A propos d’une vassalité fondée en 1983 et qui dure encore, le livre d’André Bellon contribue à une Histoire politique des années 80, premier des tournants, tristement fondateurs de notre présent

Inviter à la lecture d’un livre dans lequel le parti socialiste français des années 80 est le sujet d’un récit, d’une réflexion, peut apparaître, aujourd’hui, incongru, décalé, tant le PS, parti politique majeur de sa fondation à 2012, est désormais réduit à peu, que cela soit en terme de militants, d’élus à l’Assemblée Nationale, de votes aux élections présidentielles. Mais il n’a pas encore complètement disparu, puisqu’il existe encore officiellement, compte beaucoup d’élus, maires, conseillers de ceci ou de cela, sénateurs, et des représentants officiels. En 5 années, celles des années Hollande, sa chute a été impressionnante, puisque nombre de ses cadres ont fui pour fonder, avec une partie de la droite, la « macronie », que ses résultats électoraux ont été les plus bas de son Histoire, et que les partants ont laissé à leurs successeurs un parti exsangue, socialement, méprisé, décrié. Mais le PS « vit » encore, puisqu’il a des représentants officiels, des hollandistes historiques qui tentent de faire une synthèse entre le PS actuel et la majorité Renaissance, parce qu’il a donc tous ces élus, et donc qu’il n’est pas certain qu’il ait épuisé son pouvoir de nuisance. Pourquoi définir ce parti ainsi ? C’est que, en 40 ans, le PS a, principalement, menti, trahi, les millions de citoyens, travailleurs, qui lui ont fait confiance, entre 1981 et 1986, 1988 et 1993, 1997 et 2002, et enfin, 2012-2017, sans doute l’apothéose catastrophique.  Nous avons ici démontré que, étant donné leurs choix, leurs actes, il fallait considérer que le PS avait été un parti de droite, mais, officiellement, partout, dans les grandes écoles, etc, il est toujours présenté comme un parti de gauche. Mais alors, comment comprendre qu’un parti « de gauche » ait principalement mené des politiques de droite, évidemment, tempérées par quelques mesures, mesurettes, de gauche, histoire de continuer à prétendre justifier le rose, à défaut du rouge…

Pour les années 80, le livre d’André Bellon, « Une nouvelle vassalité – contribution à une histoire politique des années 1980 » impose une douche froide, ce que son auteur a lui-même vécu de l’intérieur, puisqu’il a fait partie des sincères qui y ont cru (même si, dès le départ, il l’avoue, il fut méfiant envers François Mitterrand dont il connaissait le parcours politique), et qui, d’année en année, ont subi déception sur désillusion, dépit sur dégoût. Mais comment les choses se sont-elles passées ? Puisque, en Histoire, rien n’est jamais absolument déterminé : des individus, des groupes, peuvent prendre des virages inattendus, qui font l’Histoire. C’était ce qui était advenu le 10 mai 1981: c’est ce que disait les conteurs socialistes de leur Histoire en train de se faire. Et, en effet, virage il y a eu, mais pas du tout dans le sens voulu et soutenu par des millions d’électrices et d’électeurs.

Il faut rappeler que, en 1981, François Mitterrand remporte l’élection présidentielle sur son prédécesseur, avec le concours de plusieurs facteurs : l’immense rejet de VGE, presque aussi comparable à celui de l’actuel locataire de l’Elysée, des scandales, le retrait de la candidature de Coluche, le choix de soutenir l’abolition de la peine de mort, qui lui a rallié le vote d’humanistes « centristes ». Dans la construction du désastre, André Bellon rappelle l’immense responsabilité de François Mitterrand qui, soit a eu des convictions, contre « la monarchie républicaine », qu’il a renié, soit a fait semblant d’avoir de telles convictions, pour mieux les oublier une fois coulé dans le costume présidentiel et dans les ors de l’Elysée. Les directions du parti, engagées dans une logique sectaire, avec une déférence constante envers « le Président », qu’il ne faut pas critiquer, dont il ne faut pas interroger le parcours (cf le passage où Lionel Jospin répond sèchement à André Bellon à propos de la francisque remise à François Mitterrand par Pétain en personne). Il rappelle « l’affaire des arriérés de carrière des généraux putschistes » et des dirigeants de l’OAS, donc, d’extrême droite, qui ont tenté de faire tomber De Gaulle et la République, qui ont tenté d’assassiner De Gaulle, l’usage du 49.3, déjà, la colère de cette femme d’un lieutenant-colonel, assassiné à Oran par l’OAS, que François Mitterrand et le PS firent mine d’ignorer. Dès 1984, il est contraint de constater qu’il y aura encore moins de contestations qu’avant 1984. La haute technocratie, toujours de droite et à droite, redevint rapidement décisionnaire en tout. Quand elle décida que la France devait ratifier le traité de Maastricht, les pressions sectaires sévirent : ceux et celles qui étaient avec, pour, faisaient le bon choix, les autres faisaient un choix contre, la France, François Mitterrand, le PS. Le changement de politique de 1983 a été débattu et décidé dans un petit cénacle de conseillers du président et de ministres. De consultation des Français, ou des adhérents du PS, il n’y eut. De Mauroy à Jospin, le mot d’ordre était : circulez, il n’y a rien à discuter. Ce « cabinet noir » a décidé de ce que André Bellon appelle la « nouvelle vassalité » : autrement dit, cette soumission à la politique capitaliste anglo-saxonne, relayée en Europe par l’Union Européenne.

Pour tout ce qu’il fait, un pouvoir politique « se » justifie, doit se justifier. Le « new » PS n’a pas eu de mal pour trouver des intellectuels, comme un certain Pierre… Rosanvallon, qui, quarante ans plus tard, sévit encore pour s’étonner que le libéral qu’il a soutenu, lui et ses amis, soit si… libéral, et nullement social – et ne parlons même pas de socialiste…, un certain Michel Ricard, le vrai théoricien de cette politique, dont il a magnifiquement incarné la nullité (il faut se souvenir de son extraordinaire campagne européenne, dont le résultat fut, pour le PS, catastrophique, prélude de ce qui allait lui arriver 20 ans plus tard). Avec la multiplication de médias nationaux tous sous un contrôle strict du pouvoir politique, celui-ci a fait en sorte qu’ils fassent beaucoup de bruit, bien plus volumineux que de pauvres casseroles entrechoquées ici ou là, afin que les voix dissidentes ne soient pas entendues. A la « répression », trop soviétique ou maccarthyste, on a préféré la valorisation, par une sélection drastique des orthodoxes, avec, notamment, les promoteurs de la « nouvelle gauche », avec, « acceptation du monde tel qu’il est,  (…) révérence vis-à-vis de l’économie, (…) critique de la Philosophie des Lumières, (…) distance par rapport aux libertés individuelle et collective », avec pour matrice, le thème majeur du « totalitarisme ». Bien que diverse, cette intelligentsia a joué des confusions, et les uns et les autres se sont complétés pour faire du pouvoir politique d’origine populaire le principe de tous nos maux. André Bellon évoque ainsi l’influence dramatique d’une Fondation, désormais disparue, la Fondation Saint-Simon, sous la direction de Rosanvallon. Si, aujourd’hui, dans une rue en France, on arrête 100 personnes pour leur demander si elles connaissent Pierre Rosanvallon, « apôtre de la pensée unique », il y a aura 98 non, un oui par erreur, et un oui sans erreur. Autrement dit, les Français ne se sont pas rendus compte de qui tirer les ficelles, et dans quel sens. Or la pensée portée par Rosanvallon annonçait les politiques des années 2000, surtout avec Sarkozy, Hollande, et plus encore, Macron. C’est pourquoi il est si comique de le voir encore ces jours-ci sur des plateaux pour l’entendre se plaindre (ou faire semblant) des effets dont il a voulu et soutenu les causes. C’est que lui qui est le praticien des euphémismes et des édulcorations, l’époque actuelle est redevenue brutale, et sur des bases dont il a été un des promoteurs. On sait comment de tels responsables/coupables gèrent leur culpabilité : avec du yoga, des colloques, une confession, un mea culpa. Et « tout est pardonné ». Mais comment pardonner à un Negri qui, en 2005, aveuglé par sa haine de « l’Etat-nation », a appelé à voter pour le Traité constitutionnel ?

Ces intellectuels, avec ces politiques, tous communiaient dans l’extase sur la Sainte UE. Au début des années 90, Le Pen, fraichement converti à une dénonciation constante de l’UE (puisque le PCF venait, lui, de l’abandonner), fut utilisée pour affirmer l’adéquation entre le rejet de l’UE et la lepénisation. Mais comment comprendre que des faux « dirigeants d’un parti de gauche », aient pu soutenir une telle politique institutionnalisée à travers la bureaucratie UE, dont le sens libéral fut perçu et immédiatement dénoncé par Pierre Mendès-France en 1957, en se soumettant ainsi à toute la droite européenne ? Une question que ne pose pas André Bellon au moment même où il parle d’un discours, politique, devenu, théologique, c’est celle de l’influence de l’Eglise catholique, des réseaux catholiques dans cette marche vers une Union, qui, si nous l’étudions bien, a toutes les caractéristiques du pouvoir vatican, lui dont par ailleurs, nous avons formulé cette hypothèse, que, proto-Etat, il a favorisé la naissance des Etats en Europe par imitation de ses caractéristiques ? Parce que « l’Union Européenne » a existé bien avant la CE, la CEE, l’UE, avec l’Eglise catholique romaine, sise à Rome, et ayant des délégations extrêmement puissantes dans chaque pays européen. Et cette influence catholique, structurelle, expliquerait de manière claire la dérive de TOUS les Etats européens vers l’extrême-droite, en Italie même, en Hongrie, en Pologne, dans les pays baltes, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, etc. Mais de cette influence, beaucoup refusent de la voir, d’accepter qu’elle existe et qu’elle pèse, et que le Vatican continue d’avoir sur la politique en Europe une influence majeure, qui n’est plus ni soupçonnée, ni mesurée. D’autant que par leur engagement radical en faveur de l’UE, ces faux partis, citoyens, « de gauche », ont donc affirmé que l’opposition active et radicale à l’UE était d’extrême-droite alors même que la politique suivie par l’UE correspondait aux principes et aux obsessions, économiques, de l’extrême droite, capitaliste, favorable à l’ultra-libéralisme. Ce qui fait que pendant 20 ans, et cela dure encore, nous avons subi une folie, à savoir une défense passionnée par des « gens de gauche » en faveur d’une superstructure politique et économique orientée à droite, à l’extrême droite, ce que nous voyons aujourd’hui par les collaborations, enchantées, entre la direction de l’UE et les gouvernements d’extrême droite (sauf exception, des exceptions bien pratiques pour laisser croire que…). André Bellon évoque comment ces Machiavels, qu’ils aient été conscients de ce qu’ils faisaient ou qu’ils aient été inconscients, ont favorisé le FN (RN) en lui permettant de se « normaliser », ce qu’il qualifie même, à juste titre, de crime.

Ce livre a 15 ans. Paru en 2007, il ne peut, évidemment, pas commenter ce qui, depuis, a eu lieu, une Histoire presque encore plus terrible et tragique que celle entre 1981 et 1995, année de la mort de François Mitterrand. Or, ces 15 dernières années ont également été déterminées par le PS, par des intellectuels comme Rosanvallon, par ces somnambules (ou ces menteurs) qui prétendent promouvoir la démocratie, des droits civiques forts, alors qu’ils soutiennent le capitalisme toujours plus débridé, l’extrême-droitisation, avec un « libéralisme » toujours plus fascisant, une idéologie toujours plus obsédée par le communisme, au point de trouver des excuses au nazisme, ces partis qui, partout, progressent, contre la démocratie, les droits civiques forts. Les 6 années écoulées depuis l’élection d’Emmanuel Macron constituent un démenti de toutes leurs affirmations, de leurs promesses, de leurs certitudes « humanistes ».

André Bellon, conscient des voies sans issue dans lesquelles ces politiques, individus et programmes, nous ont mené pour nous retrouver toujours face au même mur, n’a pas consenti à cette Histoire, en se soumettant, en baissant les bras. Tant par son expérience de député que par ses réflexions de citoyen, il en est venu à considérer que la Constitution de la 5ème République était bien, par elle-même, un des plus fondamentaux problèmes français. C’est pourquoi il a créé, avec d’autres, une association, « Pour une Constituante », dont le site est ici. Si la Constitution de la 5ème République avait été mise en cause dès 1981, qu’un processus constituant ait été suivi et ait abouti à la rédaction et à la validation d’une nouvelle Constitution, autrement plus, rigoureuse, développée, précise, démocratique, toute l’Histoire de ces 40 dernières années en auraient été changé. Le fatalisme des pseudo anti fatalistes de 1981, sur ce sujet, a contribué à laisser en l’état le moyen de ce « coup d’Etat », dont François Mitterrand s’était fait l’ardent accusateur dans une célèbre action littéraire. Mais, hélas, François Mitterrand n’était pas sincère, et c’est ce qu’il a démontré pendant 14 ans, en conditionnant ce qui, depuis, a suivi. Les faussaires en politique sont des criminels, même s’ils portent des gants blancs. La situation française, notamment depuis le dernier usage du 49.3 par le gouvernement Borne pour faire adopter une nouvelle législation sur les retraites, a ENFIN conduit de très nombreux citoyens à s’interroger sur une Constitution qu’ils connaissent si peu, ou pas du tout. Sur ce site, un travail a commencé sur et contre cette épouvantable Constitution, superficielle, sèche, partielle, partiale, contradictoire, donc, menteuse, puisqu’elle a beau posé la prééminence ontologique du peuple et de sa volonté, elle en organise méthodiquement et habilement la négation. Il y a longtemps que ce sinistre texte aurait dû être envoyé aux oubliettes de l’Histoire, or il sévit encore, et il ne faut pas s’étonner que des Manuel Valls, Raphaël Enthoven et autres, la défendent bec et ongles. Le peuple souverain y est « nassé » et après, il est, de fait, « nassé » par des forces de police, mais la première force de police, c’est le texte constitutionnel lui-même.

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