“Rester barbare : à l’assaut de la citadelle civilisationnelle”, de Matthieu Renault

Un extrait.

À propos de Rester barbare de Louisa Yousfi (La fabrique, 2022).

On peut penser ce qu’on veut du Parti des Indigènes de la République, mais l’honnêteté commande de reconnaître qu’il a constitué au cours des deux dernières décennies la matrice d’un travail idéologique dont on ne trouvera pas ou peu d’équivalent au sein des mouvements contemporains de la gauche radicale – à laquelle nous nous épargnerons ici la tâche insipide de montrer qu’il appartient de plein droit. Ou, puisque « idéologie » demeure un gros mot éveillant automatiquement le soupçon, disons plus précautionneusement qu’il n’y a guère de mouvement qui se soit tant soucié de mettre en théorie sa pratique et sa pratique en théorie, « décolonial » étant sans doute le nom même de cette articulation.

Précisons encore que le PIR a moins engendré et dirigé un tel travail qu’il l’a suscité, accompagné, abrité, nourri, inspiré de diverses manières, au sens où, n’en déplaise à ses contempteur.ices, ce qui s’est ainsi exprimé depuis la révolte des banlieues de 2005 est une pluralité de voix singulières empruntant des régimes discursifs hétérogènes et poursuivant des fins multiples. On n’en dispose pas moins aujourd’hui d’un corpus d’œuvres « complices » dont les pièces maîtresses peuvent être nommées : Pour une politique de la racaille (2006) et La contre-révolution en France (2009) de Sadri Khiari, Les Blancs, les Juifs et nous (2016) d’Houria Bouteldja, La dignité ou la mort (2019) de Norman Ajari[1] ; liste à laquelle il convient désormais d’adjoindre le livre de Louisa Yousfi, démissionnaire du PIR à l’automne 2020, Rester barbare, publié il y a quelques mois par La Fabrique et auquel les réflexions qui suivent seront consacrées.

Il est symptomatique des clivages entourant la question raciale en France que ces textes aient généralement suscité soit l’admiration, soit l’indignation (qui ont leur fonction politique évidemment), rarement des critiques dignes de ce nom (bienveillantes ou pas), ou ne serait-ce que des analyses soucieuses d’en restituer et d’en discuter les arguments sans les encenser ou les caricaturer à coup de jugements à l’emporte-pièces. Affirmer cela ne signifie pas prétendre se situer au-dessus de la mêlée, mais simplement partir du postulat – qui malheureusement ne semble pas aller de soi – que les protagonistes « indigènes », auteur.ices ou autres, ne sont pas seulement des sujets politiques, mais aussi, et indissociablement, des sujets de savoir.

Certes, doté d’une indéniable puissance littéraire, le livre de Yousfi se veut être tout autre chose qu’un sec exposé théorique de plus sur la condition immigrée. N’affirme-t-elle pas, à maintes reprises, que les œuvres avec lesquelles son propre travail entretient le dialogue le plus intime – le rap (Booba, PNL), mais aussi la littérature, algérienne (Kateb Yacine, Mohammed Dib), africaine-américaine (Chester Himes, Ralph Ellison, James Baldwin) ou encore congolaise (Sony Labou Tansi) – échappent radicalement au regard dissécateur des sciences humaines et sociales ? Gageons que ce ne sera toutefois pas faire injure à son effort que de le soumettre à un examen visant à dégager les traits et éprouver la consistance du personnage politico-conceptuel qu’elle découvre et forge dans un même geste, par touches successives, tout au long de son essai : le barbare.

L’être barbare

Le texte complet est ici : https://www.contretemps.eu/rester-barbare-louisa-yousfi/

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