L’écrivain new-yorkais est l’auteur de ce “Pays de Sang”, un livre accompagné de photographies, lesquelles sont les oeuvres de son gendre, Spencer Ostrander. Dans un entretien conjoint à Libération, publié il y a 3 jours, l’un et l’autre ont répondu (extraits seulement) :
“Paul Auster : Très vite, j’ai compris que je ne voulais pas écrire uniquement sur les fusillades de masse, qui ne représentent qu’un faible pourcentage des morts par armes à feu aux Etats-Unis chaque année, même si elles font l’objet de la plus grande attention médiatique. J’ai aussi réalisé que pour comprendre pourquoi l’Amérique s’est développée de telle manière que nous ayons ce type de relations avec les armes à feu, je devais revenir au tout début. A l’arrivée des premiers colons européens, à la violence dont ils ont fait preuve pour anéantir les peuples indigènes, puis pour maintenir l’esclavage. La société américaine s’est fondée dès l’origine sur l’idée du capitalisme, qui implique de vivre dans un état de conflit permanent, de compétition hostile, les uns contre les autres. J’ai aussi réfléchi à la mythologie très puissante de la frontière, du cow-boy solitaire. C’est l’image du macho, l’homme de Marlboro chevauchant son cheval, John Wayne combattant les Indiens… C’est avec cet idéal de masculinité que les garçons américains ont grandi. Ça m’a pris un an de travail, ce qui est beaucoup pour un livre de cette taille. Je voulais qu’il soit court, mais j’ai rarement autant peiné à écrire un livre. Chaque jour, je me plongeais dans des histoires de meurtres, de gens qui s’entretuent. Au bout d’un moment, ça devient insupportable.” (…)
Spencer Ostrander : “Plus je recensais les faits de violence armée et l’histoire des armes à feu en Amérique, plus j’étais en colère. Surtout quand on voit le détail des donations financières que les lobbyistes des armes versent à nos politiciens, qui en échange prennent le pays en otage. L’année dernière, après les tueries de Buffalo et d’Uvalde, la seule proposition a été de porter l’âge minimum pour acheter des fusils d’assaut à 21 ans. Le Congrès n’a même pas réussi à faire passer cette mesure… En travaillant sur ce projet, il y a vraiment eu des moments où j’ai cru perdre la tête. Vous conduisez pendant dix heures à travers un paysage totalement déprimant, pour finir sur le parking d’un supermarché d’El Paso. Et là, vous découvrez que rien n’a bougé depuis la tuerie [20 morts et 26 blessés, en 2019]. C’est le cas dans de nombreux sites, d’ailleurs. Qu’ils soient reconstruits, rasés ou laissés à l’abandon, ils sont le symbole de l’importance que les Américains accordent à cette question de la violence armée. Çaa beau être l’éléphant dans la pièce, ils ne veulent pas en entendre parler.“
Paul Auster est un intellectuel américain, new-yorkais, emblématique. On sait que New-York est la “little Europa” américaine, à la fois par sa composition sociale, par ses pratiques culturelles, par son intelligentsia, “de gauche”, qui, depuis longtemps, est impuissante, sans puissance, au regard de l’Histoire des USA. Il faut donc se réjouir que, au sein de cette intelligentsia, le sujet des armes à feu soit enfin un sujet de discussions, critiques. Mais la lecture de l’entretien déçoit. Bien sûr, l’entretien imprimé est court, et, dans un laps de temps aussi court, Paul Auster ne pouvait pas parler de tout. Mais de ce qu’il appelle le “camp pro armes”, représenté notamment par la NRA, il ne fait pas le lien avec l’Etat fédéral américain, le Pentagone et le fameux lobby militaro industriel, lequel a quand même obtenu et une nouvelle guerre de plus, et de nouvelles commandes jamais vues, puisque le président américain actuel s’apprêterait à présenter le plus important budget militaire de leur Histoire. En outre, il ne fait pas le lien avec ce Christianisme qui se situe, pourtant, derrière l’ensemble de ses phénomènes socio-politiques, sans prendre en compte ainsi que les colons ne sont pas arrivés avec, d’un côté, la Bible, et de l’autre, une arme, mais avec DEUX armes, la première, la Bible, étant la condition de la seconde. Il ne fait pas le lien avec cette Histoire, de l’Indépendance à aujourd’hui, avec un Etat fédéral qui, depuis près de 250 ans, aura quasiment été tout le temps en guerre, contre des voisins… ou des lointains, MAIS AUSSI en guerre contre les pauvres, traités par le pire racisme social mondial. Des personnes de culture hispanique pensent défendre la colonisation espagnole de l’Amérique au motif que des peuples qui habitaient ces territoires pratiquaient des sacrifices humains. Mais ces sacrifices humains ritualisés étaient rares et n’envoyaient pas à la mort des milliers de personnes. Or, au nom d’un culte, officiellement anti sacrificiel, en raison du “sacrifice divin”, les colons européens ont, du Sud au Nord, tué, tué et tué, dans des proportions jamais vues, au point que la population des Native Américains a, au 19ème siècle, baissé de 90%.
Il faut donc et se réjouir que des intellectuels américains reprennent le chemin d’une conscience politique, mais on a le droit d’être déçu par les limites de cette conscience. Par essence, une Conscience se construit, et il faut donc espérer que sur ces bases, à minima, les Américains, qui ne manquent pas, évidemment, de savoirs, de connaissances, sur les Etats-Unis, feront des liens que, actuellement, ils ne font pas. Les gens armés n’auraient pas un bras, armé, sans celles et ceux qui prétendent leur en donner des justifications. La source du problème se trouve donc, derrière le lobby pro arme, avec les “religieux”, les “illuminés”, chrétiens.