Racisme/Colonialisme : dans un parti-pris, Edwy Plenel rappelle son Histoire jusqu’à aujourd’hui, mais omet les « racisés… blancs », le même racisme social fondateur, sans distinction de couleurs

Dans un parti pris publié par Médiapart, sous le titre de « Derrière l’idéologie du « racisme anti-Blancs », la persistance française de la question coloniale », l’un de ses fondateurs, Edwy Plenel, a tenu à circonscrire les polémiques récentes autour de cette expression, des propos de Lilian Thuram, par l’évocation de parties de l’Histoire, du racisme et du colonialisme. EP commence par affirmer que « l’extrême droite peut se réjouir : sa stratégie d’hégémonie culturelle a encore marqué un point« , ce qui est étonnant : car si stratégie il y a, parce que, volonté il y a, cette hégémonie, elle ne l’a pas, atteint, réussi, même si elle est y activement aidée, parce que, d’un côté, il y a une indifférence sociale à de tels délires et qu’il existe, en face, en France, des réponses constantes qui connaissent, socialement, une bien plus large diffusion. EP rappelle avec raison le contexte historique et hystérique : « Après avoir réussi à imposer l’insécurité, l’immigration et l’islam comme obsessions médiatiques et gouvernementales, détrônant les ambitions sociales et les aspirations démocratiques, la voici qui parvient à relativiser et à banaliser le racisme par la promotion d’un « racisme anti-Blancs ». Il aura suffi d’une déclaration de Lilian Thuram, à propos des insultes racistes visant les joueurs noirs dans les stades, pour que se diffuse, dans le débat public, de France Inter à Mediapart, une docte réflexion sur les supposées dérives d’un antiracisme qui serait aveugle à ce nouveau « racisme anti-Blancs » dont Valeurs actuelles, évidemment, proclame l’existence avérée. » Mais cette existence, avérée, l’est dans quelques têtes, mais en dehors d’elles, est une chimère parce que « le racisme, précisément, ne se résume pas à une idéologie : c’est un système, une pratique sociale, une réalité institutionnelle, un vécu culturel. Aucun Blanc ne subit dans notre pays ce qu’ordinairement, des Noirs, des Arabes et d’autres encore, témoignant d’une France plurielle et multiculturelle, subissent : contrôles au faciès, discriminations à l’embauche, refus de logements, relégations sociales, mépris culturel, remarques déplacées, invisibilité de leur histoire, etc. Aucun Blanc ne se heurte systématiquement, à cause de son apparence, à un monde qui l’exclut, le relègue ou le blesse. Jamais un Blanc ne s’est senti étranger en France parce que Blanc, à raison de sa couleur de peau. Théoriser l’existence d’un « racisme anti-Blancs », ce n’est pas prendre acte de la réalité mais, au contraire, la nier en effaçant, par une prétendue réciprocité dans la discrimination, ce qu’ont subi et subissent encore Noirs et Arabes de la part du monde blanc, en toute bonne (in)conscience des individus qui le constituent. C’est en somme relativiser le racisme réel en inventant un racisme irréel. » C’est ce que le mouvement Décolonial dit, explique, rappelle, avec, notamment, les Indigènes de la République. celles et ceux qui ont publié des textes, dans le passé et dans le présent, et EP cite Rokhaya Diallo et la blogueuse Mélusine, avec son blog sur Médiapart et sa publication sur Ballast. Et pour expliquer pourquoi « Mais il convient de rappeler qu’il n’existe pas de théorie qui placerait les Blanc.hes au bas d’une hiérarchie raciale et qui se soit traduite dans des pratiques institutionnelles. C’est pour cela qu’on ne peut parler de “racisme anti-Blancs”. Le racisme est un système de domination, qui ne se cantonne pas à des interactions individuelles » et pourquoi « le qualificatif “blanc”ne désigne pas une qualité de l’êtremais bien une propriété sociale : il ne dit pas l’identité des individus, mais leur position dans la société, dans le rapport de domination raciste« , EP évoque l’Histoire européenne, par une sélection de quelques phases et de quelques auteurs. EP écrit que « Depuis plus de cinq siècles, colonisations, conquêtes et esclavages ont fait l’Europe en la projetant sur le monde. Récentes à échelle d’humanité et confisquées à durée d’homme, les indépendances des décolonisations n’empêchent pas la persistance de cette histoire, notamment par la continuité des prédations économiques occidentales dans l’ancien tiers-monde. Or, dans le sillage de cette domination maintenue, au nom d’une France ou Europe se voulant puissances, persiste aussi l’empreinte de ce qui a accompagné la colonisation pour justifier cette soumission violente de peuples et de territoires : la construction systématique du Blanc en « race supérieure » et de l’autre, du Noir notamment, en inférieur ou en barbare, pis en instrument corvéable et jetable. Ce qu’a résumé d’une formule cinglante l’écrivain Patrick Chamoiseau, s’invitant d’un tweet dans la polémique :

Tweet de Patrick Chamoiseau le 17 septembre 2019.

Tweet de Patrick Chamoiseau le 17 septembre 2019.

Tant que cette vérité ne sera pas assumée, énoncée et reconnue, dans la parole politique comme dans le débat public, la question coloniale restera une question française en souffrance et en jachère, une blessure et une fracture. Et c’est peu dire qu’elle ne l’est pas : la colonisation attend toujours son « discours du Vel d’Hiv » » Et en effet, ce n’est pas un hasard si le seul colonialisme raciste qui ait eu son discours mémoriel et de repentance soit celui subi par tant d’Européens et tant de Français, avec le nazisme, et EP a raison de citer Aimé Césaire, pour lequel « s’adressant « au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle » : « Ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.« . Ces jours-ci, on peut également entendre la fureur suscitée par l’affirmation catégorique et sévère de la responsabilité des élites et des dirigeants politiques et économiques mondiaux depuis plusieurs décennies, dans ce qu’ils ont provoqué sur et contre la vie terrestre, élites et dirigeants ou européens ou sous influence européenne (règles économiques inventées par, avec le FMI, la Banque Mondiale, etc). Ces « Blancs », ces Européens, dont toute la « philosophie politique », tant individuelle que collective, fait de la « responsabilité », l’alpha et l’omega de l’apparition et de l’être de la conscience, passent leur temps, pour les plus « identitaires » proclamés, à nier toute responsabilité, dans les méfaits coloniaux, dans les méfaits écologiques, tout en vociférant un racisme social et un racisme, en permanence – sans que, d’ailleurs, leur responsabilité juridique soit recherchée, évaluée, sanctionnée, alors que les lois… Et à l’ombre des Lumières, desquelles plusieurs grands auteurs ont pointé la RESPONSABILITE et les faiblesses (Louis Sala-Molins, Thierry Galibert, Domenico Losurdo, etc), dans le colonialisme/libéralisme/racisme, EP se focalise, dans ce court parti pris, sur la fin du 18ème et le 19ème siècle, avec le traître de la République, le Bonaparte devenu Napoléon 1er : « l’esclavage fut rétabli par Bonaparte le 20 mai 1802 (30 floréal an X). Encore Premier Consul, l’ex-caporal et futur empereur, hissé sur les épaules d’une révolution ayant proclamé que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », affirmait donc que ce principe ne valait pas pour tous les hommes, et plus particulièrement les Noirs : « La traite des Noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et règlements existant avant ladite époque de 1789. » Pour la petite, et sordide, histoire, la veille, 29 floréal an X, le même Premier Consul avait fondé l’ordre de la Légion d’honneur, immédiat voisinage de date entre la distinction des hommes et la hiérarchie des humanités qui souligne combien la glorification de l’héritage napoléonien peut entraîner l’indifférence à ses crimes. Lors de sa tentative de reconquête de Saint-Domingue, la future Haïti, terrible guerre coloniale dont les Jacobins noirs furent victorieux, l’envoyé de Bonaparte, Richepanse, accompagna son arrêté du 28 messidor an X (17 juillet 1802) rétablissant l’esclavage de ce considérant : « Les colonies ne sont autre chose que des établissements formés par les Européens qui y ont amené des Noirs comme les seuls individus propres à l’exploitation de ces pays. » L’article premier de cet arrêté est un condensé d’énoncé raciste : « Le titre de citoyen français ne sera porté, dans l’étendue de cette colonie, que par les Blancs. »Récidive, trois ans plus tard, quand le 1 brumaire an XIV (7 novembre 1805) Napoléon Ier promulgue le Code civil aux colonies en édictant que ses lois n’y seront exécutées « que des Blancs aux Blancs entre eux, et des affranchis ou des descendants d’affranchis entre eux, sans que par aucune voie directe ou indirecte aucune des dites dispositions puisse avoir lieu d’une classe à l’autre ». Les États-Unis d’Amérique n’ont donc pas le monopole de l’invention de la ségrégation raciale. » Le grand auteur, spécialiste de ce colonialisme européen et français, dans les « îles », Claude Ribbe, a même écrit un ouvrage sur « Napoléon », dans lequel il a fait cette révélation, ignorée des manuels d’Histoire à partir desquels une Histoire nationaliste, « occultiste », est imposée, à savoir que celui-ci porte la responsabilité des premiers gazages collectifs de l’Histoire, dans des cales de bateaux français, afin d’y assassiner, collectivement, des insurgés. Les autres massacreurs des Communards, les Versaillais à la tête de la IIIème République, portent également une autre responsabilité, celle d’avoir fait voter, en 1885, des « crédits pour la poursuite de la conquête de Madagascar et de l’Indochine, c’est-à-dire de la construction d’un empire colonial inaugurée par la Restauration (la conquête de l’Algérie débute en 1830, peu avant les Trois Glorieuses) et amplifiée par le Second Empire (Mayotte, Tahiti, les îles Marquises, la Nouvelle-Calédonie, le Sénégal, la Cochinchine et le Cambodge). C’est Jules Ferry, dont le nom est définitivement associé à l’école publique, gratuite et obligatoire, qui mène la charge : « Il faut le dire nettement : oui, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a pour elles un devoir, qui est de civiliser les races inférieures. » Ferry, qui y gagnera le surnom moqueur de Ferry-Tonkin, ira même jusqu’à dire que la Déclaration des droits de l’homme n’a pas « été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale ». Les grands principes n’ont pas résisté à l’appât du gain : la diffusion du racisme moderne, avec ses alibis idéologiques ou scientifiques (la théorisation des races et ses typologies morphologiques), accompagne l’expansion coloniale, qu’elle justifie et légitime« . EP termine par le 20ème siècle, en s’appuyant sur deux auteurs/acteurs essentiellement antiracistes, Aimé Césaire donc, et Frantz Fanon. La citation de quelques remarquables phrases de l’un et de l’autre s’accompagne de cet avertissement :  » Mais il y a bien péril puisque c’est dans ce pays-ci que, de nouveau, s’est élaborée l’arme idéologique d’un racisme meurtrier, sous le nom de « grand remplacement », appel à expulser, à effacer ou à détruire, une partie de notre propre peuple. Or le « racisme anti-Blancs » n’en est-il pas la version présentable, à l’insu sans doute de ceux qui discourent à son propos ? Une façon de dire que nous, les Blancs, sommes discriminés, victimes, occupés, etc., par d’autres contre lesquels il serait temps de se révolter ? Et n’est-il pas accompagné de théories prétendument scientifiques sur le différentialisme culturel comme l’était hier le colonialisme avec sa hiérarchie des races ?  » en constatant q ue la ville de Bordeaux  » En cette année 2019, (…) l’un des principaux ports de la traite négrière qui fit la fortune de sa bourgeoisie d’armateurs et de commerçants, a refusé qu’une de ses rues porte le nom de ce dangereux humaniste, Frantz Fanon, ce soldat de la France Libre qui, au nom des valeurs de la résistance au nazisme, choisit logiquement le camp des peuples colonisés, ces damnés de la terre.  » S’il faut se réjouir que, à la différence de tant, où il y a confusions, ou pire, dérives, inconscientes ou conscientes, EP maintient un cap clair dans la conscience et l’analyse des phénomènes historiques et actuels, il faut également constater que son propos manque de sa moitié nécessaire, qu’il s’agisse du passé ou du présent : du passé, il omet de parler des racines historiques, idéologiques, du racisme, avec le racisme social, et que les premiers « racisés » ont bien été des… « blancs », victimes d’un racisme… social, « anti blancs », de la part d’autres blancs : les esclaves dans les colonies et les îles ont été les seconds esclaves de ces maîtres blancs, après les premiers esclaves, qui furent les serfs, les « gueux », de la métropole; et si on prétend faire oeuvre de mémoire envers les racisés, c’est l’ensemble des racisés, de toutes les couleurs de peau, dont il faut parler; et, évidemment, que les racisés « seconds » soient seconds ne diminue pas la gravité du crime, ne le place pas en second, parce que toutes les victimes du racisme social et du racisme sont égales (même si le racisme a eu pour objet de « compenser » les principes et les effets du racisme social, en faisant croire à celles et ceux qui étaient visés par qu’ils bénéficiaient d’un « privilège blanc », et, parfois en le rendant réel, dans un système économique modifié); et du présent, parce que nombre de ses propos relèvent des thèmes et de la pensée décoloniale, desquelles il ne cite pas les références vivantes, dont Houria Bouteldja, laquelle est pourtant, pour l’extrême-droite sauronienne, LE soufre « satanique », et, au-delà, LA référence, à travers le monde (elle est régulièrement invitée dans des universités).

De ce racisme social/racisme, les notes antérieures du blog en ont traité des aspects. L’ouvrage « Du racisme social en Europe et par extension dans le monde » le fait plus profondément (une nouvelle version est en préparation).

Concernant les propos de Lilian Thuram : http://racisme-social.fr/index.php/2019/09/06/lilian-thuram-et-le-racisme-dans-la-culture-blanche-des-propos-inattaquables-et-pourtant/

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