Ci-dessous, des extraits de l’article de Médiapart :
« Lorsque les douaniers perquisitionnent la maison à Mesnil-en-Ouche, dans l’Eure, ce 20 novembre, ils n’imaginent pas l’ampleur de ce qu’ils vont trouver : un arsenal de cent trente armes (dont des fusils d’assaut AR-15 et AK-47, au moins deux pistolets-mitrailleurs, des armes de poing, deux fusils à pompe à canon et crosse sciés), 200 kilos de munitions, des grenades et cinq cartouches de 20 mm pour mitrailleuse d’avion, comme l’a rapporté Le Monde. Mais aussi un drapeau de la Kriegsmarine, la marine de guerre allemande sous le Troisième Reich, une croix gammée sur une toile de jute, un portrait d’Adolf Hitler et la preuve de l’inaction de l’armée française. Depuis un an et demi, Mediapart a publié à deux reprises des enquêtes sur la présence de néonazis au sein de l’institution. À chaque nouvelle révélation, le ministère des armées a promis de faire le ménage, sans que cela soit suivi d’effet.Même si, contacté, celui-ci nous affirme que « toute dérive idéologique est sanctionnée sans complaisance ». « Le ministère des armées s’emploie à prévenir ces dérives et à détecter en amont tout individu dont le comportement serait incompatible avec les valeurs de la République, poursuit-on au ministère. Ainsi, les contrôles à l’engagement, les renouvellements d’habilitation ainsi que les avis pour emplois sensibles font l’objet d’une “tolérance zéro”. Le ministère des armées a toujours combattu avec la plus grande fermeté ces dérives idéologiques. Les révélations de Mediapart ont été l’occasion de réaffirmer sa détermination dans ce domaine. » Le samedi 20 novembre, Pierre N. et Gaëtan D. ont été interpellés à l’occasion d’un contrôle douanier dans l’Eure. Les deux amis, âgés de 25 ans, étaient de retour d’une séance de tir en rase campagne avec des armes dûment enregistrées, donc légales. Mais l’activité à laquelle ils s’adonnaient, elle, n’en demeure pas moins interdite. Les douaniers poursuivent leurs investigations au domicile de Pierre, et c’est là qu’ils découvrent l’arsenal et la propagande néonazie. Pierre déclarera être collectionneur d’armes et d’objets de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, toujours selon lui, il réparerait les armes pour le compte d’autres personnes. À l’issue de leur garde à vue, Pierre N. et Gaëtan D. ont été mis en examen pour acquisition et détention d’armes. Joint par Mediapart, leur avocat, Me François Delacroix, décrit des clients « dépassés par ce qui leur arrive » : « L’un a une passion pour la chasse, l’autre pour le tir. Ils ont pu être influencés par des mouvances d’extrême droite mais j’ai le sentiment qu’ils ont évolué. Ils ne se considèrent pas comme des gens dangereux pour la société et sont prêts à s’expliquer devant le juge d’instruction. » L’avocat souligne que le parquet n’a pas demandé leur placement en détention provisoire et que ses clients sont libres sous contrôle judiciaire. Ce qui n’empêche pas l’affaire de susciter de nombreux articles, en raison, au-delà du nombre d’armes saisies, de son contexte. Pierre N. est outilleur, il n’est pas militaire. Le problème, c’est que son ami, lui, l’est. Et que sa fascination, au minimum, pour le Troisième Reich, était connue depuis huit mois et les révélations de Mediapart sur une filière néonazie dans l’armée. Le problème, c’est que la ministre des armées, Florence Parly, avait promis la plus grande fermeté à l’égard de ces soldats qui affichaient leurs sympathies pour cette idéologie. Le problème, c’est que depuis cette prise de parole, et sans doute en l’absence de sanctions sérieuses pour les contrevenants, Mediapart a découvert d’autres militaires ne cachant pas leurs convictions. En toute impunité. Issu d’une famille d’agriculteurs, Gaëtan D., membre du 35e régiment d’infanterie (35e RI), s’affichait sur son profil Facebook vêtu d’un tee-shirt à la gloire de la division Charlemagne, une unité de la Waffen-SS composée de volontaires français. (…) Mediapart a demandé au ministère des armées si l’enquête du service de renseignement militaire faisait suite à nos révélations. Celui-ci nous déclare : « Gaëtan D. faisait l’objet d’une enquête d’un service partenaire qui a associé la DRSD en raison du statut militaire du suspect. » Sans répondre précisément si ce militaire était suivi à cause de sa mention dans notre article. Selon une source proche du dossier, cela serait bien la lecture de notre article qui aurait amené les services de renseignement à s’intéresser à son cas. Après la parution, Gaëtan D. aurait, selon son avocat, fait l’objet d’une sanction administrative : ce caporal aurait été déplacé à un poste lui interdisant toute responsabilité d’encadrement. Contacté, le ministère précise qu’il s’est vu infliger une sanction disciplinaire de vingt jours d’arrêts. Après la publication de nos deux enquêtes pointant la présence d’une soixantaine de militaires néonazis, nous avions écrit, sans doute naïvement, un article titré : « Le début d’un grand ménage ? » Au moins quatre des militaires évoqués dans nos enquêtes avaient été exclus ou étaient en passe de l’être et les hauts gradés promettaient une nouvelle salve de sanctions. En effet, les plus hautes autorités du ministère des armées se succédaient dans les médias et sur les réseaux sociaux pour reconnaître l’utilité de notre enquête. « Mediapart accroît la vigilance des armées sur un sujet que les armées surveillent de très près en permanence », avait assuré le général François Lecointre, alors chef d’état-major des armées. Le porte-parole des armées Hervé Grandjean avait de son côté tweeté : « Tolérance zéro. Il n’y a pas de place pour les comportements haineux et extrémistes au ministère des armées. » Entendue par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, la ministre Florence Parly avait conclu que « ces révélations doivent nous inciter à redoubler de vigilance ». Au sortir de son audition dans la soirée, la ministre avait enfoncé le clou sur les réseaux sociaux : « Je condamne fermement toutes les expressions d’une idéologie haineuse et barbare. Elles n’ont pas leur place dans nos armées. De tels comportements sont combattus, punis. »