Armes versus âmes, une contradiction désarmante ? Un livre gratuit – la fin de l’introduction

Notre vocabulaire a les inconvénients de ses avantages : expression même de l’intentionnalité, il est formé par des signes-cibles, des « hiérogryphes » qui lient des images aux signes. Un seul suffit à faire apparaître un champ, à unifier du divers. Il en va ainsi de ce que nous appelons « les armes » : il intègre, de force, un outil, couteau-suisse des outils, le couteau lui-même, à un même champ, aux côtés des bombes thermonucléaires. Mais il faut ouvrir les yeux : il y a une différence, par l’identité même de chacune de ces choses, telle qu’il n’est pas pertinent d’en faire des éléments d’une diversité unie par un même sens. En effet, si le couteau est l’arme majeure des homicides, dans l’espace et dans le temps, il peut avoir été utilisé pour, seulement, se défendre, ou, seulement, blesser sans tuer, mais une hémorragie peut être vite fatale. Sa double capacité, pointer, couper, est limitée à une seule surface de contact. Outil de la production alimentaire domestique, il sert à d’autres usages, dont l’agression ou la défense. Certains pays sont, de ce point de vue, bien plus dangereux que d’autres, parce que l’usage agressif du couteau s’y est perpétuée. Un porteur d’un couteau voit qui est celui qui lui fait face, qu’il agresse ou qui l’agresse.

La bombe nucléaire ou thermonucléaire reproduit, en miniature, l’énergie solaire. Fournaise, aucun élément matériel n’y résiste, là où la bombe explose, ce « là » étant variable selon les caractéristiques de la bombe. Les victimes sont sans rapport avec l’objet même : elle peut exploser là ou là. Il s’agit d’une puissance aveugle, utilisée par des aveugles, puisqu’ils ne voient pas ce qu’ils font. Une seule bombe est capable de provoquer la mort, instantanée, ou plus lente, de milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers, d’êtres humains et d’êtres vivants. C’est pour cela qu’il est légitime de parler d’une puissance génocidaire. Mais s’agit-il d’une arme ? Une arme, par définition, est aussi une puissance, déterminée, comme déjà expliqué, par sa nécessité, et non une virtualité insignifiante : la lame du couteau est coupante à chaque instant, et si elle ne coupe pas à chaque instant, c’est parce qu’elle n’est pas utilisée à chaque instant. Cette puissance est limitée, parce qu’elle est liée à une cible choisie : si elle entre en interaction avec une cible, toutes les autres cibles possibles en sont excluent, à un instant t. Une bombe nucléaire est sans cible précise : tout ce qui se trouve dans le champ de l’explosion en est touchée, affectée, changée, sans qu’il y ait une adaptation de l’action à l’individualité, à la forme de vie, atteintes. Du point de vue de l’être même, nous avons donc affaire à une substance différente : une arme neutralise, immobilise, sans détruire l’être atteint, une bombe nucléaire anéantit, littéralement. Il est donc impossible de dire : du silex à la bombe nucléaire. Il y a discontinuité.

A la racine de cette césure, il y a « la science » (un savoir physico-mécaniste, maître des causalités dans l’infiniment petit, un savoir dénué de toute sagesse) : des savants (dont Oppenheimer, l’hypnotisé par son rôle dans l’apparition d’une puissance politique comparable à celle d’un Dieu vengeur et pas créateur), qui ont travaillé à comprendre pour produire, la libération de « l’énergie atomique », et, avec son contrôle, dans les centrales nucléaires, génère un flux d’une quantité énergétique, une chaleur, dont le contact avec de l’eau a pour objet de la transformer en vapeur, et le terme de ce processus advient avec l’apparition d’un flux électrique, qu’il faut utiliser. Les bombes nucléaires ont pour « logique » de générer une telle énergie, mais sans la contenir, la canaliser, pour sa diffusion dans l’atmosphère environnante. Chaque explosion nucléaire produit, sur terre, l’apparition d’un mini-soleil, dont les effets calorifiques sont insupportables pour tout être vivant. Césure entre les armes et ces puissances, elles sont responsables d’une césure entre les Etats qui possèdent de telles bombes et ceux qui n’en possèdent pas. Les quelques Etats, moins de 10, qui possèdent de telles bombes menacent l’ensemble des Etats et des populations, soit par choix, soit par accident, soit par détournement terroriste (cf le film hollywoodien, un des rares à être pertinent sur ce sujet, « La somme de toutes les peurs »).

Or ces Etats détenteurs sont devenus, aussi en raison même de l’existence de ces bombes dont ils sont les tuteurs, les plus influents concernant les relations politiques mondiales. Leur capacité de nuisance anthropologique est telle qu’ils se sont permis de s’octroyer un statut spécial, en outre répercuté dans les principes onusiens, avec, au sein du « conseil de sécurité des nations unies », les Etats à droit de veto – même si Israël, le Pakistan, qui possèdent de telles bombes, n’en sont pas membres. Or ces bombes sont par essence criminelles. Contre des armées, des soldats, même très armés, des populations agressées peuvent résister, comme cela a été démontré ces 20 dernières années, en Afghanistan, en Irak. Contre des bombes nucléaires ou thermonucléaires, les populations sont radicalement impuissantes et une bombe utilisée contre elles implique la disparition d’une quantité astronomique de personnes. Ces bombes sont criminelles, génocidaires, voire, en cas de guerre planétaire à cause de laquelle la plus grande partie de ces bombes seraient projetées sur d’autres pays, l’extermination de la quasi totalité de l’Humanité – et ce par des décisions prises par une minorité, radicale (moins de 10 ou de 100 personnes). En 1945, et depuis, ces bombes, qui n’attendent que de nous exploser à la figure, les Etats qui en sont les possesseurs, auraient dû être publiquement, internationalement, juridiquement, politiquement, mis en cause, par l’ensemble des populations mondiales.

L’extraordinaire capacité humaine à l’insouciance, si remarquablement évoquée par H.G.Wells dans « La guerre des mondes » a contribué à masquer la croissance de cette épée de Damoclès au-dessus de toutes les vies, puisque, d’année en année, de décennie en décennie, le nombre d’Etats possesseurs de, a augmenté, les capacités explosives ont également augmenté, notamment démontrées au début des années 60 par les plus grosses bombes fabriquées par les USA et l’URSS. Confrontées aux cris de joie des militaires face à la démonstration de la puissance de leur puissance, les populations des années 60 et 70 ont fait le choix de valoriser les vies pour le plaisir immédiat, collectif, pour l’amitié, réelle, la fraternité, réelle, mais si ces comportements avaient du sens, ils n’étaient pas absolument sensés puisqu’ils refusaient d’affronter l’existence et le développement d’Etats génocidaires, à l’instar de ce que fut l’Allemagne nazie, à la fin de la seconde guerre mondiale. Avec le recul, il est légitime d’être sidéré par le fait que « l’intelligentsia » occidentale, avec « les intellectuels » est restée, elle aussi, hypnotisée par ces Soleils dont le sens même, par l’accumulation, signifient pourtant la disparition de l’Humanité, de la Terre, comme si nous n’avions jamais existé. La deuxième vidéo de cette note illustre cette inconscience : le narrateur parle des principes d’apparition/disparition du feu nucléaire par une telle bombe avec une tranquillité de « bon père de famille ». La troisième, qui évoque l’explosion d’une « Tsar Bombe » sur Paris, le fait avec le ton de l’humour.

Mais pourquoi un tel nihilisme ? Pourquoi consentons-nous à ce que le crime de masse puisse être une « science », ou, à tout le moins, un projet, une doctrine, adossés à une science ? Pourquoi consentons-nous à ce que l’humain soit capable d’une telle haine contre des humains qu’il pense légitime de préparer leur disparition ? Et pourquoi devons-nous cesser d’être… apathiques ?

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