Les Etats-Unis, leur système de santé, la législation fédérale sur la santé : un article de “Les Jours” fait le point sur une situation dramatique et explosive

Ci-dessous, vous trouvez des extraits de cet article. L’article complet est accessible ici :

Le 20 mars, alors que les États-Unis et un président Trump d’abord incrédule commençaient à réaliser l’ampleur de l’épidémie du coronavirus, une habitante de Boston, Danni Askini, révélait sur Twitter et dans le journal Time qu’elle avait reçu une facture de 34 927,23 dollars (un peu plus de 32 000 euros) à payer pour ses trois passages aux urgences hospitalières à la suite de son infection au Covid-19. Alors sans emploi, Danni Askini était donc sans couverture santé, puisqu’elle n’était pas encore prise en charge par l’assurance santé publique Medicaid, qui couvre depuis 1965 les plus démunis. Ce cas individuel, largement médiatisé, démontre à quel point l’épidémie de coronavirus sonne déjà comme une addition – lourde – présentée aux pouvoirs publics américains quant à l’état du système de santé.

(…) Dès 1933, Roosevelt veut introduire une assurance santé nationale dans son « New Deal », mais se heurte à l’hostilité de l’American Medical Association Les années 1930-40 sont un tournant décisif dans cette répartition défavorable à l’État fédéral pour la couverture santé, au moment où France et Royaume-Uni choisissent, après la Seconde Guerre mondiale, de fonder une assurance santé publique universelle. Dès 1933, Franklin Delano Roosevelt songe à introduire une assurance santé nationale et publique dans son « New Deal » de régulation économique par l’État fédéral. Mais il y renonce face à la pression hostile, fin 1934, de l’association des médecins (American Medical Association, AMA), qui menace de faire capoter l’ensemble de cette loi de protection sociale. Et en août 1935, la première loi sur la Sécurité sociale aux États-Unis (Social Security Act) couvre les risques vieillesse, handicap et chômage, en laissant de côté l’assurance santé.

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La mainmise du secteur privé et du marché fait que le système de santé américain est devenu au fil du temps très inégalitaire, socialement et géographiquement. Cet essor des offres d’assurance santé privée, entrant dans une concurrence acharnée les unes contre les autres, explique la progression sans précédent du nombre d’Américains couverts en une décennie. En 1940, 9 % de la population avaient une assurance santé. En 1950, ils étaient déjà 50 %. Et l’État fédéral a joué un rôle de simple facilitateur. Le Stabilization Act de 1942 bloque les salaires pour lutter contre l’inflation de l’économie de guerre mais incite les entreprises à distribuer des plans d’assurance santé comme compléments de salaire et avantages sociaux relatifs à l’emploi occupé. Et le Revenue Act de la même année conforte cette incitation en défiscalisant les cotisations santé des employés. Ainsi, en novembre 1945, quand le président Harry S. Truman reprend le rêve d’une assurance santé publique et universelle, il est traité de « communiste » par l’AMA qui mène contre lui, avec succès, sa première puissante campagne de lobbying afin de préserver la mainmise des assureurs privés et la liberté d’exercice et de tarification des médecins. Et la même année, le McCarran-Ferguson Act substitue pour le secteur de l’assurance santé la législation des États locaux à celle de l’État fédéral, éloignant encore davantage ce dernier de la responsabilité. À la fin du second mandat de Truman, en janvier 1953, l’affaire est entendue : il n’y aura pas d’assurance santé publique universelle. Et quand l’administration républicaine Eisenhower autorise l’année suivante les employeurs à déduire de leurs impôts les cotisations d’assurance santé au profit de leurs employés, l’État fédéral sanctuarise la primauté des assurances privées. 

Depuis cette date, cette mainmise du secteur privé et du marché sur l’assurance santé aux États-Unis n’a jamais été remise en cause, même avec l’adoption en 1965 de Medicare et Medicaid, qui étaient des titres complémentaires à la loi de Sécurité sociale de 1935. Certes, l’État fédéral prenait en charge l’assurance santé des seniors (Medicare) et des plus démunis (Medicaid), mais dans une logique de partage des risques avec le secteur privé, auquel sont d’ailleurs en partie confiées au fil du temps certaines prestations supplémentaires de Medicare, comme le remboursement des médicaments après 2003 (Medicare Modernization Act). Et il faut rappeler que l’Obamacare consistait dans une coopération entre État fédéral subventionnant l’achat de plans d’assurance santé et assureurs privés les mettant sur le marché, non pas dans une substitution de l’un par l’autre. Barack Obama lui-même avait renoncé en 2010 à proposer un plan d’assurance santé public gérée par l’État aux nouveaux assurés de l’Obamacare.

40 % des emplois sans assurance santé concernent les services à la personne avec un contact physique étroit, donc très exposés au coronavirus

(…) . On estime à 2,3 millions le nombre de ces personnes, dont un tiers au Texas et un sixième en Floride, qui ne peuvent accéder à une couverture santé car trop riches par rapport au seuil de pauvreté non élargi de leur État, et trop pauvres pour accéder aux marchés assurantiels subventionnés par l’État grâce à Obamacare.

D’autre part, la couverture santé reste étroitement liée à l’emploi, ce qui détériore sa qualité en cas de forte récession économique – comme celle amorcée lors de la crise du coronavirus. Et dans certains emplois de service non qualifiés, particulièrement touchés par les licenciements conjoncturels, le taux d’assurance santé reste très bas : 29 % du personnel d’entretien n’ont pas d’assurance santé aux États-Unis, 22 % des serveurs et serveuses. Selon le Washington Post, 40 % des emplois sans assurance santé concernent des services à la personne avec un contact physique étroit, c’est-à-dire ceux le plus touchés par la crise sanitaire puis économique du coronavirus. Face à cette perspective de millions d’Américains confrontés au virus sans assurance, l’administration Trump a voulu réagir en urgence, faisant voter le 18 mars au Congrès un Families First Coronavirus Response Act par lequel le test de dépistage du Covid-19 devient gratuit pour tous les citoyens même non assurés. Cette loi d’urgence fait suite à des négociations prestement menées par Mike Pence – vice-président de Donald Trump, qui lui a délégué la gestion quotidienne de la crise sanitaire du coronavirus – et les industries de l’assurance santé. Mais comme souvent avec l’administration Trump, l’annonce du Président d’un reste à charge zéro pour les traitements relatifs au coronavirus, au-delà du dépistage, a été rapidement démentie par les assureurs et son vice-président lui-même…

Le coût prohibitif de la santé aux États-Unis induit un risque : que la propagation du Covid-19 soit aggravée par le refus de soin des patients

Ce qui amène à l’autre problème crucial de l’assurance santé aux États-Unis : son coût, devenu exorbitant. Non seulement les États-Unis dépensent comme nation une part beaucoup plus importante de leur richesse nationale pour la santé que leurs principaux pays partenaires (en 2017, 17,1 % du PIB aux États-Unis contre 11,3 % pour la France). Mais chaque citoyen a un reste à charge (« out of pocket ») colossal pour ses dépenses de santé particulières. En 2017, ce reste à charge moyen était de 1 125 dollars (1 022 euros) aux États-Unis contre 463 dollars (420 euros) pour la France, selon les données du Kaiser Health System Tracker. Et dans le cas du coronavirus, le même think tank, une référence sur les questions de santé, a déjà calculé qu’une hospitalisation pour cause de coronavirus pourrait coûter à un assuré, qui l’est via son employeur, au moins 1 300 dollars (1 181 euros) de sa propre poche. Le risque induit par ce coût prohibitif de la santé, auquel l’administration Trump n’apporte pour l’instant qu’une réponse a minima, est que la propagation du Covid-19 soit aggravée par le refus de soin des patients. Fin 2019, 25 % des Américains sondés par Gallup déclaraient avoir renoncé à des soins médicaux pour un problème grave à cause de leur coût.

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