“Du Totalitarisme en Amérique – Comment les Etats-Unis ont instruit le nazisme”, un livre de Patrick Tort (note 4)

Cette note est l’avant-dernière : elle fait référence aux 5 derniers chapitres, dont la conclusion, du livre. La dernière note aura pour objet de proposer un bilan critique, des questions sur des principes comme sur certaines de leurs conséquences, exposés dans cet ouvrage. Pour une part, les éléments, les idées, les arguments, exposés dans cette avant-dernière note, ne sont pas ceux de l’ouvrage de Patrick Tort, mais de l’auteur de cette note. La note le précisera, en ajoutant « selon nous ». Cette avant-dernière note commence donc un dialogue avec l’auteur et l’exposition de sa pensée, et, conséquemment, évoque des éléments de ces derniers chapitres, sans en proposer un résumé.

Puisque les parties antérieures ont exposé que la pensée américaine dominante et des dominants, était consubstantiellement eugéniste/raciste, pour promouvoir de prétendus « meilleurs » et pour cibler, en doctrine tout autant que par des pratiques criminelles, longtemps « légales », y compris parce qu’elles avaient été justifiées par des « lois », de prétendus « inférieurs », que les Etats-Unis ont été, pour les nazis, des modèles, qu’il s’agissait d’imiter et, si possible, de rallier à la cause de la création démiurgique d’une nouvelle « humanité », que le nazisme a, officiellement, disparu acec la fin du régime allemand en 1945, il faut donc examiner la question, la problématique, du rapport entre les Etats-Unis et le totalitarisme, dont leurs publicitaires, leurs commensaux, leurs « professeurs » passés par le tamis sévère du maccarthysme, affirment doctement et catégoriquement, qu’ils en sont exempts, à la différence de l’Allemagne nazie, de l’URSS ou de la Chine. Ce qu’une « insurrection » réputée capitale au Capitole à la fin du mandat du président Trump est supposée être venue confirmée, à priori et à postériori. Conséquemment, il y a donc une nécessité à « redéfinir le « totalitarisme » » (titre du chapitre 9). Ce problème sera plus développé dans la prochaine et dernière note (bilan et perspectives). Si , selon nous, les catégories politiques modernes sont largement des imitations, des traductions/trahisons de représentations intellectuelles acquises, par exemple, de ce totalitarisme, avec la « tyrannie », de formulation grecque et platonicienne, il faut mesurer ce qu’implique ce déplacement de sens mais aussi si l’histoire de ce faire-totalisation n’oublie pas, selon les historiographies dominantes, un modèle-matrice en Europe, avec les communautés chrétiennes, soumises à l’autorité papale et à sa « Sainte Inquisition ». Il faudrait alors s’interroger si, en et par l’URSS, ses constructeurs et promoteurs n’ont pas été, quoiqu’ils en aient eu, conditionnés qu’ils furent par leur formation intellectuelle dans la période tsariste, « religieuse », conduits à penser et mettre en oeuvre une politique effectivement syncrétique, matérialiste parce que marxiste, mais aussi religieuse, par cette conception d’une communauté unie, de laquelle toute hérésie et tout hérétique étaient écartés, exclus, condamnés. Quels qu’ils furent, toute crainte, ou plus encore, envers des maillons faibles, envers des faibles, envers des minorités, malgré tout conçue, représentée, comme susceptible de subvertir l’ordre, a précisément traduit une faiblesse de ces organisations politiques : hautement paradoxale, avec le nazisme, puisque les plus forts étaient censés être menacés par des plus faibles et de moindre valeur, elle fut, en URSS, contre-productive, pour un système politique et économique particulièrement porté sur les faits, les sujets, de la « production », comprise dans un sens général, puisque, aujourd’hui encore, les réprouvés du système ont pris ici et là leur revanche, sont perçus comme des victimes d’une violence politique inédite et intense, sont utilisés par le capitalisme international pour mettre en scène un système politique auquel il s’est, immédiatement, opposé (la guerre entre la nouvelle URSS et des Etats européens, soutenus par les Etats-Unis, entre 1918 et 1922), auquel il s’oppose encore, par des publications régulières et massives, pour dénoncer les « crimes de ». (1) “Crimes”, dont il faudrait s’interroger pour, le capitalisme, le nazisme, et les Etats qualifiés de « communistes ». En 12 ans, le Nazisme, qui prétendait être le meilleur, a démontré que, en effet, en ce qui concerne la production des crimes, il était, pour une telle durée (historiquement brève), il est en tête de – pour un système politique qui a tant détruit les têtes de tant, les victimes, comme les nazis eux-mêmes, comme possédés par une sorcellerie.

Le faire-totalité-totalitaire n’est jamais l’oeuvre des brutes, lesquelles sont ces exécutants nécessaires, mais celle d’« intellectuels », dont l’usage de « l’intelligence » est habilement malfaisante (2), qui en sont les « penseurs », les « promoteurs », les cadres, pour utiliser un terme à la fois en vigueur dans « l’économie capitaliste » et en géométrie spatiale, pour désigner ce qui enferme, limite. Et dès lors qu’il y a une telle prétention de « totalitarisme », comme dans le nazisme où crimes et violences étaient assumés, proclamés, « avec joie », par les responsables et coupables, il y a, de fait, une prison à ciel ouvert, les prisons ainsi nommées n’étant que le dédoublement de ce qui advient dans l’ensemble de l’espace social, public comme espaces privés, dans lequel aucun citoyen n’est vraiment libre, puisqu’il est, à chaque instant, sous la menace d’une arrestation, voire, d’une exécution, en pleine rue ou chez lui. La logique totalitaire repose sur une reproduction de l’ordre social et politique, par lequel son sectarisme peut être omniprésent, qui doit concilier le pouvoir unifié, « incarné », et ses clones partout, le grand Führer et les  petits « Führer », avec ses « équipes de collaborateurs », qu’il faut sans cesse motiver, y compris par des récompenses (médailles en chocolat qu’ils prennent pour des symboles divins, promotions à de plus hautes responsabilités). La manipulation « managériale » doit à la fois jouer sur les tensions internes, par la mise en concurrence de tous, et conserver la cohésion interne, soit par des moments positifs, de rassemblement, soit par des rappels à l’ordre, quitte à exclure un mouton noir. Il est donc tout à fait légitime de parler d’une Entreprise-secte nazie, dont l’Etat est une émanation, même s’il la contrôle – Entreprise qui, en raison du cours des évènements, aura, à sa fin, pour entreprise emblématique, la SS, organisation originairement dédiée à la protection du malade en chef, elle est devenue, à la fin, et, heureusement, trop tardivement, le symbole de toute l’organisation nazie dans ce qu’elle avait de plus, organisée, radicalisée, criminelle. La dissémination des « managers », ces gestionnaires d’actifs, est absolument identique, dans le nazisme comme dans le capitalisme. Et c’est ce que les derniers chapitres travaillent d’une manière tout aussi synthétique que substantielle : l’essentiel de cet exercice du pouvoir tient dans la capacité et la production de la « motivation », cet autre nom du contrôle et de la manipulation, mentales. Si la brutalité était consubstantielle avec le nazisme, y compris dans le « management » des équipes, par un constant va-et-vient entre la satisfaction et la peur, le capitalisme post-1945 s’est orienté vers une diversification, amplification, des moyens de satisfaction, même dérisoires, pour, sur, et contre les travailleurs, mais, avec ses « crises » à répétition, il a dû en revenir petit à petit à cette même source, la brutalité, ce dont les journaux si peu informationnels font quand même parfois écho, notamment lorsque celle-ci est le fait d’un cadre de très haut niveau dans l’Etat (on parle alors de ce cadre « qui a fait régner la terreur », « qui a poussé au suicide »). Afin de lutter au maximum contre « la conscience de classe », voire de la « briser » comme l’écrit Patrick Tort, et contre le danger d’une multitude prolétarienne qui formerait une armée redoutable, le capitalisme a donc « équilibré » peines et plaisirs, d’autant que, pour les plaisirs, il s’est organisé pour continuer d’y être gagnant, sur tous les tableaux – sa spécialité. 

Une des plus grandes difficultés des populations, comme en France, réside dans le fait qu’elles perçoivent des personnalités, publiques, politiques (qu’elles relèvent de la politique politicienne, ou de l’économie, cet autre nom de la politique), sans mesurer que celles-ci s’appuient sur des techniques, si nous ne voulons pas salir le beau nom de « sciences », qui articulent des connaissances de causalité(s) à la production même de ces effets, et que ces personnes en fait ne leur parlent pas, mais, comme sur les chaînes de télévision, dictent des ordres, en dictant « ce qu’est le réel ». La publicité a pris corps explicitement : elle est devenue un champ spécifique, des entreprises, invisibles et visibles en même temps (aucune publicité ne montre l’entreprise qui met en scène, mais la mise en scène démontre ce que peut et ce que veut l’entreprise, publicitaire), le symbole d’une absence totale d’éthique, puisque les « pubards » inventent du bruit et de la fureur pour vendre des choses ou des services, sans avoir la moindre connaissance de la valeur réelle de ces choses ou des services, de leurs mauvaises conceptions, de leurs dangers, et, d’ailleurs, sans jamais être poursuivis pour mensonges alors que, formellement, ce sont eux qui ont menti et pas les entreprises productrices. Point par point, la « publicité » correspond exactement à ce que Socrate et Platon ont analysé sur la « sophistique », cette matrice à simulacres, sans connaissances réelles, mais sise sur des techniques de manipulation, avec, au coeur, la flatterie de chacune, chacun. Pour cet em-pire de la valorisation-dévalorisation, les Français théorisent (comme Gobineau et le racisme), et les Américains produisent la réalisation de la théorie. Patrick Tort, ainsi, fait sortir de l’oubli le si mal nommé Gustave le Bon, souvent qualifié de « psychologue », alors qu’il s’agit d’un spécialiste des manipulations psycho-politiques, qui, comme Alexis Carrel le fut après lui, était une référence intellectuelle jugée crédible et à écouter. Le propos de Le Bon (lequel est aussi, encore une fois de plus, pour commencer un… médecin) est de mettre à disposition d’une élite qui, par essence, se distingue de la masse-foule qu’il méprise, un « savoir » pour lui permettre de la contrôler, de la manipuler, à sa guise : « la psychologie des foules ». Et nul ne peut être surpris d’apprendre qu’Hitler a lu Le Bon, comme Gobineau, et tant d’autres Français et Américains. La « psychologie » selon Le Bon, est la transposition des hiérarchisations énoncées et prétendument déterminées par le positivisme/scientisme : les femmes sont inférieures aux hommes, et il en va de même dans les rapports entre civilisations. Selon cette logique, des hommes sont destinés à diriger et d’autres à être dirigés. Il fait partie de ceux qui, du réel tel qu’il se faisait en son temps, en affirmait une fatalité, une nécessité ET une raison, une « justice ». Quoiqu’il en fut de la médiocrité intellectuelle d’un Le Bon, il fut, de son vivant, une référence, une « autorité », un mondain, qui sollicitait nombre de ses contemporains connus, autant qu’il l’était par eux-mêmes (cf sa biographie, littéralement sidérante). Un siècle plus tard, il ne faut donc pas s’étonner qu’avec des Houellebecq, Onfray, Zemmour et consorts, la vie publique en France soit ENCORE placée sous le sceau et le signe de la même médiocrité.

Mais si la médiocrité domine, la volonté de manipulation politique a abouti à des expertises, des « techniques », qui, comme avec le cinéma, puis la télévision, puis Internet, puis les réseaux mobiles, ont maîtrisé la question de la « mise en scène », de l’encadrement d’un fait ou d’un pseudo-fait, par des perspectives, l’usage des lumières, des sons, afin de créer une « illusion », perçue comme s’il s’agissait d’une vraie perception. Cela marche, c’est « en marche ». Patrick Tort rappelle que le neveu de Freud, Edward Louis Bernays, sujet américain, a opéré la commercialisation de ce principe de manipulation, en démontrant une nouvelle fois sa capacité à faire d’un non-faux-évènement entièrement préparé, un véritable évènement social américain, par un coup fumeux, en plein Manhattan, lequel a été une réussite, en provoquant une mode, puis une consommation, en lançant ainsi d’une manière pratique sa carrière d’agent officiel, « conseiller en relations publiques », de la « Propaganda », l’ouvrage dans lequel il avoue tout, d’une manière jubilatoire. Si la « fiction » est devenue autant un champ décisif de l’économie que de la politique, c’est qu’il est devenu de plus en plus important de « raconter des histoires » : travail commencé avec les accusations constamment exprimées contre les Juifs (qui aurait dû inciter la République de Weimar à dissoudre ce parti, si tant des dirigeants de cette République n’avaient pas regardé Hitler et le NSDAP avec les yeux de Chimène), jusqu’à leur arrivée au pouvoir, quand le feu a frappé le Reichstag, incendie dont les nazis ont accusé les communistes d’en être les responsables et coupables, alors que nous savons, maintenant, qu’ils en étaient les auteurs, et ce afin, et d’attaquer le symbole du parlementarisme et de s’en prendre aux communistes, leurs vrais ennemis. Ce qu’ils firent également en Tchécoslovaquie, en prétendant que des germanophones qui vivaient dans ce pays avaient été tués, brutalisés par les Tchécoslovaques. Ce que les Etats-Unis eux-mêmes ont pratiqué, par exemple, en Bolivie, en faisant croire que les élections générales de 2019 avaient été truquées par le gouvernement d’Evo Morales, une accusation qui, depuis, a été « débunké », mais qui a conduit à un exil d’Evo Morales, l’installation provisoire d’un pouvoir politique favorable aux Etats-Unis, avant un retour de bâton qui a ruiné ce « putsch constitutionnel ». Il s’agit de rendre crébible, et cru, une fiction : la « force tranquille » pour François Mitterrand en 1981, le combat de François Hollande contre la finance (la ficelle était grosse), la litanie quotidienne des publicités qui parlent/montrent des choses et des êtres « parfaits », Emmanuel Macron qui veut dépasser le clivage droite-gauche, etc etc. Si, en droit, il y a une condamnation de principe du « faux et usage(s) de faux », il n’en va pas de même dans le cours actuel des choses, où le Faux règne en maître. Certains donnent l’impression de découvrir l’existence, la diffusion, de faux, dans la vie publique et politique avec les « fake news », en condamnant les outils des réseaux sociaux qui seraient consubstantiellement pervertis par cette tendance à affabuler (alors qu’ils constituent les meilleurs outils de renseignement des polices du monde entier), bien que ce phénomène soit aussi ancien que le mensonge, que la presse elle-même.

Par exemple, aujourd’hui, des médias racontent, avec le recul, ce que furent les affirmations américaines de l’été 1964, alléguant que le Vietnam du Nord les avait attaqués, mais qu’est-ce que cette même presse française a pu dire sur ces évènements ? Les archives des quotidiens, hebdomadaires et magazines se trouvent sur Gallica. Est-ce qu’elle a purement et simplement relayé les accusations américaines, comme elle le fait en général sur tous les sujets qui impliquent la puissance américaine ? 

https://www.bfmtv.com/international/les-mensonges-qui-ont-change-le-cours-de-l-histoire-la-fausse-agression-du-nord-vietnam_AN-202108120001.html

Selon nous, tout le nazisme a été, et continue d’être, en raison de ses prolongements, une fiction totalitaire, une « action littéraire » tragique, un palimpseste dont la couche supérieure entendait faire disparaître les strates inférieures, par une réécriture entière : la fiction des Allemands-aryens, supérieurs à tous (alors que quelques photographies de cette prétendue race supérieure pouvaient démontrer qu’il y avait, SELON LEURS PROPRES CRITERES, des problèmes de « dégénérescence »); la fiction de « Juifs maîtres du monde »; la fiction d’un « Reich de mille ans »; la fiction d’Allemands vertueux, travaillant pour l’intérêt général (alors que la plupart des dirigeants nazis étaient seulement des gangsters); la fiction d’une « unité allemande », alors que les Allemands, pauvres, devaient seulement servir, se taire, voire mourir, alors que le nazisme a prétendu ossifier pour l’éternité les classes sociales de l’Allemagne des années 30). Il est intéressant, instructif, de constater que peu ont perçu et pu dire que le nazisme aura été avant tout un récit, un « conte » halluciné, qui a réussi à faire entrer des millions d’êtres humains dans la gueule de cet ogre cannibale, en faisant coïncider , momentanément, histoire et Histoire. L’activité, la production, narratives ne sont donc pas « innocentes », et c’est précisément une telle inquiétude, une telle alerte, que Platon, le premier, a exprimé, en mettant en cause les « poètes », jusqu’à Homère lui-même. Ce qui, au cours des siècles, a pu être moqué, caricaturé, resté incompris. Nous l’avons déjà dit, et il faut le confirmer : l’ouvrage de Patrick Tort est très synthétique, synthèse de son travail sur ces trente dernières années, synthèse parce qu’il n’a pas voulu noyer le lecteur derrière une multitude de références. Mais il y a également une part de non-dit de la part de l’auteur, parce que, comme avec les Dialogues de Platon, il faut que le lecteur fasse sa part, de chemin, de recherche. Ainsi, le livre, et par exemple dans sa partie finale, travaille sur cette matrice chrétienne, si décisive dans toute cette Histoire européenne. L’auteur nous ouvre des portes, qu’il nous appartient de franchir ou non. Selon nous, la fiction originaire chrétienne est devenue la boite de Pandore, en rendant possible une accumulation de nouvelles fictions, dans laquelle, par exemple, le « Mal » a été substantialisé, figuré ET externalisé, avec un récit manichéen, un terreau favorable à toutes les manipulations, hélas, historiquement advenues. Et des premières manifestations de l’antisémitisme à Alexandrie, par des « chrétiens » irascibles et violents (ceux qui ont assassiné Hypathie), jusqu’à celui du nazisme, il y a cette constante fable d’un peuple ou déicide ou lui-même ethnocide, fable qui, hélas, n’a pas à eu à subir le moindre autodafé. 

(1) dans les médias dominants, il semble que les dites publications soient plus fréquentes désormais que sur les crimes du nazisme, dont beaucoup ont l’air de penser, croire, que, finalement, le tour a été fait, l’essentiel a été dit. 

(2) contrairement à ce que narre un livre qui vient de paraître et qui traite des “intellectuels ET le mal”, comme s’ils se tenaient à côté de, en étant seulement des penseurs de, il faut s’interroger sur la responsabilité des intellectuels européens dans cette nocivité. Plusieurs notes de ce blog traitent de ce problème, non formulé comme tel, nulle part, à ce jour.

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