L’incitation à regarder la vidéo d’Arte ci-dessous se justifie par la présence d’images d’époque et de l’expression de quelques spécialistes, MAIS il ne s’agit pas de recommander le récit général, ses critères comme ses oublis…
La presse de droite/extrême droite pratique depuis sa création, et encore plus aujourd’hui au temps du « buzz » par les échos d’échos des réseaux sociaux, la provocation, tous azimuts, tant à l’attention de ses adversaires/ennemis que pour s’attirer les sympathies, en monnaie sonnante et trébuchante, des activistes, engagés, de son camp, lesquels sont des consommateurs payants de papiers et de sites Internet. Le Figaro Histoire a décidé, cet été, de donner dans l’éloge concomitant envers les Hispaniques armés, qu’ils soient « conquistadors » ou « franquistes ». Il faut dire que des uns aux autres, il y a une continuité : les premiers ont été, pour les seconds, des références, des modèles, puisqu’ils ont conquis et dominé leurs conquêtes pendant des siècles (jusqu’à aujourd’hui, via leurs descendants installés en Amérique du Sud et en Amérique centrale), d’autant plus que les seconds n’ont rien conquis, sauf l’Espagne elle-même, à partir de 1939.
La parution en langue française de l’ouvrage, « Les mythes de la guerre d’Espagne« , de Pío Moa, a été rapidement instrumentalisée par le magazine « Histoire » du Figaro pour défendre une thèse, a minima, de la co-responsabilité des camps opposés, voire de la responsabilité dominante de « la gauche » dans la genèse et le cours de la guerre civile. C’est que, comme le dit Mercedes Yusta, enseignante d’histoire contemporaine de l’Espagne à Paris-8, dans l’article de Médiapart consacré à cette publication et à cette polémique, « le livre, l’entretien et la vidéo — » sont « hallucinants » : « Ce livre publié en 2003 est présenté comme novateur. Mais ce n’était absolument pas le cas en 2003, et ça l’est encore moins aujourd’hui. » […] « Il est difficile de comprendre le projet d’une telle traduction en français — sauf si on la replace dans un contexte plus large, politique et idéologique, de réarmement de l’extrême droite au niveau européen. » Et « si le hors-série du Figaro présente Pío Moa comme une pointure de la discipline, les universitaires décrivent un personnage bien plus douteux, sans aucun lien avec le monde académique. « Ce n’est pas un historien professionnel, mais un essayiste ou propagandiste, très lié aux milieux intellectuels de l’extrême droite », avance Nicolas Sesma, maître de conférences franco-espagnol à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste du franquisme. Sesma dénonce chez Moa, ancien militant maoïste au sein des Grapo dans les années 70, une méthode du « cherry picking », travers qui consiste à ne retenir que les faits qui confirment sa propre thèse. « Il se présente comme un historien censuré, un lanceur d’alerte, seul contre tous, persuadé que tout ce qui a été écrit avant lui est faux, renchérit Pierre Salmon, enseignant chercheur et auteur d’une thèse sur le trafic d’armes livrées durant la guerre civile espagnole. Mais pour faire de l’histoire, il faut recouper ses sources, ce qu’il ne fait jamais, et tenir compte de ce qui a été écrit et établi par le passé, de ce qui fait autorité. » ». « Il a su occuper cette niche en Espagne, au carrefour de la vulgarisation et de la nostalgie pour le franquisme, à un moment, au début des années 2000, où les débats sur la loi sur la mémoire historique [adoptée en 2007 sous le gouvernement du socialiste Zapatero — ndlr] étaient très vifs », dit encore Nicolas Sesma. « Son livre a fourni des arguments visant à contrecarrer l’émergence [durant les années 2000 — ndlr] d’un récit sur la guerre civile et le franquisme qui mettait enfin les vaincus de la guerre civile et les victimes du franquisme au centre », regrette Mercedes Yusta.
Le député Rnaissance (LREM) des Français de l’étranger pour l’Espagne/Portugal, Stéphane Vojetta, est venu soutenir la thèse (version a minima), en insistant sur la responsabilité/faute de la gauche, liée à des « régimes dictatoriaux ». Derrière cette thèse, il y a une articulation de plusieurs principes interprétatifs : Franco, oie blanche, n’aurait pas comploté contre la République ; finalement, il aurait été poussé par les événements et par des pressions extérieures ; l’extrémisme de gauche, et, au pire, celle des communistes, aurait rendu nécessaire cette ré-action, nationaliste, catholique. Autrement dit, Pio Moa affirme, de manière hégéliano-spinoziste, que ce qui a eu lieu devait avoir lieu, par nécessité, y compris les crimes commis par les franquistes, auxquels ils auraient été poussés à la fois par vengeance et en raison aussi de cet extrémisme. Bref, derrière le récit frelaté, il y a un discours apologétique, qui blanchit de toute faute le franquisme, Franco. Ces récits, nationaux, nationalistes, enfermés dans les limites de leurs frontières, récusent liens et influences avec ce qui les dépasse. Or Franco est le petit dernier des parvenus autoritaires, dictatoriaux comme dirait Stéphane Vojetta, dans le petit monde des régimes d’extrême-droite, nés de démocraties parlementaires défaillantes, complices, aveugles. Mussolini a initié ce sinistre mouvement, au point que, quand Hitler parvient à s’emparer des pouvoirs politiques, administratifs, et militaires, en Allemagne, il ne tarde pas à aller rencontrer à Venise son » modèle « , commençant ainsi son chemin de déception envers ce « polichinelle », terme dont Mussolini l’a affublé après l’avoir rencontré. C’est que, comme on peut l’observer avec les extrémistes de droite actuels, leurs prédécesseurs sont toujours dans la concurrence du meilleur-et-du-pire, avec une valorisation comique de soi, et une dévalorisation des autres, ce qui leur interdit toute réelle fraternité, amitié. Au Portugal, Salazar a précédé Hitler, et le banquier qui met en place « l’Estado Novo », ne ressemble à aucun de ces ersatz d’empereurs romains, mais il les respecte et il soutient comme il peut l’un et l’autre, et réciproquement, en usant toutefois de prudence pour ménager la chèvre et le chou. En France, si une insurrection fasciste échoue en 1934, les révélations sur le complot cagoulard après l’arrivée du gouvernement de Front Populaire démontrent qu’il existe, quoique en aient certains idéologues de droite, un fascisme français, prêt à bondir, ce qu’il fera en 1939-1940 (notamment grâce à la présence et aux actions de cagoulards condamnés à des années de prison et libérés par le gouvernement Daladier de 1939). Le vent mauvais souffle fort, et les fascistes européens ont des » rêves » (cauchemars) pour l’Espagne, qu’ils ne se contentent pas de projeter, mais auxquels ils contribuent, diversement. Franco s’est fait connaître par des actions militaires au Maroc, par des crimes contre des civils. Pour le féliciter de ce « travail », il avait été fait plus jeune général de l’Histoire de l’Espagne. Et selon ses propres mots dans son « autobiographie », « Depuis que l’on m’avait fait général à 33 ans, l’on m’avait placé sur la voie de grandes responsabilités pour le futur.(1) « Autrement dit : dès cette époque, Franco croyait en Franco, et avait de » grandes espérances » pour lui, quitte à ce que pour les satisfaire, des millions d’Espagnols dussent souffrir un peu, beaucoup, à la folie… Dans l’article de « Libération » publié sous le titre « Pourquoi Le Figaro a été accusé de révisionnisme« , il est rappelé que cette représentation d’un Franco, les mains dans les poches, passif, qui assiste aux évènements, est une fiction :
En réalité, « le coup d’État de juillet 1936 avait été préparé de longue date », replace Pierre Salmon. « Dès 1935, il y a des échanges très poussés. » De fait, l’assassinat de Calvo Sotelo n’a servi que « de prétexte pour lancer la manœuvre ». D’ailleurs, l’homme n’appartenait pas à la « droite modérée », mais à la droite monarchiste la plus dure. Et il a été tué pour « venger l’assassinat la veille du lieutenant de la garde d’assaut José del Castillo, par ailleurs militant socialiste », rappelle Nathan Rousselot, doctorant en histoire contemporaine à Nantes Université. Franco, s’il « n’a pas le rôle le plus important au départ », fait partie « des généraux conspirateurs » ayant pensé le coup d’État, rapporte Pierre Salmon. Comme d’autres, Franco a parfois repoussé son échéance. Sauf que « ce n’est pas par légalisme, mais plutôt parce qu’il sentait que les militaires n’étaient pas prêts pour remporter une victoire et renverser la République espagnole ».
Ensuite, l’engagement de Franco dans l’action-réaction des anti Républicains/socialistes/communistes/anarchistes est justifié par l’affirmation d’une menace d’une mutation/subversion de la République vers un régime communiste, stalinien ou non. Sur ce point, les auteurs cités dans l’article de Libération, se contentent de répondre par le fait qu’il n’y avait pas de projet communiste et stalinien pour l’Espagne : « Le fond des propos tenus parPío Moa et Isabelle Schmitz, respectivement dans l’entretien et la vidéo publiés par le Figaro, est largement contesté par les historiens. D’abord, le prétendu historien et la journaliste insistent sur l’existence d’un « complot communiste ». « Ce que [les militants de gauche] veulent, ce qu’ils revendiquent, c’est un pays soviétique. Staline est leur modèle. Staline, d’ailleurs, les influence directement, va les financer directement », affirme notamment Isabelle Schmitz. Dès lors, cela justifie que les franquistes aient voulu protéger l’Espagne d’un « soulèvement communiste ». L’historien Pierre Salmon insiste sur la nécessité de « relativiser l’influence stalinienne en Espagne », car « l’instauration d’une dictature communiste en Espagne n’était absolument pas un objectif de Staline ». En outre, « les communistes espagnols ont un rôle très marginal avant le déclenchement de la guerre civile ». Ainsi, « si des violences existent à gauche avant la guerre civile, aucune conspiration révolutionnaire n’était prévue ». ». Mais il s’agit d’une défense faible. En effet, il est certain que les engagés, républicains, socialistes, communistes, anarchistes, voulaient parvenir à instaurer un pouvoir « populaire » (de forme spécifique, selon leurs critères), puisqu’ils luttaient pour cela, y compris par la guerre civile. Mais il y a plus : ils voulaient y parvenir pour empêcher que l’Espagne ne devienne ce qu’elle est finalement devenue, une prison fasciste, de plus. Ses adeptes ne se reprochent pas à eux-mêmes d’avoir voulu, jusqu’à la radicalité, ce pouvoir. Mais s’ils avaient perdu, et que leurs ennemis les avaient vaincus en leur imposant des violences comme celles subies par les vaincus par Franco, ils hurleraient aujourd’hui qu’il y a eu en Espagne un génocide. Il était interdit de les avoir tués, de les tuer : ils ont le droit et même le devoir de tuer. C’est d’ailleurs sur ce point que la thèse de Pio Moa s’écroule : la gauche, terme fourre-tout inadapté pour qualifier des organisations politiques aussi différentes, fussent-elles « de gauche », n’est pas à l’origine de ce conflit, puisqu’elle a seulement osé exister en tant que possibilité de l’interprétation et de la production des pouvoirs politiques. Ce que l’extrême droite catholique espagnole a récusé, dès la première minute de l’existence de la seconde République, jusqu’à sa chute. C’est l’extrême-droite catholique qui a perdu le pouvoir politique en Espagne, momentanément, et qui n’a jamais accepté cette perte, qu’elle soit le fait de « républicains très modérés » ou de communistes bien moins « modérés ».
Le sens du récit de la réaction et du franquisme est que ce qui a été fait était nécessaire, et c’est ce que répète à sa façon Moa : « Les thèses fausses ou inexactes développées par Pío Moa sont si nombreuses qu’il n’est pas possible ici d’être exhaustifs. Leur point commun reste qu’elles n’ont « rien de nouveau », soutient le spécialiste de l’histoire espagnole François Godicheau. « Ce n’est pas seulement que c’est faux, c’est que ce discours relève de la propagande de guerre franquiste. » Moa, qui prétend pourtant être novateur, « reprend presque point par point la propagande que la dictature elle-même avait produite, pratiquement depuis le début de la guerre civile, pour justifier le coup d’État militaire et la répression ultérieure contre les soutiens de la légalité républicaine », le rejoint Mercedes Yusta Rodrigo. » Ce discours sur la « nécessité » contredit LE principe du droit bourgeois général, valable autant dans les « démocraties parlementaires » que dans de tels régimes : la « liberté-responsabilité » individuelle. A la base de chaque action, il y a eu la décision qu’il fallait agir, ainsi et pas autrement. Pendant l’existence du régime, Franco s’est auto-félicité de ses décisions d’avant 36, d’avant 39, et après, et désormais ce récit lui retire ses « mérites » parce qu’il aurait été un acteur comme un autre de la « nécessité ». Cette défense de Franco est faible également : elle n’invoque pas une légitimité dans la nature et les actions du régime mais dans le fait qu’il fallait qu’il existe pour empêcher un autre régime d’exister. Mais alors dans ce cas, les formes et les actions d’un autre régime auraient aussi pu empêcher cet autre régime. Cette défense est incapable de répondre des violences politiques criminelles, dont le recensement effectif, les connaissances nationales et scientifiques, vont pouvoir exister, avec le début du vote de la loi sur la « mémoire démocratique » et de sa mise en œuvre, puisqu’il s’agit d’exhumer les ossements et restes de plus de 100 000 disparus. Le glacis imposé par les franquistes après le retour de la démocratie parlementaire en Espagne à la fin des années soixante-dix est en train de céder, sous les pressions populaires, face à l’alliance de la droite et de l’extrême droite qui récuse ce droit civique à la vérité. Et la vérité est qu’il y eut surtout une large alliance anti populaire, comme l’a démontré la « révolution asturienne », qui, comme le précise l’article de Médiapart, fut une « révolte d’ouvriers anarchistes, communistes et socialistes, qui sera massivement réprimée. ». « Il est exact que 1934 marque un tournant dans l’histoire de la Seconde République, un tournant dans la polarisation de l’extrême droite comme de l’extrême gauche, mais ce n’est qu’ensuite, avec la victoire du Front populaire en février 1936, que des secteurs de la droite conservatrice décident qu’il faut en finir avec cette république », avance Mercedes Yusta. » C’est la République qui fait réprimer, avec Franco, cette insurrection, par laquelle des ouvriers, mineurs, ont constitué une « armée rouge », avec la prise de contrôle des Asturies. Or, dans l’article de Médiapart, cette insurrection qui allie des ouvriers, des mineurs et des paysans, depuis Oviedo, n’est pas plus précisément évoquée dans ses intentions et ses réalisations, pendant ses 15 jours d’existence, avant que la répression ne mette fin à son existence par 3000 morts, des milliers de blessés et de prisonniers : terres données aux paysans, usines placées sous le contrôle des ouvriers. On passe de cette insurrection aux fosses communes où les franquistes ont enterré leurs prisonniers. Pourtant, entre-temps, il y a 36, 37, 38, 39, et l’ensemble des années du pouvoir franquiste. L’Espagne qui a gagné est traditionaliste : catholique, et, sur ce point, elle est en parfaite harmonie avec le Portugal de Salazar, lequel est issu d’un catholicisme austére/austéritaire, à tous les points de vue.
Il s’agit, comme le nazisme en Allemagne, le fascisme en Italie, d’un Etat capitaliste-nationaliste qui protège le Capital national, tout en l’articulant au capitalisme mondial. Le pouvoir est intrinsèquement policier ET militaire, et pratique, diversement, la terreur, de la violence simple jusqu’à l’assassinat, la disparition des corps. Comme Salazar au Portugal, Franco joue la carte de la neutralité, à géométrie variable : l’un et l’autre préfèrent que l’Allemagne gagne la guerre européenne, mais ils conservent des relations privilégiées avec l’Angleterre, le Vatican, et, derrière, les États-Unis, au cas où. Et c’est ce qui rend possible que, à la fin de la guerre, malgré la collaboration de leurs régimes avec les forces de l’Axe, ils sont protégés, sans que leur destitution ne soit sérieusement discutée, et, a fortiori, réalisée. Pour conclure, nous pouvons dire que si les fascistes espagnols n’ont pas donné l’impulsion en Europe, ils y ont répondu et s’y sont associés, avec force et joie, y compris par la présence de soldats dans la « grande armée européenne » qui a attaqué l’URSS après 1941 (avec la « Division Azul » ou « bleue », près de 18000 soldats envoyés à l’Est dès la fin juin 1941, avant sa dissolution en 1943, en raison des revers et pertes). Pendant longtemps, cette division fut présentée comme étant composée de seuls volontaires, alors que la moitié de celle-ci reposait sur des militaires professionnels. De ce côté des Pyrénées comme de l’autre, c’est l’un des débats qu’il faut opposer à Pio Moa et à l’extrême droite espagnole : qui, pourquoi et comment Franco a été protégé en 1945, alors qu’il méritait que des armées alliées pénètrent en Espagne, l’arrêtent et le fassent juger ? Il est comique de constater qu’une référence de l’extrême droite espagnole et européenne propose un récit d’un certain matérialisme dialectique, pour lequel ce qui a eu lieu a eu lieu par nécessité.
L’article de Libération est accessible ici : https://www.liberation.fr/checknews/guerre-despagne-pourquoi-le-figaro-a-ete-accuse-de-revisionnisme-20220818_KYUUBBDNIVBPRHF3ZNEDNMKUEU/
L’article de Médiapart est accessible ici : https://www.mediapart.fr/journal/international/170822/franquisme-des-historiens-demontent-les-theses-revisionnistes-relayees-par-le-figaro
(1) : l’article de Wikipédia sur « la carrière militaire de Francisco Franco au Maroc » conclut, SANS GUILLEMETS, que et nous, nous mettons des guillemets, que « Franco était conscient de sa destinée privilégiée ». Récemment, il y a eu plusieurs alertes sur les actions d’activistes d’extrême-droite dans l’écriture des pages historiques et politiques de l’encyclopédie en ligne.