« Histony » versus Guillemin : le cas « 1789, silence aux pauvres », note 2

Henri Guillemin est l’auteur d’un petit ouvrage (120 pages), dont le titre est édifiant : « 1789, silence aux pauvres ». Histony lui a a consacré un « essai d’analyse », de près de 70 pages. C’est dans sa conclusion qu’il s’y exprime franchement : « Peut-être est-ce justement parce qu’il nous dit ce que nous voulons entendre, parce qu’il nous offre une vision du monde confortable, même si sans espoir, que le récit historique de Guillemin est aussi sacralisé. » Est-ce que les propos d’Henri Guillemin correspondent à ce que « nous » voulons entendre, parce qu’il offrirait une « vision du monde confortable » ? Qu’est-ce qui est « confortable », dans le monde dans lequel nous vivons depuis plusieurs décennies déjà, à exprimer une « vision du monde » qui rende mémoire et justice, aux pauvres, aux opprimés ? Est-ce une vision du monde d’extrême-droite ? Il faut poser cette question puisque Histony évoque les tentatives de récupération de Guillemin par l’extrême-droite. Or Guillemin ne tient pas le même discours que l’extrême-droite sur la période 1789-1794, puisqu’il y a incompatibilité : il exprime une défense, rarissime à cette époque, et encore aujourd’hui (moins qu’il y a 30 ans, c’est entendu), de Robespierre, alors que l’extrême-droite continue de faire de lui « l’homme de la Terreur », de la guillotine, alors qu’elle fait l’éloge de l’Ancien Régime, de la royauté, des INEGALITES. Histony écrit «Que Guillemin, homme de gauche, ait pêché certaines sources à l’extrême droite, et soit aujourd’hui récupéré par elle doit absolument nous alerter sur certains écueils de sa pensée ». Il rappelle que, en effet, « Silence aux pauvres ! n’est pas le meilleur des écrits de Guillemin, il n’est pas le plus mauvais non plus ; mais étant l’un des derniers, l’un des plus emblématiques de sa pensée politique, il doit aussi nous servir à comprendre que l’œuvre d’une vie a forcément des failles, et que c’est aussi lui rendre hommage que de chercher à les combler. » : dans ce court ouvrage, Guillemin synthétise, résume, et parfois réduit, certains sujets concernant cette période, qu’il a développé ailleurs, notamment dans ses émissions télévisées, en se focalisant, sur des groupes, sur un individu, et il propose à la fois un pamphlet contre François Furet, un programme de travail pour les jeunes générations.

Guillemin, par sa personnalité comme par son travail exposé, a démontré qu’il n’avait aucun goût pour le culte de la personnalité, et, évidemment, il n’a pas pu souhaiter d’être écouté, lu, comme s’il était un prophète, un oracle, un « guide ». Ses propos publics démontrent son humour, sa disponibilité pour la contradiction, ce que, hélas, les chaînes de télévision ne lui donnèrent pas, pas plus à lui qu’à d’autres, sa conscience qu’il y avait, évidemment, bien du travail à faire sur ces sujets. Mais il a fait sa part, avec ses moyens, avec les moyens de son temps, en assumant, en effet, un engagement qui, hélas, fait défaut à nombre des historiens dominants (les sérieux comme les médiatisés pas sérieux), préfèrent faire croire à une « objectivité », par le fait de se tenir à distance des engagements partisans. Or, concernant la période 1789-1794, le récit de style scientifique, « neutre », favorise un discours pour qui les uns et les autres sont des acteurs, au même titre, de ces processus historiques, en récusant de prendre en compte des processus fondamentaux, longs, avec la montée en puissance des banques, des institutions financières. Guillemin, lui, considère, et cela dépasse le seul travail historique, puisqu’il y a là une évaluation politique, qu’il est impossible de comprendre ces évènements, sans prendre en compte cette montée en puissance, la force de la « corruption » sur nombre des acteurs de cette période, par le fait qu’ils acquièrent des fortunes, des biens, deviennent des notables, aussi puissants que l’étaient quelques grands nobles sous l’Ancien Régime. Guillemin refuse de minorer leurs manigances permanentes, là où d’autres préfère, au contraire, ne pas s’y attarder, ne pas en parler, du tout.

Le titre de cet opuscule vise une parole de ces « gens de bien », pour qui les pauvres doivent, et se taire, et obéir, et, AUJOURD’HUI, avec les évènements actuels en France, on mesure à quel point les descendants et héritiers de ces « importants » pensent et parlent exactement de la même manière : telle cette femme enjoignant à des forces de police de tuer et de jeter à la Seine les manifestants, telle la logorrhée permanente sur une chaîne de télévision privée, tel cet éditocrate exprimant son admiration pour Adolphe Thiers parce qu’il a fait passer par les armes des milliers de Communeux. Or, entre 1789 et 1794, les « pauvres » en France, s’ils ne furent pas les maîtres des processus politiques, se sont fait entendre, fortement, clairement, en exigeant d’avoir le droit de vivre sans être constamment réduit à l’état de miséreux à qui les puissances économiques et les puissants prennent tout. C’est ce que Guillemin rappelle au début de cet ouvrage, quand il cite les salaires des journaliers à Paris, l’inflation des prix des produits alimentaires, dont la miche de pain, dont le coût a pu atteindre les 3/4 du prix d’un salaire perçu par un prolétaire parisien. A l’inverse, les ploutocrates en France, ulcérés que le trésor royal puisse faire défaut, cesse d’honorer ses dettes, voyaient la France comme un trésor… public, sur lequel il était possible de faire main basse. Guillemin a travaillé pour démontrer qu’ils avaient réussi. Qu’il l’ait fait, démontre que son propos ne relevait pas, ne favorisait pas, l’extrême-droite, puisque, en deux siècles et demi, elle s’est placée dans la défense de la « propriété sacrée et inviolable », et quand il cite des auteurs d’extrême-droite qui sont encore des références pour elle, il les éreinte (Gaxotte, Bainville, Rivarol). Par sa parole, il fait vivre, comme dans un film, les évènements et les figures de cette période, à rebours de l’historiographie dominante, de 1795 à aujourd’hui. Preuve en est que, désormais qu’il est décédé depuis déjà bien longtemps, les chaînes de télévision française déversent sur des têtes fragiles, du Bern-Ferrand-Deutsch, mais qu’elles n’ont jamais autorisées des historiens sérieux, non réactionnaires, à reprendre le fil du propos de Guillemin, pour le commenter, le compléter. 

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