Ci-dessous, un texte publié récemment par l’Humanité
« Égalités : il y aura un après 7 juillet 2024
Avant, le 7 juillet 2024 à 20 heures, nous avions intégré que les fascistes accéderaient au pouvoir en France. Seulement en l’espace de quelques jours, grâce à la société civile, aux corps intermédiaires, aux associations, aux intellectuels, bref, aux citoyens pour qui la république a un sens, nous avons pu limiter les dégâts et certainement sauver des vies. Alors, le spectacle que donnent à voir les politiques dont aucun n’est véritablement vainqueur est d’une ingratitude éhontée. Les vieilles habitudes reviennent sans attendre, les petits calculs politiciens se font à la barbe de ceux qui les ont mis à ces responsabilités par défaut. Nous le leur disons ici haut et fort : « Vous ne nous avez pas compris, mais désormais nous ne laisserons plus faire. Il y aura bien un après 7 juillet. »
Nul besoin de citer tous ceux qui ont vécu sous les régimes fascistes pour prouver que c’est bien la banalisation de l’ignorance qui a fait le lit de la montée de l’extrême droite en France. Brocarder les intellectuels, la pensée complexe, les historiens, les défenseurs des droits humains et de la justice est la marque de fabrique de médias bollorisés les plus écoutés dans notre pays. Cela va de pair avec l’esprit des politiques si désinvoltes depuis des décennies face aux inégalités scolaires : la démocratisation de la connaissance est en effet un danger pour les apprentis totalitaires.
Mensonges, diffamations, insultes racistes, antisémites, sexistes, homophobes, préjugés, clichés abjects, débats tendancieux, sous couvert de divertissements ou de pseudo-enquêtes d’investigations franchement partisanes nous ont menés dans une situation de crise que nous n’aurions pas imaginée aussi dévastatrice. La campagne pour les élections européennes a été révélatrice de grosses failles dans notre société, connues par beaucoup, déniées par d’autres, étrangères à certains. La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a fini de faire tomber des masques. Mais comme à toute chose malheur est bon, certains constats indignes ont eu pour conséquences l’expression d’une intransigeance déterminée de la part des diffamés et des discriminés de ce pays. Non, plus rien ne sera comme avant le 7 juillet : la parole se libère pour le meilleur aussi.
Les électeurs et en particulier ceux des quartiers populaires que l’on a souvent instrumentalisés pendant les campagnes politiques afin de « faire barrage » ne se laisseront plus utiliser car ils méritent reconnaissance, représentation, respect et réparation des injustices sociales que la gauche leur fait miroiter depuis 40 ans. Une intellectuelle de gauche, anéantie par les résultats des élections me disait en séance : « Nous nous sommes trompés sur toute la ligne, nous n’avons pas su écouter, nous sommes restés entre nous, comme si nous détenions tous les savoirs. » Oui, madame merci de cette lucidité, mais trop tard, trop peu. Il aura fallu ce séisme pour que des penseurs d’une certaine génération, probablement de bonne foi, mais paternalistes pour beaucoup et non débarrassés de leur inconscient colonial pour d’autres réalisent l’aggiornamento nécessaire.
La responsabilité de certains médias s’impose aujourd’hui comme une des causes de notre crise. Glissements sémantiques, racisme décomplexé, stigmatisations, ricanements nous ont tous atteints profondément dans notre dignité. Le « media trauma » a commis bien trop de dégâts et appelle à la vigilance de tous. C’est pourquoi nous relayerons et soumettrons à l’examen de la justice chaque fois que cela sera nécessaire. Certes, des condamnations commencent à tomber, mais l’ardoise est encore bien longue. Sur de nombreux plateaux audiovisuels, le débat sur les identités a été imposé par l’extrême droite à travers un registre xénophobe et anachronique, fidèle à l’esprit des anciens de la Waffen SS, fondateurs de ce parti. Or des médias mainstream ont négligé cette histoire, participant ainsi à normaliser un parti anormal.
Il est temps, après tant de souffrances, que la France se raconte sa véritable histoire afin que les uns et les autres comprennent pourquoi ils vivent ensemble aujourd’hui et continueront de se côtoyer. Il est temps de souligner les bienfaits de l’immigration, les histoires réussies, l’apport de ceux qui viennent d’ailleurs et qui ont enrichi la France à l’occasion d’une journée nationale de l’immigration, par exemple.
Notons par ailleurs qu’aucun responsable politique ne s’est déplacé pour soutenir les trop nombreuses victimes de racisme depuis ces dernières semaines, ils n’ont pas non plus condamné les appels aux ratonnades : indifférence dont nous nous souviendrons. Aucun crime raciste ou antisémite ne doit plus être passé sous silence. Nous comptons pour cela sur le service public, comme les médias régionaux, mais aussi sur les médias indépendants dont certains sont nés de la pandémie de fake news et de la compromission de certains de leurs collègues dans des affaires politiques.
Les grandes perdantes de cette séquence sont les femmes, comme lors de chaque crise. Depuis le 7 juillet, elles sont moins nombreuses à l’Assemblée nationale car peu étaient investies par leurs partis en positions d’éligibilité. Inexistantes dans les débats télévisés, rejetées, même, puisque Jordan Bardella a refusé de débattre avec Marine Tondelier. Si aucun média organisateur n’a été choqué par l’absence des femmes les Français, eux, s’en sont étonnés, c’est dire le décalage.
Le fascisme c’est aussi le sexisme et les inégalités hommes-femmes, les menaces sur les droits à l’IVG, des agressions justifiées et non punies. Une évaluation rigoureuse des politiques en matière de droits des femmes s’imposera. Le ministère en charge de ces questions devra avoir les moyens pour lutter contre les trop nombreux féminicides et l’écart salarial de plus de 20 % à travail égal.
Le temps de deux campagnes électorales, tous les Français se sont sentis en insécurité républicaine. Incontestablement, il s’est passé quelque chose en ce 7 juillet, et qui n’est pas près de se terminer. Les politiques sont prévenus : ils doivent faire de la politique autrement, c’est-à-dire plus jamais sans la participation de la société civile. »
Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Psychiatre, écrivaine