Armes versus âmes, une contradiction désarmante ? Un livre gratuit – la suite de l’introduction

Contrairement à ce que croient (il n’est même pas question d’une pensée), les essentialistes/fatalistes sur l’existence des armes, celles-ci ne tombent pas du Ciel, n’ont pas « toujours » été là, parce qu’elles dépendent d’un double rapport, à soi et au monde. Nul besoin de s’armer s’il n’y a nul raison de s’alarmer. Nul besoin de s’armer si nous ne sommes pas menacés et si nous ne pouvons être atteints. Mais même si nous sommes fragiles, même si nous sommes peut-être menacés, il n’y a même là aucune nécessité de s’armer. Profondément, c’est un choix. Des peuples s’en sont tenus à des armes limitées, en nombre et en puissance. Evidemment, un certain racisme n’a jamais hésité à attribuer à cette préférence, une cause mentale, une ignorance, une stupidité. Mais si un certain « développement » collectif passe par la production d’homicides, il faut saluer ces femmes et ces hommes qui s’y sont refusés, parce qu’ils ont considéré, avant tout, qu’ils étaient des humains, comme d’autres, et que ces autres étaient des humains, comme eux, et que, entre humains, ce qui dominait était avant tout la fraternité. Mais est-ce que nous pouvons focaliser cette réflexion sur les armes létales, celles qui sont explicitement désignées ainsi ? Avant de prendre des mauvais chemins dans le labyrinthe de la pensée, il faut revenir aux conditions de ces outils. Une arme est une force de neutralisation d’une chose différente de soi, sauf si je m’en sers contre moi-même. Là où il y a vie, mouvements, une arme immobilise, momentanément, partiellement, ou totalement. Or, il est incontestable que notre condition est ontologiquement fragile, puisque mortelle. Des nouveaux-nés décèdent, leurs mères décèdent, un accident bête tue, un terrible concours de circonstances tue. Mais contre cette force supérieure qui immobilise des êtres chers, il n’y a rien que nous puissions faire. Que voulez-vous faire contre le concours de circonstances qui fait que des êtres se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment, comme par exemple pour ces malheureux qui passaient sur le Pont de Gênes, le jour où… ? Que voulez-vous faire contre l’accident bête ? Ce sont « les choses de la vie »…, comme l’accident d’un fils.

Que voulez-vous faire contre un accouchement qui se passe si mal que même les personnes les plus compétentes ne parviennent pas à… ? Bien sûr, dans les exemples cités, ces tragédies auraient pu ne pas avoir lieu : si le Pont de Gênes avait été mieux conçu, mieux entraîné, si un conducteur avait roulé moins vite, si des moyens supérieurs avaient été disponibles dans un hôpital pour… Nos connaissances et nos techniques, par leur alliance, nous donnent des pouvoirs, mais pouvons-nous les confondre avec des « armes » ? Elles ont pour objet de permettre que des vies puissent continuer, de se mouvoir, et rien n’est « neutralisé ». Mais est-ce que nous devons absolument tuer pour vivre et survivre ? Aujourd’hui, si une épidémie de peste apparaissait, nous pourrions l’affronter et même s’il y avait beaucoup de morts, il n’y en aurait pas autant que lorsque le bacille a frappé l’Europe dans le passé (et, hélas, sévit encore ici ou là), puisque des traitements efficaces existent – certains apparaissent aussi contre le virus Ebola. Mais là encore, nous neutralisons ce qui nous tue. Ces traitements doivent-ils être considérés comme des « armes vitales » ? Là où il s’agit d’affronter des nécessités, les « armes létales » ne relèvent pas de cette « nécessité ». En effet, rien ne nous oblige à en avoir, à en user, même pour nous défendre. Evidemment, à cette évocation, les cyniques riront : mais voulons-nous être tués par d’autres qui, eux, seront armés ? Non, bien entendu. Mais la meilleure solution est qu’ils ne soient pas armés. Pourquoi le seraient-ils ?

Nous avons un exemple de cette problématique avec la période entre 1960 et 2000 : avec l’acmé de la « guerre froide », lorsque les deux Etats les plus armés ont créé les bombes nucléaires les plus puissantes et ont osé les faire exploser dans l’atmosphère pour démontrer leur puissance mortelle, cette compétition machiste a fini par provoquer l’effroi et la colère, y compris au sein de ces Etats, lesquels, après une période où ils ont dû reprendre leur esprit, ils se sont engagés sur la voie du désarmement, même modeste. Mais il y a mieux : à la fin des années 80, un des deux partenaires de ce bras de fer s’est retiré, en disparaissant. Les dirigeants russes, de la principale ex République soviétique, se sont convertis au capitalisme. Ils ont tendu leurs bras à leurs ex ennemis, les dirigeants des Etats-Unis. Ceux-ci ont eu 10 ans pour mettre fin à la guerre froide : ils pouvaient décider de mettre fin à l’existence de l’OTAN, engager un réel désarmement nucléaire mondial, ne pas envahir le Koweït, etc. Mais les dirigeants américains ont une existence qui est intimement liée à celle des armes, quelles qu’elles soient, du revolver à l’arme nucléaire. Dans le lobby militaro-industriel américain, des cerveaux cogitent tous les jours pour inventer de nouvelles armes, pour accroître les capacités des armes existantes. Pendant ces années Clinton, un « kaïros » a été ignoré : ce moment pour agir a été remplacé par une triste continuité. Par la disparition de l’URSS, les Etats-Unis sont devenus l’Etat le plus armé, et ce, toujours plus. Aujourd’hui, le budget national militaire américain, qui pourrait atteindre un niveau jamais vu jusque là en 2023, est, en soi, plus de 50% du budget militaire mondial.

Dans les familles, comme jusqu’à l’Etat fédéral, les armes sont partout, mais les cadavres parsèment le parcours de ces armes. Est-ce que les habitants de ce pays sont assiégés ? Subissent-ils des menaces, terroristes, partout et tout le temps ? C’est le paradoxe américain : ce territoire, situé entre le Canada et le Mexique, est loin des autres continents, est protégé par deux océans, Atlantique, Pacifique. Et pourtant, il est facile d’entendre, voir, des citoyens qui parlent de leur pays comme d’une « citadelle », qui est imprenable, qui doit l’être, et que, pour cela, ils doivent être armés. Sauf que, par comparaison, dans les pays européens où les citoyens ne peuvent pas acheter des armes comme ils achètent leur nourriture, les taux d’homicide sont très inférieurs. Les armes censées protéger créent au contraire le danger, et c’est ainsi que chaque année, aux Etats-Unis, des personnes non armées sont tuées par d’autres, parce qu’elles étaient à un mauvais endroit à un mauvais moment, parce qu’elles avaient une couleur de peau qui déplaisaient à, etc. Et le cinéma américain résonne d’autant de coups de feu qu’il n’y a dans la réalité. Ultime perversion : l’argument pour défendre ce « droit d’être armé » invoque toujours la « liberté de », sans jamais répondre à la problématique concernant la liberté de vivre en sécurité – ou la nécessité ? Il n’est pas rare que des « pro armes » décèdent, dans un accident avec une arme dont ils sont les propriétaires, quand ce ne sont pas leurs enfants qui perdent la vie à cause d’un tir déclenché par inadvertance. Donc, au nom d’une « sécurité » (dont, par ailleurs, nombre des citoyens américains « éminents » caractérisaient le système communiste), il y a la création ex nihilo d’un danger par l’existence, la présence, d’une arme ou de plusieurs. Autrement dit, ce n’est pas au système politique d’assurer la sécurité/tranquillité de chacun, mais chacun à assurer sa propre sécurité/tranquillité, en octroyant une délégation de pouvoir, comme si chaque citoyen était le représentant du système. Extraordinaire « totalitarisme », comme l’a expliqué dans un ouvrage qui contredit le on dit commun à notre époque, Patrick Tort, avec « Du totalitarisme en Amérique » (cf notes sur ce blog). Les comparaisons sont édifiantes : si, dans tel ou tel pays européen, le taux d’homicide est faible, c’est autant le fait d’une pacification des moeurs que de l’absence de présence, circulation, « légales », des armes, et si aux Etats-Unis, ce taux est beaucoup plus élevé, c’est autant le fait d’une moindre pacification des moeurs que de cette présence et circulation. Il y a là une loi physico-politique : une force dangereuse présente crée un risque, et, par moments, la menace se réalise. Il en va ainsi des pires armes qui sont détenues par ces Etats : aucun d’eux ne peut en garantir un contrôle total, et deux dangers menacent, une erreur (un imprévu), et une action terroriste. En janvier 1961, deux bombes atomiques 260 fois plus puissante que celle d’Hiroshima (une bombe Mark 39 à hydrogène) ont été perdues en vol par un bombardier B-52, au-dessus de la Caroline du Nord, et une d’elle a connu le processus initial de déclenchement. 3 des 4 dispositifs de sécurité n’ont pas fonctionné, et seul le 4ème a joué son rôle, empêchant l’explosion. Mais si cette explosion avait eu lieu ? Les dirigeants américains auraient sans doute considéré qu’il s’agissait du début d’une attaque soviétique et auraient alors probablement décidé de faire bombarder l’URSS par leur arsenal nucléaire, et, en riposte, les soviétiques en auraient fait de même contre les Etats-Unis. Des millions d’êtres humains auraient perdu la vie, à cause d’une « attaque » qui était en fait un accident dont les Etats-Unis étaient responsables. Et cela n’a pas été le seul “accident” (“Le Guardian révèle également avoir découvert qu’au “moins 700 accidents significatifs et incidents impliquant 1250 armes nucléaires ont été enregistrés entre 1950 et 1968” par le gouvernement” cf vidéo ci-dessous). Pourquoi faut-il devoir encore expliquer aujourd’hui qu’il ne faut pas « jouer avec le feu » ? 

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