Positivités, limites et apories du Chouardisme, focalisé sur le noeud constitutionnel français

Le visage de l’actuel officiel « pouvoir politique » français est, et désormais tout le monde le perçoit et l’a compris, le plus agressif conservateur, au point même de favoriser partout, à tous les niveaux, la « réaction », avec des régressions objectives, fortes. Le statu quo, sur les principes, le sens général, capitaliste, est accompagné de dynamiques agressives, contre la majorité civique, contre la majorité des travailleurs. Les dernières élections françaises ont connu des résultats, notamment en raison du caractère massif du « vote bourgeois », en faveur du déjà élu à la présidence, comme analysé, démontré, par Julia Cagé et Thomas Piketty, y compris par des élections légalement truquées, comme les « démocraties libérales », ces oxymores, savent parfaitement les organiser. Depuis 1794, ce qui domine l’Histoire de France, c’est la continuité bourgeoise, capitaliste – intrinsèquement violente, contre la majorité ou hors de France, par des guerres, des colonisations, et les dernières années jusqu’à notre présent, en auront été la pénible, impressionnante, démonstration. L’actuel résident n’est pas plus tragique qu’Adolphe Thiers ou Valéry Giscard d’Estaing ou Nicolas Sarkozy, mais il l’est tout autant. Comme on le dit en français, « il n’y en pas un pour rattraper l’autre ».

Le partage de cette émission s’explique par son titre, parfaitement justifié. Après, il ne faut pas attendre d’une telle émission une analyse fouillée et intéressante de ces années, ce qui manque par ailleurs

Il faut y insister : la VIOLENCE bourgeoise est partout, dans les mots, les actes, les décisions, les lois, les expressions de la volonté. En face, il y a, de la détresse, des peurs, le désespoir de l’impuissance, la fatigue, le ras-le-bol général, mais comme la majorité civique n’est pas organisée, chacun est réduit aux constats, quand la volonté vise à trouver les moyens de, enfin, « faire bouger les lignes ». Pour la plupart des membres de la majorité civique, il est évident que la situation générale est insupportable, scandaleuse, mais elle traduit une organisation efficace, destinée à contrer cette majorité. Dans ce cadre, le travail d’Etienne Chouard doit être pris en compte, analysé, puisque, désormais, il y aura bientôt deux décennies qu’il est devenu une figure publique, connue. Il y a quelques jours, il était l’invité d’un « Space » (l’équivalent d’une émission radio, sur Twitter), tenu par Tribunal Populaire, le premier d’une série, destinée à faire connaître les analyses et les propositions de Chouard et de ceux qui le soutiennent. Cette discussion a été enregistrée, et reste disponible via le compte Twitter de TP (@TribunalPop2023).

C’est connu : Etienne Chouard fait de la Constitution, l’alpha et l’omega de tous les problèmes français, et, factuellement, puisque tout le système politique dépend de ce texte qui prétend donner, par sa seule déclaration, des pouvoirs, des droits, une « légitimité », il est incontestable que son instrumentalisation par les dirigeants de la 5ème République leur permet de dire/faire ce qu’ils disent/font, par une force « magique » de la règle qui s’impose à tous – dès lors que nous consentons à la reconnaître. Or, comme il l’a rappelé dans cette émission, il n’y a aucune nécessité à ce consentement, notamment de la part des jeunes générations, nées longtemps après 1958, mais il en va de même de la majorité civique. Le texte n’a de force que par la soumission de la majorité à ces affirmations/prétentions. Or, et là encore, Etienne Chouard en a fait un logique rappel, le texte de l’actuelle Constitution est abominable, dans la mesure où il dit clairement que le peuple est, ou l’arlésienne de, ou le soumis à des représentants, savamment élus pour satisfaire des volontés qui ne vont pas dans son intérêt. De la Constitution Giscard/UE de 2005 jusqu’à la Constitution française actuelle, Chouard a donc incarné et continue d’incarner un rejet, refus, une réponse sociale, populaire. Mais il n’aura pas été le premier, le seul, n’est pas le premier, le seul. La critique de la « préférence représentative » est aussi ancienne que l’institution des « Républiques », assurées afin d’empêcher toute réalité démocratique, pays par pays. Dans son propos, la voix de Jean-Jacques Rousseau résonne encore, avec cette notion d’un « contrat social », digne d’être signé par les citoyens, sur le modèle des contrats économiques que nous connaissons. A notre époque, et avant qu’il n’apparaisse, le mouvement des cafés-philo, avec Marc Sautet, avait conduit de nombreux citoyens à conclure que la France était, déjà, une non-démocratie, ou une anti-démocratie, avec une Histoire tragique. L’association créée par André Bellon et d’autres est aussi fondée sur des considérations semblables, comme celui qui a la préférence de Chouard, le mouvement constituant populaire. La majorité civique ne manque pas de citoyens, qui ont une conscience, des connaissances, sur ce que Chouard qualifie justement de « prison ».

La prise en compte de cette galaxie française du projet réformiste-révolutionnaire est nécessaire, parce qu’elle évite toute réduction de, sur la personne de Chouard, lequel est un de ses engagés. Et Chouard, sans manquer de respect à sa personne, ne peut être l’avenir de cette volonté, puisque, retraité, il n’a pas plusieurs décennies d’activité politique devant lui. Enfin, il faut pouvoir analyser ses propos, ses actions, et, si nécessaire, les critiquer. Dans cette émission,  Etienne Chouard reconnaît une difficulté : si les ateliers constituants qu’il anime rassemblent un grand nombre de citoyens, peu de ceux qui participent à ces ateliers reproduisent localement ces ateliers, quoiqu’il en soit de leur appréciation positive de ceux-ci. Faire l’expérience du processus constituant par une rédaction d’articles ne peut donc apprendre aux personnes réunies à écrire, mais à écrire « de la Constitution ». Or, dans la mesure où il défend une sélection des Constituants par le tirage au sort, les participants aux ateliers constituants font l’expérience d’un privilège, comme s’ils avaient été tirés au sort, mais sans que le travail réalisé dans les ateliers soit destiné à alimenter une pré-Constitution, destinée à aider la réflexion civique. En outre, il ne suffit pas de vouloir bien faire pour faire bien. S’il s’agit de « faire comme si », les uns et les autres sont motivés par l’horizon de l’Histoire où il ne s’agirait pas, ne s’agira pas, de faire « comme si » : la dimension trop fictive de l’exercice en affaiblit le sens, la force. 20 ans après le commencement de ce travail, il serait temps que, par lui-même, son mouvement, et avec d’autres, un travail collectif soit mené afin de produire un ensemble de considérations, propositions, fécondes, afin de servir à ce que sera un tel processus, SI la France a la chance de connaître à nouveau un tel processus.

Dans une telle perspective, Etienne Chouard récuse et la partition des partis, acceptant souvent une équivalence affirmée par des participants à ce genre de discussions entre droite et gauche, extrême droite et extrême gauche. Pourtant, le conservatisme actuel est le fait de la droite (PS compris) et de l’extrême-droite; la volonté de changer de Constitution, le fait des citoyens et des organisations de gauche; les diversions sur des faux sujets ou des boucs émissaires sont le fait de l’extrême-droite. Enfin, dans son propos, Etienne Chouard a mis en cause l’instrumentalisation des armées, les orientations belliqueuses, les droits présidentiels actuels, exorbitants et scandaleux, alors que TOUTES ces caractéristiques sont soutenues par les militants de droite et d’extrême-droite. De ce qu’est la politique politicienne française, mais aussi des orientations structurelles des uns et des autres, il n’est pas possible de s’en laver les mains et de mettre les uns et les autres sur un pied d’égalité, critique. Mais pour cela, il faudrait qu’Etienne Chouard accepte de s’engager, de choisir entre les uns et les autres, alors qu’il sait que nombre de ses soutiens se situe à l’extrême-droite, dans lesquels se trouve des consommateurs de produits politiques, livres, des donateurs pour des causes. Une autre aporie du Chouardisme réside dans son analyse/rejet des élections et des partis : or, si, en effet, ceux-ci sont hautement problématiques, aporétiques, participent de la reproduction de ce système honni, il paraît impossible de faire sans, même si on n’en veut pas, on déteste cela, on veut dépasser cela. Sans parti propre, alors que le système ne reconnaît que les partis, cette voix ne se fait pas entendre, au-delà d’un cercle civique, fut-il large, composé de quelques millions de citoyens. Ce fut aussi l’un des problèmes pour le mouvement des Gilets Jaunes. Or si l’impuissance civique nous est si insupportable, il est incompréhensible que tant se refusent à se salir, provisoirement, les mains, y compris, en fondant un parti ayant dès son principe une vie à durée déterminée, destiné à disparaître dès lors que les processus constituants d’une démocratie commenceraient enfin. En attendant, si Etienne Chouard dit récuser et les partis et les partitions de la conscience civique, ses orientations explicites sont à gauche, mais il est tourné principalement vers la droite et l’extrême-droite, comme le démontrent de manière incontestable sa participation, dominante, à des émissions, sur des médias également de droite et d’extrême-droite (cf. sur Youtube). Or il ne peut pas dire que ces médias, leurs auditeurs, leurs soutiens, soient favorables à une démocratie en France. Et il ne paraît pas que sa pédagogie à leur attention via ces participations aient beaucoup fait évoluer ces auditeurs et soutiens. Il suffit d’aller sur des dizaines de comptes des militants et sympathisants de la droite et de l’extrême droite sur les réseaux sociaux pour constater ce que sont, selon eux, les priorités pour la France : le processus constituant passe loin derrière leurs obsessions/incriminations contre « l’immigration », les « étrangers », etc. Un constat qui explique sans doute pourquoi ses ateliers constituants suscitent l’enthousiasme immédiat, et, après, ne sont pas prolongés par un travail civique constructif.

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