorité des Français, on avait les moyens de connaître l’avis de la grande majorité des Français en ces années (en dehors des renseignements généraux) ?! Malgré tout, Pierre Assouline se sent obligé de reconnaître que Jean Jardin paraît très très proche de « Abetz et Achenbach« , qui sont deux éminences du régime nazi, constamment présent à Paris, en France (ils auront été les premiers nazis présents en France bien avant les autres, l’arrivée de leurs copains, en juin 1940). En passant, il reconnaît aussi que l’URSS a proposé à la France un accord pour tenir l’Allemagne en tenaille, mais il ne précise pas que les dirigeants français ont refusé, préférant rester aimables et positifs envers leur nouvel ami allemand, depuis la signature des accords de Munich… Et quand la guerre arrive, Jean Jardin ne peut être enrôlé dans une armée parce que le sieur est petit et chétif. Las, à peine après avoir été passable, Assouline redevient nul, en évoquant la nomination de Dautry au Ministère de l’Armement, en 1939, en répétant le poncif d’une France pas prête pour affronter les armées nazies, en raison d’un réarmement insuffisant. Il devient « commissaire à l’information », une information que sa page Wikipédia ignore (Alexandre Jardin a pu dire que cette page est une honte). Chez Pierre Assouline, la période mai-juillet 1940 est expédiée en moins de 10 lignes. Jean Jardin est où, que fait-il ? Le courageux « observe ». Mais quand il a déjà des demandes à faire, il ne met pas deux heures à prendre langue avec son ami allemand, « Achenbach », « mystérieux conseiller dans l’ombre d’Otto Abetz« , le grand manitou nazi…. Il est recruté par le Ministre des Finances, Yves Bouthillier, « chef de cabinet adjoint ». Là encore, il se fait auteur pour le Ministère, notamment en fournissant des formules ficelées pour la propagande économique. Bouthillier lui demande de rencontrer Laval. A Paris, l’affaire « synarque » éclate. Assouline, sans JAMAIS avoir mené un travail d’historien, décrète qu’il s’agit d’un « mythe ». Ses arguments sont à lire, nébuleux. Les désignés du doigt ne se connaissaient pas (peut-il le prouver ? Et dans une organisation, il est rare que tous les membres se connaissent…), et ne sauraient même pas ce que signifie « synarchie ». En plus, Assouline commet l’exploit d’être dans leur tête, bien qu’ils soient tous morts… Assouline n’est jamais gêné par les difficultés : Jardin, reconnaît-il, connaissait tous ces présumés synarques, mais comme ils ne l’étaient pas, il ne l’était pas plus. Il est bien dans les carnets de Coutrot, le polytechnicien dont la mort a été à l’origine de la révélation sur cette « synarchie ». En avril, il entre au cabinet du Ministère des Communications, sous la tutelle de Laval. Il est déjà aux ordres d’un gouvernement criminel. Bientôt, il va devenir une éminence grise de Laval lui-même, ce Laval qui sera à la fin de la guerre, condamné à mort, fusillé. Alors, comme le faisait Fouché en son temps, Jardin va arroser à droite et à gauche, va « aider » des résistants. On ne sait jamais. Une fois à la tête du cabinet Laval, à côté du secrétariat général du gouvernement, en mai 1942, Assouline ne se rend pas compte du tort qu’il fait à Jean Jardin, en relayant les termes élogieux de Laval, de son entourage, pour Jardin. A Vichy, il finit même par être qualifié d’éminence grise de Laval ! Pourtant, un de ses amis l’a averti : Laval, c’est celui que son organisation d’avant guerre, « Ordre Nouveau », dénonçait dans des termes méprisants, pour cibler son affairisme et sa corruption, et c’est l’homme de la collaboration. Un tel engagement peut avoir un coût personnel élevé. Alors, à peine a-t-il fait mention de cette rumeur vichyste sur Jardin, que Assouline la tempère en citant un anonyme selon lequel Laval n’aurait pas pu tolérer une éminence près de lui. De l’art de dire deux choses et son contraire, pour, in fine minimiser le rôle de Jardin auprès de Laval. Quoiqu’il en soit, situé au plus haut de l’administration, il est un des bras droits de Laval, et, DE CE FAIT, il est aussi comptable de l’ensemble des actes et des décisions de ce gouvernement, puisque, sinon, il pouvait démissionner, partir. Si le secrétariat général est à la tête des administrations et ministères, le cabinet est le secrétariat politique, et en ce sens, il lui est supérieur, parce qu’il supervise tout, doit être informé de tout. Il ne se contente pas d’être celui qui a le plus de connaissances sur tous les Français, puisqu’il gère aussi les fameux « fonds secrets », des sommes en liquide, disponibles en permanence pour que cette engeance gouvernementale en dispose, à sa guise, pour ce qu’elle veut (officiellement, ils ne sont plus autorisés). Une partie est destinée à payer des personnes importantes qui sont à la tête des journaux. Le directeur du Figaro, Brisson, émarge. Le MSR, organe de la synarchie, est également constamment financée. L’un des tueurs de la Cagoule, Jean Filliol, se rend à Vichy et rencontre Jardin. Et pour ne pas insulter l’avenir, des fonds sont versés à des résistants. Evidemment, dans la plus grande discrétion, mais avec suffisamment de preuves pour que, plus tard, il soit possible de dire que le sieur était « vichyste-résistant ». Le cabinet Jardin a pris l’ascendant. Laval rédige un discours radiodiffusé, celui dans lequel il exprime son souhait d’une « victoire de l’Allemagne » – mais Assouline ne se pose pas la question si Jardin aurait soufflé cette formule à Laval, alors que, antérieurement, il vantait ses capacités littéraires au service de la communication gouvernementale. Quand la rafle du Vel d’Hiv arrive, Assouline a une formule vertigineuse : sur cette rafle, la preuve de son bouleversement est qu’il « se refuse à laisser paraître son bouleversement« . Une formule à ne pas oublier : si, dans la vie, vous êtes indifférent à un évènement tragique, n’hésitez pas à invoquer le fait que vous vous refusez à laisser paraître… Si, sur sa page Wikipédia, ses responsables ont écrit : « selon plusieurs historiens spécialisés dans cette période, il était, en tant que directeur du cabinet de Laval, probablement au courant des préparatifs de cette opération. En revanche, il est difficile d’établir dans quelle mesure il était conscient des conséquences de ces rafles et des déportations« , c’est que ces historiens n’ont pas pris en compte que Jardin était informé de TOUT, en… aval, comme en amont ! Et pour bien démontrer à quel point il fut « bouleversé », Jardin a demandé et obtenu, le 5 septembre 1942, la francisque, la plus haute décoration du pétainisme, des mains de Pétain, évidemment. Alors, pour compenser, plus la guerre avance, plus Jardin aide les non-alignés, les candidats au départ pour Alger, les résistants, quand, DANS LE MEME TEMPS, il continue d’être l’un des principaux bras droits de Laval. Dans une discussion à l’occasion d’un dîner, Jardin affirme aux attablés que Allemands et Anglo-Saxons font la même guerre, les premiers contre les Soviétiques et les seconds contre les Japonais, et que, quand ils le comprendront, ils devraient alors s’allier. Le bras droit n’est pas qu’un gestionnaire habile : c’est aussi un idéologue, et, tant par ce qui se passe en France, en Europe que hors de, il soutient l’Allemagne, puisqu’il est à la tête d’un gouvernement qui la soutient. Il est tellement « bon » que Pétain veut le récupérer, mais, bien qu’il eusse préférer le Vatican, il prend la tangente, et c’est en Suisse, ce pays des « fonds secrets », qu’il s’installe. Et c’est lui que la Résistance, sans le connaître, sauve, d’un traquenard préparé par les ultras de la collaboration. Alors, quand la guerre se termine, la Suisse, bonne fille, permet à Jardin de rester sur son territoire, et ce jusqu’en 1947, jusqu’à ce que le retour en grâce des pétainistes devienne quasi officiel. Dans le livre d’Assouline, la période, 1942-1944, est traitée dans un tout petit nombre de pages. Ce n’est pas un travail d’historien. Pendant ces deux années, le pétainisme a mené une politique, avec sa police, contre les communistes, les franc-maçons, les résistants en général, en procédant à des arrestations, à des assassinats, en remettant tant de ces Français, aux Allemands. Jean Jardin a été totalement complice. Son ancien mentor, Dautry, lui avait garanti qu’il serait pendu à la Libération, mais grâce à son refuge suisse, les évolutions politiques en France, il a pu, comme tant, reprendre une vie, et quelle vie, après cette « collaboration », criminelle. Ainsi, après son retour en France, il n’est pas inquiété et il peut reprendre une vie personnelle, mondaine, en toute tranquillité, redevenant même une figure politique importante, même si, pour cela, il a préféré rester dans l’ombre.