Sylvester Stallone, “héros de la classe ouvrière” américaine : un fils fidèle à ses origines, un auteur-acteur subtilement engagé contre le cinéma-politique américain ? A propos du livre de David Da Silva (note 3)

A l’instar de tant d’acteurs (de cinéma), il y a les films mondialement connus, et les autres, et, parmi eux, il y a “La Taverne de l’Enfer”, de 1978. Selon le scénariste, le réalisateur, et l’un des principaux acteurs du film lui-même, il s’agit d’une oeuvre cinématographique, sise dans le quartier new-yorkais de son enfance, un quartier de prolétaires américains, parmi les plus pauvres du monde, puisque soumis à un système politique explicitement anti-ouvrier. Et, à l’égard du “rêve américain”, défini par la réussite, l’argent, le propos du film est très critique. Or, entre ce film, qui fait l’éloge de la fraternité prolétarienne des frères Carboni (un nom qui évoque une lignée italienne de révolutionnaires) et “Rambo”, le film “coup de poing” par excellence, sorti en 1982, il y a une continuité, précisément, critique, sur ce “rêve”, une affaire politique, commerciale, par laquelle des millions de prolétaires se font promener. Parce que non seulement, nombre d’entre eux le payent de leur vie, par exemple, pour celles et ceux qui ont accepté d’aller faire la guerre au Vietnam, mais encore nombre d’autres, de retour de, le payent aussi, en étant encore en vie, certes, mais avec une vie misérable, honteuse, honnie. John Rambo est un sans domicile, un individu errant, dans lequel erre aussi des souvenirs des violences d’une guerre, intensément criminelle, perdue. Si, au Vietnam, il fut un des meilleurs guerriers qui, d’ailleurs, a survécu à ce carnage, il n’est plus, revenu aux Etats-Unis, rien, personne. De l’Odyssée à Rambo (un nom né de la fusion entre celui de Rimbaud, prononcé en langue anglaise et du nom d’une pomme, Rambour, mal énoncé lui aussi, qui ont inspiré l’auteur David Morrell), il y a cette même continuité tragique occidentale : des tueurs “héroïsés” par des récits épiques, des destructeurs, de cités, mondes, de tant de vies, et, après la guerre, des zombies.

Cette critique de “l’American way of Life” est énoncée au moment où le reaganisme “triomphe”, avec l’élection de ce mauvais acteur à la présidence des Etats-Unis – et nous avons rappelé dans une précédente note à quel point il fallait relativiser ce triomphe, puisque le nombre total de voix exprimés pour séparer Reagan de Carter a été faible, avec une abstention énorme. L’instrumentalisation de “Rambo” par les Républicains relève, à minima, du malentendu, ou pire, de la mauvaise foi, de la propagande. Parce que, non content de dénoncer, précisément, l’esclavagisme militaire, par lequel des pauvres américains ont été utilisés pour tuer et se faire tuer, des inconnus qui ne demandaient qu’à vivre chez eux, librement, et non sous la tutelle américaine (ce qu’un Mohammed Ali refusera de faire, en étant sanctionné pour), le film dénonce la violence du racisme social américain, sa responsabilité dans l’atmosphère de “guerre sociale”, avec un “shérif” qui croit pouvoir faire comme un sergent major sadique, en maltraitant un homme qui, comme Rambo le lui dit, “n’a rien fait de mal”, ne “veut faire de mal à personne”. L’omniprésence des gens, d’armes, des armes elles-mêmes, est en cause dans cette violence sociale quotidienne, et, 40 ans après Rambo, les victimes américaines des “violences policières” sont, quotidiennes, qu’elles défraient l’actualité mondiale ou non. Comme, par exemple, l’assassinat en pleine rue, cette semaine, d’Anthony Lowe Jr.

John Rambo a une singularité, de plus : il va refuser de se soumettre à cette violence, à ses tortures. Après avoir fait la guerre contre des étrangers qu’il ne connaissait pas, il engage donc une guerre personnelle contre des citoyens qu’il ne connaît pas plus mais qui l’ont d’emblée jugé et condamné, alors qu’ils prétendent qu’ils sont tous des “frères”, américains. Et l’auteur, David Da Silva, a raison de faire remarquer que dès lors qu’il se défend, John Rambo ressemble de plus en plus clairement à un “Native”, de celles et ceux que les Etats-Unis ont tant fait disparaître au 19ème siècle (90% de baisse de la population).

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires