Jeanne Guien découvre/dévoile le Sophiste Raphaël Enthoven et lui réclame de cesser de s’auto-qualifier de « philosophe », mais le commerçant parisien…

C’est dans cette belle lettre, publiée sur son blog Médiapart, que Jeanne Guien, exprime sa prise de conscience de celui qui a failli être son interlocuteur dans l’émission dont il bénéficie sur une chaîne de télé (en tant que fils de) :
« Monsieur Enthoven,
je vous écris pour annuler ma venue à votre émission Philosophie(s) sur Arte, dont le tournage devait avoir lieu ce jour.
Invitée par votre équipe en mars dernier à y discuter de mon sujet de recherche, la réduction de la durée de vie des objets, j’avais accepté dans l’espoir d’y trouver un espace de dialogue philosophique authentique, de production rigoureuse et collaborative d’un savoir critique utile. La lecture et l’écoute de vos diverses productions m’ont cependant convaincue que cet espoir était vain.
Ne connaissant pas, il y a trois mois, votre travail, j’ai en effet découvert depuis qu’il était malheureusement semblable à celui des quelques rares autres « philosophes » représentés dans les médias dominants : un déploiement précieux et allusif de culture légitime, mis au service de la reproduction à l’identique des préjugés sociaux et politiques les plus caricaturaux. Immaturité du mouvement étudiant, mysandrie des féministes, paresse des abstentionnistes, communautarisme des anti-racistes ou encore antisémitisme des antisionistes : il n’est pas un seul des partis pris les plus réducteurs et abêtissants de la droite décomplexée auquel vous ne vous empressiez d’apporter votre soutien, à grand renfort de raccourcis historiques, de coupes et pseudo-concessions à l’adversaire, de citations à l’emporte-pièce et d’invocations toutes faites à la démocratie et la liberté de pensée – qu’il est peu étonnant de voir conduire, infailliblement, au moralisme le plus vide.
Il faut admettre, monsieur, que vous semblez subir là une contrainte, celle de la forme médiatique qui pèse sur votre véritable profession – animateur. Egotripname droppingstalkingtrolling, il n’est pas non plus un seul des pièges modernes du fast thinking dans lequel vous ne tombiez aveuglément. Pressé par ce temps médiatique dont vous déplorez vous-même la rapidité[1], vous avouez faire du remplissage d’antenne pour satisfaire à votre emploi du temps professionnel, en réagissant à la va-vite aux moindres audaces verbales glanées sur les réseaux sociaux, sur Wikipédia ou dans la « caverne de Jean-Luc »[2]. Opportunisme carriériste qui vous conduit à réduire un certain nombre de savoir-faire philosophiques (tels que la définition et la conceptualisation rigoureuses, ou encore la hiérarchie des causes) à la fabrique puérile du bon mot infamant.
Ainsi, vous jouez de la polysémie des concepts de « vie » et de « mort », et de la hiérarchie entre causes prochaines et lointaines, pour disculper un éventuel meurtre policier, prétendant (alors même que la vérité sur cette affaire n’a toujours pas été faite) que si une personne blessée par la police est entre la vie et la mort, c’est à cause de la vie et non de la police, et que telle est la condition humaine[3]. Ainsi, vous comparez la féminisation des adjectifs proposée par l’écriture inclusive au remplacement des adjectifs dans « le » novlangue (sic) de 1984[4], comme si, dans les dictionnaires actuels, adjectifs féminins et masculins étaient considérés comme des mots différents, constituaient des entrées distinctes. Ainsi, vous reprochez aux critiques du manspreading d’ « enfermer un individu dans une essence imaginaire »[5], alors même que le mot « man » désigne dans cette expression une identité de genre socialement construite, et sert précisément à nier l’origine « essentielle » des comportements qu’elle prescrit ; sous l’apparence banale d’un laborieux « y’en a des biens », vous réactivez discrètement l’idée qu’il y a des hommes (bons et mauvais, s’étalant ou pas) ; autrement dit, c’est vous qui essentialisez.
Ce ne sont là qu’exemples parmi tant d’autres : je pourrais aussi me mettre, ici, à fouiller, énumérer, moquer les reliques douteuses de votre propre « caverne », regorgeante qu’elle est d’erreurs logiques et de manipulations rhétoriques. Mais la tâche du philosophe n’est-elle pas plutôt de chercher à sortir de toutes les cavernes ? Vous qui appréciez les références allusives, vous comprendrez bien que ce dont il s’agit ici, c’est de sortir du règne de l’opinion et de la séduction, de la comm’ et de la politique-spectacle, pour se mettre à la recherche de la vérité ; ou, au moins, de la sincérité et l’honnêteté intellectuelle.
C’est pourquoi, ne souhaitant pas entrer dans ces jeux d’ombres, je me permets de décliner votre invitation, et de vous prier de bien vouloir cesser de vous revendiquer du nom de philosophe, lorsque, mettant les diplômes institutionnels, l’art oratoire et l’érudition au service du faux, du non-sens et de la manipulation des affects, pour des raisons d’audience et de contrainte professionnelle, vous vous adonnez précisément à une version moderne de cette activité contre laquelle la philosophie s’est construite historiquement : la sophistique.
C’est pourquoi, alors que je pourrais signer cette lettre en tant qu’étudiante mobilisée contre la loi O.R.E. et la répression qui la seconde, en tant que femme en lutte quotidienne contre les manifestations verbales et physiques de la domination patriarcale, en tant que citoyenne qui n’a voté ni Macron ni Le Pen, solidaire des luttes anti-racistes et anti-impérialistes en France et ailleurs, je la signe aujourd’hui en tant que philosophe, désireuse que ce métier existe autrement que sous cette forme fausse et caricaturale par laquelle vous prétendez aujourd’hui l’incarner.
J’invite les personnes souhaitant défendre, présenter ou découvrir ce métier différemment à rejoindre et relayer cet appel.
Je précise que ces remarques ne portent aucunement sur le travail du reste de l’équipe de l’émission Philosophie(s), que je remercie pour sa démarche et à laquelle je présente mes excuses pour les éventuels désagréments engendrés par la publication au dernier moment de cette lettre de refus. Ce délai m’a semblé un moyen nécessaire pour tenter d’attirer l’attention sur le problème décrit. »
https://blogs.mediapart.fr/jeanne-guien/blog/010618/je-nirai-pas-chez-enthoven?utm_source=20180601&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xts=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20180601&xtloc=&url=&M_BT=130911025743

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