” Beaufs et barbares, Le pari du nous ” (Houria Bouteldja) : Praxis et théories de la domination raciale, l’alliance entre les prêtres, intellectuels et les soldats, note 3

La fin du premier chapitre consacré à l’Etat racial traite du déploiement, à partir d’une interprétation de la controverse de Valladolid, en tant que faux débat contradictoire, d’une même logique, articulant, en fait, deux versions d’une même pensée, la version “hard” (naturaliste), et la version “soft” (historiciste”), lesquelles, toutes les deux, justifient la domination, par des principes et des pratiques qui diffèrent légèrement ou un peu plus. “Pour résumer, le débat oscillera toujours entre sa version dure, le racisme assumé, et sa version soft, l’humanisme paternaliste. Si les deux parties revendiquèrent la victoire à l’issue de la controverse, la condamnation de l’esclavage des « Indiens », mis sous la protection de la Couronne, sera vite transgressée sous la pression de groupes défendant des intérêts économiques. Cette condamnation servira en outre de prétexte aux possédants pour aller chercher une main- d’œuvre gratuite ailleurs : en Afrique.”

Pour le projet d’un Etat-puissance (finances et armées, ce que le “néo-libéralisme” répètera à notre époque), ses promoteurs ont eu besoin de moyens en vue de constituer d’autres moyens, et tout humain doit pouvoir servir. Il y a les serviteurs “privilégiés” et les serviteurs, asservis, distingués des premiers dans l’espace et le temps comme dans les signes attribués des uns aux autres : les premiers reçoivent des gratifications, les plus proches des maîtres absolus, et les seconds sont marqués au fer rouge, voire amputés. “C’est d’abord aux Hollandais qu’on doit l’introduction du libéralisme dans les colonies américaines, eux qui supplantent les Espagnols et inaugurent le commerce d’esclaves à grande échelle. La bourgeoisie hollandaise, bien avant les bourgeoisies anglaise et française, rompt avec l’Ancien Régime et le système féodal et se lance à l’assaut du monde, installant ses premières colonies. La Hollande est alors le centre politique et idéologique de l’Europe où se forgent les premiers grands esprits libéraux. La bourgeoisie étant « la première classe de l’histoire qui a besoin, pour s’ériger en classe dominante, d’un corps d’intellectuels organiques », c’est en Hollande que les premiers écrits de Bernard de Mandeville et de John Locke, tous deux pères du libéralisme économique, voient le jour.” Pour faire le pendant des théologiens catholiques, des intellectuels hors Eglise apparaissent, pour représenter la doctrine nouvelle, comme son objet, de l’Etat, avec le droit, pour représenter la pensée explicite (la “Philosophie” scolastique, aristotélicienne, étant jugée, “dépassée”, doit être remplacée, parce qu’elle n’est plus à même d’assurer sa mission historique par ses insuffisances au regard des “nouveautés”). C’est ce qu’Houria Bouteldja appelle les “intellectuels organiques”, en reprenant une expression de Gramsci. Et notre époque démontre qu’il y a une reproduction constante pour la gestion de “l’héritage” “social-libéral” (compétition entre les hérauts, ces zéros, notamment par leur nombre sur les chèques perçues), et que ce n’est pas un hasard si nombre des têtes connues en France sont, avec le racisme, “compréhensives”, “bienveillantes” – ou plus, pire.

Dans cette vidéo, une erreur s’est glissée concernant la fin des Hebertistes : l’année est bien 1794, mars, et non 1793.

C’est à partir des évolutions du 18ème siècle que l’auteure en vient spécifiquement à la version française de cette domination/exploitation. Si la “banalité du mal colonial” tangue brièvement avec la convention montagnarde, l’alliance capitale entre les exploiteurs et leurs protecteurs politiques, juridiques, militaires, a facilement raison des groupes populaires, trahis, une fois de plus, par la petite bourgeoisie, incarnée par Robespierre, incapable d’affronter cette alliance (cette interprétation de la célèbre “fatigue” de Robespierre avant l’été 1794 est de notre fait et pas de l’auteure, qui ne l’accuse en rien). Mais si la voie d’un égalitarisme réel est enterrée grâce à la Terreur, enfin retournée contre ceux qui étaient dans ses collimateurs depuis le début, les violences de l’exploitation sont contre-productives, comme le démontre la libération d’Haïti par les anciens esclaves. Il faut donc articuler inégalités de fait et discours sur les perspectives d’égalité. Les “prêtres”-intellectuels hors Eglise vont défendre “l’espoir”, à l’instar de leurs modèles, chrétiens : il faut savoir attendre, être modéré, contre des excités qui veulent un grand soir et tout, tout de suite. Le discours sur “l’unité nationale” (pour, précisément, ne pas dire raciale), va s’imposer et devenir structurel, jusqu’à aujourd’hui, du Bonaparte qui va devenir Napoléon 1er à tout résident de la 5ème République.

L’échec des rares sincères et véritables “égalitaristes”, absolument cernés par des opportunistes absolus, entre 1789 et 1797 (avec la conjuration de la conjuration des Egaux, l’élimination de Baboeuf), ouvre la voie de la France des inégalités structurelles dont les Français ne sont jamais sortis, puisqu’ils sont encore pris dans les rets d’un tissage “libéral” arachnéen qui ne lâche jamais ses proies. En deux siècles, la “race” et le racisme vont être les appuis et les représentations de la division des prolétaires, pour faire des “petits blancs”, des “petits privilégiés” qui auront préféré regardé qu’ils étaient des “privilégiés” plutôt que des petits comme…, et des racisés, des exploités, tant dans les activités de production que dans les représentations, pour jouer les uns contre les autres. “Le racisme devient une pièce maîtresse de la relation sociale car il faut désormais protéger l’espace français, ne serait-ce que pour rendre efficace le pacte social/racial entre les classes dominantes et dirigeantes et les classes subalternes blanches.” 60 ans après la fin officielle de la plupart des colonies, la France est devenue, de fait, un pays “multi”, culturel, cultuel, mais les nostalgiques des années coloniales royales, leurs familles, leurs descendants, refusent de renoncer à ce qui a fait leur pseudo “grandeur”, une exploitation capitaliste/raciste.

Il leur est facile de trouver des alliés du côté des “républicains” auto proclamés, puisque “1945 est l’année charnière d’une nouvelle page du pacte social/racial. Le 8 mai, la république est rétablie, l’État de droit succède à Vichy, mais commet des massacres coloniaux à Sétif et Guelma en Algérie faisant des dizaines de milliers de morts, ainsi qu’en Syrie et plus tard à Madagascar et au Cameroun. Toutes les contradictions de l’État racial sont cristallisées dans cette date du 8 mai 1945. Alors que les travailleurs français ont obtenu les congés payés en 1936, le « plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail », proposé par le Conseil national de la Résistance, est adopté en octobre 1945. Le préambule de la quatrième République reconnaît à tous le droit à la protec- tion de la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs. Nul doute que la lutte des classes a payé face à un patronat affaibli par cinq années de loyale et zélée collaboration avec les nazis (d’importants mouvements de grèves ouvrières ont lieu notamment en 1947) mais l’oppression des peuples colonisés n’est pas remise en question, pas plus que le privilège de la classe ouvrière blanche. Tout comme la révolution haïtienne avant elles, les révolutions vietnamienne et algérienne viennent ébranler l’architecture de l’État racial sans pour autant l’achever. De Gaulle sera le stratège de la contre-révolution coloniale qui allait amortir le choc de la perte des colonies et maintenir la France dans son rang de puissance mondiale. « Terrible dilemme, lorsque l’armée capitule en 1940 face à l’ennemi extérieur-intérieur, extérieur à la France, intérieur au monde blanc ; terrible dilemme lorsque l’armée est défaite par la révolte des peuples de l’empire, c’est-à-dire par l’ennemi intérieur-extérieur, intérieur à l’espace politique français, extérieur au monde blanc. La “mission” que s’est donnée de Gaulle a été de le résoudre. » On en connaît le résultat : la Françafrique (…)“. Françafrique dont, ces jours-ci, actuellement, sonne enfin le glas, le début du glas, puisqu’elle continue à sévir, mais, moribonde, par comparaison avec ses “grandes heures”, des heures qui, pour les peuples colonisés, furent des heures tragiques. Or, via les circuits financiers, elle se prolonge : elle prolonge son agonie, mais pendant ce temps, des populations continuent de souffrir, énormément, en raison des effets de ses tentacules à l’oeuvre via le “Big Business”. En mettant ainsi à “égalité”, les populations des réputées “anciennes colonies” avec celles de la “métropole”, toutes confrontés aux “mêmes” problèmes, aux “mêmes”, adversaires/ennemis : la colonisation capitaliste. “Mêmes” : sur le principe, les problèmes sont identiques, mais concrètement, ils ne sont pas identiques, en raison des conditions particulières, puisque, en métropole, la survivance de “droits sociaux” amortit encore les chocs, ce dont les populations dans les réputées anciennes colonies n’ont jusqu’ici jamais vraiment pu bénéficier puisqu’elles sont passées de la colonisation explicite à la nouvelle colonisation, sous la tutelle d’élites corrompues et incapables, sauf exceptions. 1945 reste une référence pour nombre de Français et de Républicains pour qui cette date signifie uniquement la “Libération”, une “renaissance” française, même pour des communistes qui se focalisent sur la participation des communistes au gouvernement de la Libération, sur les contributions de ces communistes aux nationalisations, à la création du statut de la Fonction Publique.

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