Privés d’emplois en France : vis ma vie de sans, de précaires pendant que tu…

Ci-dessous, vous trouvez des extraits de l’article de Médiapart, « « Le chômage ? Prends ma place, passe une journée avec, couche-toi avec… » de Cecile Hautefeuille. L’article complet est ici : https://www.mediapart.fr/journal/economie/100222/le-chomage-prends-ma-place-passe-une-journee-avec-couche-toi-avec

Montpellier (Hérault).– Assis·es en cercle dans la salle informatique du premier étage, Adil, Anna*, Claude et Corinne sont des habitué·es de la Maison des chômeurs et des citoyens solidaires. Le lieu, à deux pas de la gare Saint-Roch de Montpellier, est ouvert chaque jour. Il est géré par l’association Creer-Mncp« Ici, le chômage est prédominant, on vit avec. Mais cette maison est un lieu sécurisant », souligne Jean-Marc Talamoni, le président de la structure, venu s’assoir avec le groupe. À ses côtés, Claude, salariée de l’association, Corinne, bénévole, et Adil et Anna qui viennent ici chercher soutien et accompagnement. Ces quatre personnes ont un point commun : une vie professionnelle jalonnée d’emplois précaires. Contrats courts, contrats aidés, temps partiels subis. Des boulots souvent peu épanouissants et entrecoupés de longues périodes de chômage. « Je n’ai eu qu’un seul CDI dans ma vie, il a duré un an », confie d’emblée Anna*, 56 ans. À ces mots, Jean-Marc Talamoni tressaute. Les yeux rivés au sol, il hoche la tête puis soupire : « Ça me dépasse complètement… » Anna était libraire et a quitté son emploi, à la fin des années 1980, pour suivre son conjoint. Elle l’a épousé puis élevé leurs enfants. « Six ans d’interruption de carrière », précise la quinquagénaire, en serrant contre elle une feuille parsemée d’annotations.  Après cela, elle n’a jamais retrouvé d’emploi durable et a multiplié les contrats aidés. Elle en énumère les sigles, qui changeaient au gré des politiques publiques d’emploi. « Il y a eu des CES, des CUI, des CAE… J’ai aussi été documentaliste contractuelle dans l’Éducation nationale. Aujourd’hui, j’anime des ateliers d’écriture dans des maisons de retraite ou des bibliothèques. Quelques heures ci et là. C’est tout le temps des morceaux d’emploi », déplore-t-elle, parlant tout doucement et pesant chaque mot. « Les emplois précaires, c’est peut-être pire que le chômage ! », tonne Corinne, assise juste à côté. « C’est épuisant, tu t’accroches, t’as tout le temps peur que ton contrat s’arrête. C’est encore plus flippant que le chômage ! »,lance encore cette femme de 62 ans, qui s’exprime avec aplomb. Des boulots, Corinne en a « connu plein ». Fouillant dans sa mémoire, elle cite : « Grande surface, cafétéria, hôpital, milieu associatif… J’ai été hôtesse d’accueil, caissière, j’ai fait du recensement… » Aujourd’hui, elle s’occupe, bénévolement, de la commission culture de l’association. (…) Restée en retrait, Claude se rapproche et prend la parole. Elle a 59 ans et est en contrat aidé, 24 heures par semaine, au sein de l’association Creer-Mncp. C’est un contrat précaire mais il lui a permis de sortir d’une situation encore plus pénible. Quatre ans de chômage, avec 500 euros d’allocation. « C’est mon fils qui m’aidait, parce qu’une fois que j’avais tout payé, je n’avais plus rien. J’avais vraiment des idées noires à l’époque », finit-elle par lâcher. Durant ces années d’inactivité, Claude raconte n’avoir « jamais rien trouvé ». Elle a fait une formation de secrétaire médicale, en vain. « Quand on nous parle de travailler jusqu’à 67 ans, ça me fait hurler ! Quand tu es une femme, que tu as élevé tes enfants, dès la quarantaine, on te regarde de haut. Les petits managers de 25 ans, avec leur mépris plein la bouche, ils regardent ton CV et te demandent “mais vous avez fait quoi toutes ces années ?” » Corinne et Anna acquiescent. Elles parlent de « mépris social » de leur genre et leur âge. « On invisibilise les femmes », regrette Anna qui n’a pas droit au RSA car son mari, infirmier, gagne suffisamment bien sa vie, selon les critères d’attribution. Elle se sent tout aussi invisible dans sa recherche d’emploi qu’elle résume en ces termes : « Ça fait dix ans qu’on ne me répond pas. » Selon Anna, le chômage « devrait être l’affaire de toute la société » mais c’est un sujet qui, au mieux, « gêne et embarrasse » et, au pire, suscite des propos « stigmatisants ». Toutes les trois sont exaspérées, et blessées par les discours caricaturaux sur les chômeuses et chômeurs, souvent taxé·es d’être des fainéant·es ou des assisté·es. Les responsables, à leurs yeux, sont les politiques. « La société adhère à leur discours. Les chômeurs sont devenus une cible », soutient Claude. Qu’aurait-elle envie de leur répondre ? « Prends ma place. Lève-toi avec, couche-toi avec et passe la journée avec ! », réplique-t-elle aussitôt. (…)

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