Armes versus âmes, une contradiction désarmante ? Un livre gratuit – suite du premier chapitre, « L’apparition du monstre, l’humain-de-l’homicide »

Penser l’homicide, c’est faire le point sur toutes les strates qui conditionnent et expliquent le fait : faire passer un être humain, de l’état de vivant, ce qu’il est né depuis sa naissance, à l’état de mort, par une action, des actions, de pression, sur et contre « l’intégrité », cette totalité physique dont tous les éléments sont liés et qui, dès lors qu’elle est atteinte d’une manière localisée, l’est dans une telle proportion que ses mécanismes en sont, immédiatement ou rapidement, interrompus. Du point de vue physique, un homicide, volontaire ou involontaire, commence par un usage de la force physique, dès lors que celle-ci a pour objet de viser celle d’une autre personne pour la faire cesser. Nous sommes là devant un fait extrêmement troublant : un usage de la force vit à rendre impossible un tel usage par une autre personne en faisant disparaître sa force même, autrement dit un usage de la force qui s’affirme et se nie en même temps, s’affirme, pour soi, se nie, pour autrui. Au lieu de « tuer » son projet de meurtre, le meurtrier tue en visant ce qu’il est – et ce parce qu’il fait de l’Autre, un… autre. Condition de possibilité transcendantale du crime/criminel : ne pas penser autrui comme étant lié à soi, ne pas se penser comme étant lié à celui/celle qui peut être menacé(e). Dans une communauté extrêmement fraternelle, le meurtre est un évènement rare, parce qu’il est difficile à concevoir. Dès lors que les Je sont séparés, distincts et engagés dans d’éventuelles concurrences, ce risque augmente. En outre, il ne suffit pas d’y « penser », comme un « songe ». Sauf pour quelques humains-robots, le projet de « tuer » est un cas de conscience pour toute conscience, dans la mesure où ce n’est pas un acte anodin, superficiel. Et là encore, sauf cas particuliers, (le meurtre gratuit, au hasard, rarissime), il s’inscrit dans un projet, un plan : autrement dit, un calcul, par une comptabilité entre les avantages, les bénéfices, et les inconvénients, les pertes. Un tel projet s’inscrit donc dans une croyance, que mon Je y a quelque chose à « gagner », et que ce gain est si important qu’il vaut la peine de prendre le risque de le faire. Qu’est-ce qu’un tueur a à gagner ? Quand il est un « professionnel », qui reçoit des ordres, le gain est économique, en plus d’autres « gains », personnels (le plaisir, la vengeance, etc). Pour les non professionnels, le gain peut aussi être économique (ne pas avoir à négocier un divorce onéreux), personnel, social. Il existe des motifs impérieux : faire cesser une violence subie. Par exemple, un « tueur en série » américain a tué sa mère. Celle-ci l’humiliait depuis son plus jeune âge. Devenu adulte, et un géant, il a fini par la tuer, pour la faire taire. Factuellement, il a, en effet, fait cesser cette parole. Il y avait d’autres solutions : partir, ne plus jamais la revoir, la faire poursuivre en justice pour maltraitance. Comme il ne fut jamais secouru par qui que ce soit, il a pu penser que, s’il sollicitait une aide, elle lui serait refusée. Il a donc fait advenir le silence, mais par un assassinat. Là, la césure avec cette autre personne, était consommée, totale : bien que liée par les liens du sang, ils étaient en fait, par le comportement irascible et violent de cette femme, éloignés l’un de l’autre à un tel point qu’il lui a été possible de concevoir ce projet, sans qu’il soit choqué par ce projet. Le monde dans lequel il avait grandi lui avait répété que cette femme était sa mère. Lui, n’avait jamais connu l’affection, supposée, d’une mère pour un enfant. Elle était une étrangère, et une étrangère qui le rabaissait, l’humiliait en permanence. Cette « explication » n’entend en rien justifier son acte, puisque, comme déjà dit, il pouvait partir et ne jamais la revoir. Mais elle a pour objet de constater que si son acte est tragique, pour sa mère comme pour lui (devenir un meurtrier, c’est être changé à jamais), il est « sensé », il se comprend, bien qu’il ne soit pas juste. Dans un tel cas, ce meurtre a été une réponse, physique, à un meurtre symbolique, par la négation du lien filial, de cette mère vers son fils. Or un enfant n’est jamais responsable du monde dans lequel il naît. Les adultes, eux, le sont, responsables, et, d’ailleurs, ils demandent à l’être. Pour pouvoir tuer, il a fallu que le tueur ait perdu cette empathie, qui, en nous liant à autrui, nous permet de penser à, sa vie, sa sensibilité, ses sentiments, ses liens avec d’autres, de prendre en compte son existence et ce qui la dépasse, et nous, à l’égard de tels tueurs, nous ne devons pas perdre notre empathie, sans perdre notre raison, en étant capables de comprendre, tout en soutenant l’encadrement strict dans lequel un tel tueur se trouve, une fois qu’il a été arrêté. Il faut constater que, sur ce devoir d’empathie, cette nécessité, des personnes, notamment des femmes, vont jusqu’à comprendre, aimer de tels hommes, et, parfois, si cela est possible, les aider à s’enfuir. Mais entre un excès d’empathie et une perte totale d’empathie, il faut bien constater que le pire arrive avec la deuxième voie. Et ce qu’il nous faut aussi comprendre, c’est comment nous passons d’un usage de notre raison pour avoir des projets de vie, à des calculs pour planifier la mort d’une personne, par les moyens, les circonstances, les nécessités, les risques, les conséquences. Comment en vient-on à perdre son temps pour tuer le temps vital d’autrui, et, parfois, souvent, le sien propre, une fois que, arrêté, la vie doit se passer, enfermée entre quatre murs ?

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