“Du Totalitarisme en Amérique – Comment les Etats-Unis ont instruit le nazisme”, un livre de Patrick Tort (note 1)

Les Éditions Erès publient depuis la rentrée septembre un nouvel ouvrage de Patrick Tort, intitulé “Du totalitarisme en Amérique” (évidente évocation du trop fameux “De la démocratie en Amérique”, de Tocqueville), avec le sous-titre, “Comment les États-Unis ont instruit le nazisme“. Cet ouvrage de 264 pages, pour 13 chapitres, un préambule et une conclusion, offre un propos extrêmement synthétique, sis sur des références, dont certaines se trouvent en bas de pages, en plus des références aux autres ouvrages de M. Tort. Son auteur est un intellectuel pluridisciplinaire : initialement agrégé de Lettres Modernes, en 1974, il devient docteur en littérature française l’année suivante, puis docteur ès Lettres (Philosophie, Linguistique) en 1980, avec la thèse suivante : « Théories de l’écriture et du langage : la question de l’origine. XVIIe-XIXe siècle » (Vol. I : Édition savante de l’Essai sur les hiéroglyphes des Égyptiens, de W. Warburton, précédée de « Transfigurations : archéologie du symbolique ». Vol. II : La Constellation de Thot : hiéroglyphe et histoire. Vol. III : Évolutionnisme et linguistique.) De 1978 à aujourd’hui, il a publié une trentaine d’ouvrages, plusieurs ouvrages en tant que coauteur, organisateur d’un colloque. Après cette formation initiale dans les Lettres, il a travaillé sur les œuvres de Marx et, principalement de Darwin, dont il est devenu, en France et hors de France, le plus grand spécialiste vivant, et un spécialiste original, puisque sa lecture du travail de Darwin contredit radicalement toute la traduction-trahison de celui-ci, dans ce qui est frauduleusement appelé le “darwinisme social” (qu’il faudrait logiquement désigné par l’anti-darwinisme a-social), par sa thèse centrale d’une pensée darwinienne qui prend en compte deux évolutions différenciées, celle de toutes les formes de vie, dominée par les rapports de force, de sélection, et par celle de l’Humanité, dont les conditions et les productions sont fondées sur la coopération, le refus d’une “sélection” humainement non “naturelle”. Comme l’indique la présentation de l’un de ses ouvrages, consacré à Darwin (« Darwin et le Darwinisme »), « Or Darwin, dans son grand livre sur La Filiation de l’Homme, s’oppose à ces deux applications déviantes de sa théorie, et explique que dans l’univers de la civilisation, la sélection naturelle n’est plus la force directrice de l’évolution, car, en sélectionnant conjointement le développement des instincts sociaux, des sentiments affectifs et de la rationalité, elle a engagé le devenir humain dans la voie d’une reconnaissance de l’autre et d’une morale qui condamnent toute forme d’élimination sélective.” Autant dire que, pour Patrick Tort, Darwin a subi, avec ses prétendus “héritiers”, une impressionnante et tragique négation, un malentendu, mondial, qui durent encore. Au cours de ces quarante dernières années, il a donc été amené à travailler tout autant l’œuvre de Darwin que de celles de ces anti-darwiniens qui pourtant se sont proclamés darwiniens, en raison de confusions constantes entre les propos, leurs présupposés et leurs conséquences, de Darwin avec Spencer. Dans une thèse en Philosophie, François-Xavier Heynen prétend que le propos majeur de Spencer aurait été lui aussi mal compris, qu’il aurait lui aussi privilégié le rapport “sympathique” entre les êtres humains, mais cette thèse est contredite par l’ensemble de l’œuvre de Spencer, et les multiples affirmations qu’elle contient en faveur de la sélection au sein même de l’Humanité, en défaveur des pauvres, etc. En 1992, il a publié “L’Homme, cet inconnu ? Alexis Carrel, Jean-Marie Le Pen et les chambres à gaz“, et ce alors que le Front National faisait référence, haut et fort, à Carrel, en le tenant pour un des fondateurs de “l’écologie”, alors que des lieux et des rues, publics, portaient les prénom et nom de cet intellectuel raciste et du racisme, collaborateur du nazisme en France (suite à cette parution et à sa diffusion, des lieux et des rues ont été débaptisées). Depuis, il a publié d’autres ouvrages majeurs, dont « Darwinisme et Marxisme », « Sexe, race et culture », la synthèse de sa propre pensée dans « Qu’est-ce que le matérialisme ? Introduction à l’analyse des complexes discursifs », « Théorie du sacrifice : sélection sexuelle et naissance de la morale », « L’intelligence des limites, essai sur le concept d’hypertélie », « Capitalisme ou civilisation ». Ce nouvel ouvrage est doublement synthétique : il rassemble les principales thèses et connaissances du travail de l’auteur sur plusieurs décennies, et son propos, comme déjà indiqué, ne développe pas entièrement, explicitement, l’ensemble de ses connaissances, analyses, références, parce que, sinon, l’ouvrage aurait pu dépasser les 1000 pages. Chaque lecteur, lectrice, devra faire sa part de travail.

Si le propos commence explicitement seulement à partir du 4ème chapitre concernant les États-Unis (avec « sur les contradictions fondamentales du libéralisme aux États-Unis »), les deux chapitres qui précédent rappellent que ce qui au 20ème siècle, américain, va être idéologiquement porté par, notamment, notablement, Ayn Rand, l’idéologue de l’absolu individualisme, a été exprimé et « justifié » dans l’Angleterre victorienne, « matrice », par Herbert Spencer, le théoricien, doctrinaire, de l’évolutionnisme libéral. Des contradictions, la pensée de Spencer est déterminée par, mais, avec ces « libertariens », ce n’est pas un problème, tant que les lecteurs ne les aperçoivent pas, ne s’en saisissent pas pour moquer ou ruiner la réputation de l’auteur et de l’œuvre. Qu’importe si « l’individualisme politique et social qu’il revendique se trouve dès lors en rupture avec son propre organicisme » alors qu’il prétend prendre modèle dans les réalités biologiques pour faire valoir une imitation de, par les « sociétés » humaines : Spencer est un des plus farouches antiétatistes, mais il sait que, dans les réalités vitales, le cerveau est nécessairement central, et comme il invite à l’imitation… Ainsi, il flatte États et gouvernements, en leur attribuant une intelligence gestionnaire et décisionnelle, bien que dans la réalité… Le « darwinisme social » de Spencer, qu’il faudrait qualifier de « spencérisme a-social », qui prend corps au 19ème siècle, est lui aussi une synthèse de plusieurs courants scientifiques et intellectuels, auxquels Spencer offre une synthèse et un visage.

Si, en amont, Patrick Tort a pu écrire que, hélas pour elle, « il n’y a pas d’erreur en Philosophie », ce qui a pour objet de permettre de la définir et de la limiter, drastiquement, dans son effectivité comme dans ses prétentions, il y a, « par » « la Philosophie », des effets, et des effets tragiques, avec, d’un côté, le système politico-économique américain coercitif, et de l’autre, le nazisme, pour lesquels la responsabilité de tant d’intellectuels est engagée. C’est que, pendant que Spencer rédigeait ses ouvrages en planant dans des limbes drogués au narcissisme le plus vertigineux, abject, et strictement « incroyable » (voyez une photographie du « grand homme »), pendant que l’industrialisation accouplée au colonialisme le plus extensif offrait à l’Angleterre, à ses nobles et à sa grande bourgeoisie, des revenus « d’enfer », « on a jeté un regard souvent plus discret sur la misère ouvrière, les bas salaires, l’insalubrité des taudis, la condition des enfants, l’injustice sociale, l’asservissement à la machine, l’aggravation des différences de classe, la promiscuité, l’absence d’hygiène et la détresse dans les couches populaires des villes, l’infériorité maintenue de la condition féminine, le mouvement chartiste, les grèves, l’essor du syndicalisme, la grande pauvreté des catholiques en Irlande et la guerre des combattants nationalistes irlandais contre l’oppression politico-religieuse anglaise, la mortification des cultures dominées par la colonisation britannique, le soutien implicite du gouvernement « libéral » de Palmerston, du parti conservateur et des milieux d’affaire anglais dépendant de l’industrie cotonnière au système esclavagiste dans le sud des États-Unis au moment de la guerre de Sécession (1861-1865). ». Ce n’est pas un « hasard » si ce temps anglais si pénible se termine avec Jack l’Eventreur et l’apparition du « Dracula » de Bram Stoker. Or, si l’Angleterre a dû céder aux 13 premières colonies européennes une « indépendance », les dirigeants désormais des « États-Unis », pour la plupart, descendants de colons anglais, n’ont rien renié de leurs origines, et ont mis en place un État fédéral qui à la fois imite l’Angleterre coloniale et le dépasse. Mais si les Anglais ont fourni le cadre, inchangé jusqu’à aujourd’hui (pensons aux “shériffs”, qui, de Nottigham, exercent partout leur autorité), les États-Unis sont une œuvre européenne, dans laquelle des immigrés de tous les pays européens « se sont réfugiés » ou ont été, plus ou moins activement, envoyés, « déportés », des « lumpen prolétariat » nationaux, aux ploutocrates et ploutophiles qui ont bien compris que, de l’enrichissement sur le dos du reste du monde, ils allaient pouvoir prendre leur part. Il faudrait y penser : il y a immigrés et immigrés. Des Allemands et, à un bien moindre degré, des Français, ont traversé l’Atlantique « pour faire fortune », ou alors sont restés en Europe, mais en regardant avec les yeux de Chimène ce pays de « toutes les libertés », entendons, de toutes les non-limites en matière d’enrichissement, même mafieux, criminel, en matière de violences, contre les Native People, contre les descendants des esclaves, ce qui, en Europe même, n’était pas aussi facilement possible, en raison de pratiques sociales et d’un droit romain moins souples. Des dramatiques Européens, les « Américains » sont les pires, et le cœur de l’ouvrage entend démontrer que le nazisme aura été la plus impressionnante américanisation de l’Europe (la formule est de nous, mais nous pensons qu’elle est fidèle à la pensée de M. Tort). Les « en marchands » européens sont les gérants des imports/exports, qu’il s’agisse des marchandises, des flux financiers, des moyens de représentation et des représentations, mais aussi des « idées », des jugements de toute sorte, et, parmi ceux-ci, il y a le « totalitarisme », avec sa figure phare, Hannah Arendt.

L’usage de ce que Patrick Tort qualifie de « notion » et non de « concept », au cœur de la philosophie des « démocraties libérales » contre tout « système politique à l’intérieur duquel le pouvoir s’exerce d’une manière totalement autoritaire, voire coercitive, sur l’ensemble des secteurs de la vie sociale, en excluant toute possibilité d’alternative », en dit long sur ces « démocraties » qui, pour s’identifier positivement, prétendent se différencier de ce qu’elles ne seraient pas, alors qu’il est légitime de se demander si les pays concernés par cette autodéfinition positive ne reposent pas sur un « système politique à l’intérieur duquel le pouvoir s’exerce d’une manière totalement autoritaire, voire coercitive, sur l’ensemble des secteurs de la vie sociale, en excluant toute possibilité d’alternative », et ce en y mettant « la manière », « les manières ». Puisqu’il n’est pas question de traiter le sujet au doigt mouillé, l’auteur établit une liste de 17 « attributs » du totalitarisme, à partir de la racine, « le pouvoir total ». Or, si, actuellement, en Europe, aux États-Unis, dans de grandes universités à travers le monde, dans des ouvrages largement diffusés, l’accusation d’être « totalitaire » vise l’Allemagne nazie et l’ex-URSS, les États-Unis, constamment qualifiés par une autopropagande de « démocratie », ont eu, avec l’Allemagne nazie, « des pratiques communes, certes différentes dans leurs modalités, mais comparables dans leurs effets : l’élimination à grande échelle de communautés humaines (extermination des tribus amérindiennes, génocide juif) ; les stérilisations forcées elles débutèrent officiellement en 1907 dans l’Indiana, après un échec législatif au Michigan dix ans auparavant, et furent mises en œuvre ensuite dans une trentaine d’États – dont en 1909 la Californie, qui deviendra l’État pilote de l’eugénisme américain- » (ce qu’il continue de faire avec ses héritiers contemporains de, « transhumanistes ») « à l’encontre de personnes frappées d’un déficit physique ou psychique, de criminels ou d’Amérindiens hospitalisés-, et furent instituées en Allemagne le 1er janvier 1934 par les nazis à l’encontre des handicapés mentaux et physiques ; enfin, l’usage des chambres à gaz utilisées à partir de 1924 aux USA pour l’exécution des condamnés, et de 1939-1940 par les nazis pour l’élimination des handicapés et des malades mentaux, puis des Juifs et autres minorités dans les camps d’extermination. » C’est à partir de ce moment que commence le procès de Patrick Tort sur et contre cette américanisation-nazisme. Évidemment, il ne s’agit pas, pour lui, d’accuser TOUT(e) citoyen(ne) des États-Unis d’être, a priori, coupable, de participation à un système dont le cœur de l’ouvrage entend décrire les principes, les rouages et les roués, mais de démontrer que le nazisme aura été, en Europe, un projet d’imitation de la logique, fondatrice et développée, des États-Unis, et ce d’une manière, hélas, sensée, parce que le modèle dépassait déjà l’élève, nazi, ce qu’il fait depuis. Procès enfin, parce qu’il est question des faits, des crimes, et des condamnations, qui, à défaut d’être prononcés dans un tribunal pénal international, peuvent l’être dans un tribunal populaire international.

Etant donné l’ampleur de l’ouvrage, sa présentation réfléchie et problématisée est effectuée par plusieurs notes. La prochaine, publiée dans les prochains jours, traitera de ce cœur, de l’ouvrage, de la pensée, des faits, sanguinaires et sanguinolents. Une troisième note proposera une synthèse de cette lecture, un bilan critique des apports cognitifs, des démonstrations abouties, et de ce qu’il reste à travailler, démontrer, ainsi que des conséquences qu’il faut en tirer, pour nous, ici et maintenant. 

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