Dans une série de Tweets (en date du 4 juillet 2020), Gilles Raveaud a tenu à lister les points d’achoppement à cause desquels ce qu’il appelle “la gauche”, “dans son état actuel”, “n’a aucune chance en 2022”. Il explique que 3 champs provoquent des oppositions, des tensions : l’Europe, l’écologie, l’identité. Si ces trois points sont, en effet, des sujets qui divisent, il y en a d’autres, avec, le droit du travail et les rémunérations, le rapport à l’Etat, le contenu des réformes prioritaires, la détermination des problèmes fondamentaux et internationaux. Pour son troisième point, il évoque la confrontation/scission entre les “Universalistes” et les “Identitaires”, et même si sa présentation de ceux-ci est, ce qui est rare, non caricaturale, il faut s’interroger sur ces désignations. Les “Universalistes” le sont-ils vraiment ? Les “identitaires” (de gauche) le sont-ils vraiment ? Certains de celles et ceux qui se disent “universalistes” se présentent ainsi, parce qu’ils sont catholiques, ce qui, en grec, catholicon, signifie “universel”. Et est-ce que le catholicisme est… universel ? D’intention, oui, mais de fait, non. Il faut donc rappeler qu’un certain “universalisme” vient du catholicisme, et n’est nullement universel. En effet, pour l’être, il faudrait qu’il concerne, détermine, tout et tous : que tout ce qui n’est pas universel, mais particulier, soit déterminé par quelque chose qui l’est, qui affecte donc toute chose. Ainsi, la localisation des choses est-elle, en apparence, contradictoire : l’union du non-universel et de l’universel, puisque chaque localisation d’une chose l’est par différence-négation avec celle des autres, mais, chaque localisation est bien, systématiquement, une localisation, nécessaire, un système de positions. De ce point de vue, qu’est-ce qui est Universel ? Plutôt que de commencer à répondre positivement, nous pouvons répondre négativement, par la détermination de ce qui ne l’est pas. Précisément, parmi celles et ceux qui se disent “Universalistes”, “républicains”, certains font référence aux principes de la République, “liberté”, “égalité”, “fraternité”. Or chacun de ces principes n’a de sens que par rapport à des lois, françaises, qui, en dehors du territoire français, n’ont aucune existence et valeur. Ces principes ne sont donc pas “universels”, mais généraux/nationaux. La “liberté”, à la française, “l’égalité”, à la française, …, ne sont pas la, liberté, égalité, à, l’anglaise, allemande. Evidemment, certains répondent que, comme avec le catholicisme, c’est l’intention, sans différenciation, qui ferait l’Universalité de. Mais que signifierait la liberté sans ce qui la fonde, concrètement, et donc, lui permet de s’incarner ? Idem pour l’égalité ? On comprend pourquoi certains “Universalistes” tiennent tant à ces prétendus “Universaux” : ils permettent de rester dans les limbes d’un flou où tout et son contraire sont vrais à la fois que, in fine, il est possible de dire – tout et son contraire. La “liberté” peut ainsi servir à justifier une totale “liberté d’expression”, comme une liberté… non totale, à géométrie variable. Et c’est ce qui explique que des tant “Charlie” ont pu expliquer, depuis ces dernières années, qu’ils étaient absolument favorables à la liberté d’expression, sauf si…, sauf pour certains, comme récemment avec celles et ceux qui en appellent à l’interdiction de parler/enseigner le décolonialisme. Non seulement, ces Universalistes ne le sont pas, mais ils voudraient en plus qu’il y ait une telle rétraction de la vie sociale et politique française qu’une pensée critique du colonialisme serait interdit, ce qui porterait un coup, et aux “principes républicains”, et à la culture française dans le monde, perçue dès lors, alors qu’il y a tant de contestations des récits dominants sur l’Histoire, de France et du monde, comme étant liberticide et refusant de faire face à. Mais, précisément, de celles et ceux qui mettent en cause ces récits, la continuité coloniale par d’autres moyens, sont-ils des “identitaires” ? Cette définition provient de “républicains” qui entendent faire d’opposés, des identiques : face aux identitaires (le sont-ils eux aussi ? !) (1), d’extrême-droite, les décoloniaux seraient des identitaires d’extrême-gauche. Qu’est-ce qui permet de les désigner ainsi ? Ils feraient référence à leur(s) origine(s) autre(s) que française, pour se définir : algériens, maliens, sénégalais, musulmans, et, enfermés dans un apartheid, un système séparatiste. Si, des Français, celles et ceux qui ont une origine étrangère, doivent effacer leur mémoire, oublier que leurs aïeuls étaient…, sont venus…, parce que des hystériques l’exigent, il va falloir demander et se demander au nom de quoi le fait d’être français autoriserait ces personnes à imposer une négation de l’Histoire et de la mémoire, comme si celles-ci étaient anti-françaises ! Et on constate que ces mêmes hystériques n’exigent pas cela de Français ayant une origine étrangère européenne (des blancs, chrétiens), mais seulement de celles et ceux qui ne sont pas blancs et pas chrétiens – et le tout, toujours, au nom de “l’universalisme” ! Et si les autres pays faisaient de même avec leurs Français ? ! Enfin, quand ils mettent en cause un apartheid qui leur impose des conditions et des droits différents de ceux des autres citoyens, ils indiquent que, dans ce pays, prétendument doté de “principes universalistes”, tout est donc à géométrie variable : un anti laïc catholique sera ou ignoré ou honoré, un anti laïc musulman sera instrumentalisé et vilipendé, des prétendus défenseurs de la laïcité auront des mots doux et plus si affinités, envers le catholicisme, et d’autres mots envers l’Islam, un candidat à un logement sera choisi, parce qu’il a une couleur de peau “rassurante” (blanche, comme si, par la grâce de cette couleur, il n’y avait donc que des vertus et pas de vices), et un autre candidat, immédiatement recalé, etc etc. La prétention des identitaires d’extrême droite à être les vrais et seuls français est, à priori, nulle et non avenue, les seconds, qui ne se présentent pas comme des identitaires, affirment qu’ils sont français mais qu’un système s’échine à les empêcher d’avoir les mêmes droits effectifs que les autres, à les reconnaître comme tels. Les premiers ne sont pas LES Français et n’incarnent pas LA France (1), les seconds veulent être des citoyens à part entière et constatent que des faits font système. Les premiers mettent en avant une image, les seconds parlent d’une condition. Or, en tant que tel, les décoloniaux font donc référence à une Universalité fondamentale : une condition. Quand, dans une zone d’habitation, il y a plus ou moins de services publics; plus ou moins d’emplois; plus ou moins de lieux publics; plus ou moins d’esthétiques partagées, etc. Entre les habitants de Seine Saint-Denis et ceux du 16ème arrondissement de Paris, quels sont les investissements publics et privés, durables, permanents ?
Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en répétant “l’universel”, “l’universel”, pour ETRE dans. Comme bien souvent, il y a des paradoxes. Et l’un de ceux-ci est que derrière cet “Universalisme” prétendument “républicain”, il y a aussi de la part de certains, un vieux méchant racisme, à l’égard d’hommes et de femmes dont la couleur de peau, ou surtout, leur foi religieuse, ne leur reviennent pas, comme on dit. Et en face, des hommes et des femmes qui ne se disent pas “universalistes” le sont quand ils évoquent la condition humaine, dans la condition, localisée, ancrée, située, limitée, condition positive et négative.
(1) : ces “identitaires” l’être parce qu’ils SERAIENT (Etre) français, plus, mieux, vraiment, que d’autres. De ce qu’est la France, donnent-ils par eux-mêmes une image, fondée sur une identité ? Accepter cela, reviendrait à considérer que les identitaires incarnent et véhiculent, l’Histoire, la Culture, française, ce qui, il suffit de les écouter, étudier, n’est pas le cas. La contribution de l’extrême-droite à cette Histoire et à cette Culture est non seulement partielle, mais très faible. Alors, s’ils ne sont même pas “identitaires”, que sont-ils ? Des réduits ? Nouveau paradoxe : quand on veut, à priori, être très grand et non pas, le devenir, on se rapetisse, on réduit tout et tous.