Malika Yezid : mourir, en 1973, à 8 ans, en France, pour avoir eu la malchance de croiser un gendarme inspiré par “l’époque de l’Algérie”

A cette note, sont associées des vidéos, construites sur des narratifs, toujours problématiques. Ces vidéos ne sont ajoutées ici que pour leur thème, l’évocation de faits, de personnages, mais nullement pour leur narratif propre. Il appartient à chacune, chacun, de prêter attention aux mots choisis, pour vérifier leur pertinence, ou non.

Cette note est dédiée à Malika, à sa mémoire, à Jennifer, par ce travail de mémoire pas encore bien connu et soutenu, comme il le devrait, à sa famille, aux victimes de cette colonisation de la France par des ex-colons, déterminés par une haine, puisqu’ils ont refusé, ils refusent, de regarder leur Histoire en face, et leurs responsabilités.

Les récents évènements sociaux en France ont accentué l’attention, des Français et des autres citoyens du monde, sur les pratiques des administrations des “gens d’armes”, policiers, gendarmes, ces militaires de la guerre civile française, permanente, comme sur les décisions de “l’In-justice” française, avec ses cours de justice où le racisme social sévit sévèrement, radicalement, systématiquement (avec un enfermement systématique de “petits” pour peu, pendant de longs mois, et l’absence de tout enfermement pour des VIP poursuivis pour, en général, de la délinquance financière, ou rapidement libérés, comme ce milliardaire française pédocriminel, ou ce célèbre acteur, coupable d’un accident, mortel, de voiture, également libéré avant son procès) . Si certains découvrent ces violences illégitimes ET illégales, “par personne dépositaire de l’autorité publique“, d’autres ont de la mémoire, notamment grâce à des publications, de personnes, de groupes politiques, d’associations, et, ainsi, savent, hélas, que ces pratiques sont, depuis le premier Empire (et Foouché !), depuis ce colonialisme à marche forcée imposé par les dirigeants français tout au long du 19ème siècle, l’ombre des “institutions”, éminemment dictatoriales, et ce parce que des dirigeants politiques sont tout à fait heureux d’imposer leurs volontés et leurs caprices, à la majorité. En deux siècles, la France aura été un Empire, une monarchie, ou une République, pour ne pas être une démocratie. Il ne peut pas y avoir de cadavres dans les placards de la France moderne – parce qu’il y en a trop, et pas assez de placards. Alors que les dirigeants et leurs publicitaires usent de l’arme européenne pour comparer ce qui se fait en France avec des pratiques dans les autres pays européens, en exigeant une “harmonisation”, autrement dit, un alignement sur le moins disant européen (et, au nom du “devoir de concurrence”, il y a toujours un moins disant), les voilà taiseux quand il s’agit de comparer les hécatombes françaises avec la relative tranquillité de tant de pays/Etats en Europe où des représentants de l’Etat ne sont pas incités, autorisés, par leur hiérarchie à se comporter comme des cow-boys, ne se pensent pas, ne se rêvent pas, en “Judge Dredd”, policiers ET juges. Et pourtant, aucun de ces pays n’est pas un paradis sur Terre. Mais voilà, la France, elle, a pris un chemin infernal, avec une tolérance pour les homicides dictés par le racisme social : si la personne tuée est une VIP (ce qui est rare), une presse-raciste social en parle beaucoup, et avec tristesse, compassion, mais si la personne n’est pas une VIP, et plus encore, avec une autre couleur de peau que blanche, avec une autre religion que le catholicisme d’Etat, avec une foi spécifique (Islam), la même presse est capable de renverser la perception d’un homicide en action “légitime et nécessaire”. Hélas pour elle, pour ses maîtres et pour ses fanatiques, l’exécution de Nahel et le lynchage d’Hedi ont été filmés, et les déclarations des “personnes dépositaires…” ont été contredites par des images, édifiantes sur les faits réels, démontrant que les mêmes “personnes dépositaires” étaient incitées par des conseils peu judicieux à mentir…

Deux périodes ont conditionné le cours de l’Histoire française, vécue et subie par tant : 1945, et une “Libération”, sans libération réelle, avec une “épuration” de pure comédie, et 1962, l’arrivée de tant de Français qui résidaient jusque là en Algérie et qui ont traversé la Méditérrannée, pour s’installer en France. Avec 1945, l’institution policière n’a ni été réformée en profondeur, ni épurée en profondeur : des policiers collaborateurs ont réussi à se maintenir, y compris avec des postes à responsabilité, voire ont été promus. La décision de tant de dirigeants français de refuser d’engager immédiatement et sérieusement des processus de décolonisation, partout où des Français étaient présents, les a incités à se tourner vers des fonctionnaires, des agents, qui étaient absolument favorables à une telle volonté, et à ses codes (dont le racisme). Tant de vies, de temps, perdus : malgré cette volonté, d’autres dirigeants ont dû consentir et gérer des “décolonisations” – mais nous avons appris, depuis, que cela se fit avec la plus mauvaise volonté du monde, en maintenant autant que possible des positions, si ce n’est en les renforçant, autrement dit en continuant à faire du colonialisme sous le masque d’une décolonisation. Et les “rapatriés” n’ont pas eu à suivre une décolonisation des consciences : ils partirent d’Algérie tels qu’ils étaient, et ils s’installèrent en France, tels qu’ils étaient. Et il y eut parmi eux beaucoup de fonctionnaires. Et nous ne parlons que de l’Algérie, mais le problème fut le même avec les autres pays, “ex” colonies, desquels tant partirent, avec, colère, ressentiments, haines. Ce problème, de l’installation en France de personnes qui, pour beaucoup, ne connaissaient pas leur pays de nationalité, parce qu’elles n’y étaient pas nées, n’y avaient jamais vécu, voire même n’étaient jamais venu en vacances, est peu pris en compte, discuté, alors qu’il faut prendre en compte comment ces mêmes personnes sont passées d’une vie de domination politique-économique, y compris concrètement, avec des “Algériens” à leur service (puisque l’Etat français a eu le “génie” de différencier entre les Français (blancs, chrétiens), et les Algériens (populations autochtones), disant donc clairement à ceux-ci que l’Algérie était leur pays !), à une vie, en France, dans laquelle ils perdirent leur statut spécial, leurs privilèges coloniaux (et ce jusqu’à devoir entendre des critiques sur leurs pratiques, de 1830 à 1962). Tels des “aristocrates” déchus, nombre ressassèrent leur défaite, et sont venus grossir les rangs d’une extrême-droite, officiellement défaite par ses responsabilités dans les tragédies de la Seconde guerre mondiale (mais en fait de défaite, protégée, comme les pétainistes déjà évoqués ci-dessus). L’extrême-droite et la droite ont accompagné ce retour, avec les yeux de Chimène, en se frottant les mains. La “gauche”, institutionnelle, n’a pas pris la mesure de ces changements démographiques, aveuglée par son habituel idéalisme fraternel (ils sont Français, nous sommes Français, donc nous sommes frères et soeurs). Or une partie de la gauche, vraiment fraternelle, avait soutenu l’indépendance de l’Algérie, la fin de la colonisation française, et, pour cela, elle avait agi diversement. Cet engagement ne lui fut pas pardonné. Le parcours, fourbe, d’un Robert Ménard en est emblématique : sous le voile d’un engagement sur les droits civiques, et, particulièrement, des droits des journalistes dans le monde, un enfant de la colonisation française en Algérie avançait masqué, jusqu’à ce qu’il le tombe, par l’animation d’une émission radio, puis par sa candidature à l’élection à Béziers. Des milliers d’enfants de ces ex-colons ont ainsi été biberonnés au ressentiment, à des récits nationalistes, partiels et partiaux, pour défendre un narcissisme et la prétention à un principe général de « bonne volonté » (par exemple, une égérie de l’extrême-droite, “Thaïs d’Escufon” – un pseudo dont la signification, codée, serait violente, ignominieuse – diffuse sur Youtube des vidéos comme celle intitulée “Pourquoi je ne serai jamais désolée pour la colonisation”, un aveu emblématique…) Or, avec et après cette installation de ces Français des pays anciennement colonisés par leur nombre, sur le territoire métropolitain et dans les territoires ultra-marins, leur présence dans les administrations ne s’est pas effectuée, sans influence, de leurs sentiments, de leur « mémoire » historique, de leurs engagements politiques, alors que, sur ce territoire, des femmes et des hommes résidaient également, avec des liens, familiaux, sociaux, politiques, avec, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, etc. Ce qu’ils ne pouvaient faire sur les populations libérées de la tutelle coloniale, des ex-colons et fils de colons se retrouvaient en situation de pouvoir réaliser des actes, contre ces femmes, hommes, identifiés comme « arabes », « noirs », « musulmans ». Qu’ils soient Français, par leurs parents, et ce depuis des générations, ou qu’ils aient une autre nationalité, mais étant francophones, français, par la langue, la culture, leurs références, l’histoire pure et simple de leur vie, une part de ces ex-colons et enfants de ces ex-colons les ont immédiatement « considérés », déconsidérés, traités, comme des étrangers, ou pire, une cinquième colonne. Et en quelques décennies, la radicalisation de ces héritiers du parti colonial s’est aggravée, en passant de sentiments à des discours publics, dont les limites furent, sont, sans cesse repoussées, et ce par le silence-consentement des « autorités publiques ». Ce que d’aucuns appellent le « continuum colonial » est ainsi démontré par ces morts, dont tant n’ont jamais relevé de la moindre menace de la part des victimes.

C’est ce qui fut, singulièrement, et de manière emblématique, avec Malika Yezid, jeune fille de 8 ans, un fait criminel, recouvert par les sables du Temps, puisqu’il eut lieu le 24 juin 1973, il y a un tout petit plus de 50 ans. Jennifer Yezid, nièce de Malika, est parvenu à constituer un dossier, partiel (parce que des documents manquent encore, soit parce qu’ils n’ont pas encore été trouvés, soit parce qu’ils ont été détruits), sur la mort, si jeune, de sa tante, décédée de violences « policières » (gendarmerie). Elle et sa famille vivaient dans une cité de transit (en remplacement des bidonvilles qui logèrent si « magistralement » ces pauvres pendant des années, par exemple, au-delà du périphérique parisien), à Fresnes. Les faits sont simples : un équipage de gendarmerie était à la recherche d’un jeune garçon, et ce serait un des frères de Malika. Elle joue dans la cour de l’immeuble, et quand elle pense que son frère est recherché par ces hommes armés, elle remonte à l’appartement familial, pour prévenir son frère. Peu après, les gendarmes arrivent. Son frère parvient à s’échapper, en bousculant un des gendarmes, lequel est alors furieux de ce choc et de l’échec à se saisir du jeune homme. Les gendarmes savent que le jeune homme qu’il cherche est parti, mais ils entrent de force dans le logement familial. La suite est tragique. Que recherchent-ils ? Ils ouvrent les portes, les placards, et, pendant ce temps, le gendarme offensé gifle une première fois Malika. Sa maman, évidemment, hurle. Le gendarme lui intime de se taire « ta gueule », et ajoute, en prenant Malika par le bras : « Je vais l’interroger comme à l’époque de l’Algérie ». Il la fait entrer dans une chambre, et ferme la porte derrière lui. Nul ne peut alors voir exactement ce qui se passe, mais il y a des violences, certaines, puisqu’il y a des cris, des pleurs. La maman supplie qu’il laisse sa fille tranquille, et il finit par réapparaître. Malika marche derrière lui, mais, immédiatement, elle tombe au sol. Au sol, il y a du liquide urique. Un médecin arrive sur place, une heure trente après que Malika soit tombée au sol. Il décide immédiatement de la faire transporter dans un hôpital. Une radio graphie crânienne est effectuée. L’image en main, les professionnels demandent : « Elle a reçu un coup sur la tête ? Qui lui a fait ça ? ». Son état ne s’améliore pas, et quelques jours plus tard, elle décède. Les actes violents de ce gendarme sont certains. Quels furent-ils, de quelle gravité ? Comment comprendre qu’un gendarme, adulte, puisse s’enfermer, seul, dans une chambre avec une enfant de 8 ans ? Y aurait-il eu, aussi, des gestes de pédocriminalité ? Hélas, en 1973, les principes d’investigation étaient très limitées, et les enquêteurs, policiers, étaient enclins, comme aujourd’hui, à croire sur parole, un « collègue », même gendarme. De ce crime, il n’y aura pas eu de procès, puisque « l’affaire a été classée », selon l’expression consacrée. La presse de l’époque, a-t-elle évoqué cette tragédie ? Le responsable et coupable n’a jamais eu à s’expliquer, et, à fortiori, n’a pas été condamné. Un tueur a été laissé en liberté, et, quel parcours professionnel a-t-il connu ? A -t-il été promu ? A-t-il contribué à empoisonner son environnement professionnel, qui n’en avait déjà pas besoin, par son racisme ? Aujourd’hui, est-il toujours vivant, et qui pourrait lui demander des comptes ? Puisque l’In-justice française n’a rien fait… Des questions appartiennent, à Jennifer, à celles et ceux qui la soutiennent, à celles et ceux qui dénoncent et s’opposent à l’Etat néo-colonial : si le responsable et coupable est toujours vivant, serait-il possible de demander des comptes à l’In-Justice ? On connaît le principe de prescription, sans compter que « l’affaire a été classée ». La juridiction qui a pris cette décision, pourrait-elle devoir rendre des comptes, et comment ? Comment ne pas laisser tranquille, s’il est vivant, le responsable et coupable ? Cette mort a atteint au coeur les membres de cette famille, qui, confrontés à une telle violence, politique, physique, s’est décomposée avec le temps. Sa mère s’est suicidée, et sa grand-mère n’a pas pu, voulu, s’occuper d’elle. Elle a été placée, et a réussi à survivre, à se construire, et elle a découvert son histoire, celle de sa famille, de ses souffrances, imposées par, notamment, un « ancien de l’Algérie ». Fausto Giudice, qui a écrit une longue note sur ce livre et sur cette histoire tragique, a écrit avec raison : « Trente à cinquante ans plus tard, c’est exactement ce qui s’est passé. Ce sont toujours les troisièmes générations qui extirpent le passé des oubliettes : c’est vrai pour les Arméniens, les Juifs d’Europe, et tous les autres. C’est la génération des petits-enfants des victimes de crimes d’État massifs, concentrés ou dilués, qui fait revivre les expériences traumatiques collectives et les transmet aux suivantes. Le livre de Jennifer Malika Fatima est à ma connaissance le premier de ce genre, bâti sur les souvenirs, les conversations et les incroyables archives conservées et classées soigneusement pas sa grand-mère, une sacrée Kabyle (faussement) analphabète. » Et il précise : « Le livre, pour lequel Jennifer Malika Fatima a été appuyée de manière sororelle/fraternelle et respectueuse par l’écrivaine Asya Djoulaït pour la mise en forme du manuscrit et par l’historien Sami Ouchane pour la présentation des documents tirés des archives – qui n’ont pas cherché à lui imposer un formatage académique -, est magnifiquement postfacé par cette chère Rachida Brahim, une autre petite étoile brillante des générations à venir auxquelles je m’étais dit que mon livre saurait parler. Le livre a bénéficié d’une édition soignée, exemplaire d’une jeune maison d’édition féministe de Marseille, Hors d’atteinte ». Jennifer Yezid tient un blog sur Médiapart, via lequel vous pouvez lui écrire. La postface de Rachida Brahim est accessible ici

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