Cette communauté internationale semble abonnée à la mauvaise décision : quand il faut agir, elle s’y refuse ou y renonce, et quand il ne le faut pas, elle le décide, ou elle laisse faire. Ce sont près d’un million de personnes, femmes, enfants et hommes, qui ont été assassinés, en 100 jours, parce qu’ils étaient Tutsis. Voici des extraits de l’article de Fabrice Arfi, paru sur Médiapart :
“Depuis un quart de siècle, la France est engluée dans des accusations de compromissions multiples – d’ordre politique, diplomatique et militaire – avec le régime génocidaire. Depuis un quart de siècle, des documents compromettants émergent et des façades se lézardent. Des militaires parlent. Des journalistes révèlent. Des chercheurs trouvent. Mais depuis un quart de siècle, la France officielle est, elle, incapable de regarder cette histoire dans le miroir tendu à notre propre jugement. Toute la tragédie rwandaise ne se résume pas, loin de là, au seul rôle de la France dans la région des Grands Lacs, mais rien des événements qui ont plongé une nation entière dans les ténèbres ne peut être compris en détournant le regard de celui-ci. Faute de quoi, l’histoire du génocide des Tutsis du Rwanda risque de faire une victime de plus : la vérité. Un mois plus tard, en novembre 1990, un haut responsable militaire français en poste au Rwanda, le général Jean Varret, recueille de la bouche d’un proche du président Habyarimana, Pierre-Célestin Rwagafilita, alors chef d’état-major de la gendarmerie, une sinistre confidence : « On est en tête à tête, entre militaires, on va parler clairement… Je vous demande des armes, car je vais participer avec l’armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple: les Tutsis ne sont pas très nombreux, on va les liquider ».Averti à chaque fois par ce qu’on appellerait aujourd’hui des lanceurs d’alerte, Paris ne fait rien et continue de soutenir aveuglément le régime en place. Et de fait, des massacres de Tutsis ont de nouveau lieu ; en 1990, 1991 et 1992. Ce n’est pas encore le génocide, mais son prélude. En 1993, la collaboration française avec le régime rwandais connaît son paroxysme quand un militaire, le colonel Didier Tauzin, va prendre de fait le contrôle de l’armée rwandaise pour empêcher une nouvelle percée du FPR, qui avait lancé une offensive pour mettre fin aux massacres de Tutsis commis dans les préfectures de Gisenyi et Kibuye. C’est l’opération Chimère. Le nom de code est bien choisi ; une chimère est une idée sans rapport avec la réalité. Quelques années plus tard, confronté à cette séquence sur le plateau de l’émission Arrêt sur images, le secrétaire général de l’Élysée au moment des faits, Hubert Védrine, dira : « Ce pseudo-avertissement sur le génocide, c’est une présentation comme ça, pour ameuter le chaland. » La morgue avec laquelle une telle phrase peut être lâchée, quatre ans après l’anéantissement d’un million de personnes, en dit long, rétrospectivement, sur l’état d’esprit qui habitait alors le sommet de l’État français, la présidence de la République au premier chef.
Tous les signaux ont été ignorés. Tous.Et quand, sur un terrain purement diplomatique et géopolitique, la Délégation des affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense réclame, dans une note « confidentiel défense » du 10 avril 1993, un changement radical dans la politique française au Rwanda, c’est le même silence assourdissant qui accueille la demande. « Le régime en place [au Rwanda] n’est pas plus représentatif que le FPR », peut-on lire dans ce document, qui précise que « notre maintien peut être interprété comme une garantie offerte aux dictateurs ». Rétrospectivement, l’auteur de la note, Pierre Conesa, confiera au Monde : « Rien ne justifiait qu’on tienne le régime Habyarimana à bout de bras. » C’est pourtant ce qui fut fait.L’apathie de la France face à la tragédie annoncée fut aussi celle de la communauté internationale dans son ensemble et, plus particulièrement, de l’Organisation des Nations unies (ONU). Un épisode résume à lui seul cette situation, quand, le 11 janvier 1994, l’un des représentants de l’ONU au Rwanda, le général canadien Roméo Dallaire, envoie un télégramme alarmiste dans lequel il évoque l’existence d’un plan d’extermination des Tutsis. Précision macabre : le rapport du militaire, qui repose sur les confidences d’un extrémiste Hutu repenti, parle d’une capacité meurtrière permettant de tuer mille Tutsis toutes les vingt minutes. Conséquence ? Aucune. Il ne se passera rien, strictement rien, comme le montre de manière implacable le film Retour à Kigali, du documentariste Jean-Christophe Klotz, qui sera diffusé le 25 avril prochain sur France 3.
II. PENDANT